Culture « Au nom du peuple ouïghour » : la résistance au féminin

Rebiya Kadeer a beaucoup fait parler d’elle il y a un peu plus d’un an : après les révoltes ouïghoures de juillet 2009 à Urumqi, (capitale de la province chinoise du Xinjiang), faisant officiellement plus de 190 morts, le gouvernement chinois s’est empressé de faire porter à cette femme, réfugiée aux États-Unis depuis 2005, la responsabilité de ce mouvement soit disant islamiste et indépendantiste. En réalité, les émeutes auraient éclaté spontanément, en réaction à la mort d’un travailleur migrant dans une usine du Guangdong. On s’attendrait à ce que son autobiographie revienne sur ces accusations. Mais Rebiya Kadeer, par prudence peut-être, ne fait pas mention de ces événements récents. Il s’agit ici pour elle de revenir sur son parcours au Xinjiang, sur ses propres expériences de la discrimination, de la corruption, et des failles du système judiciaire chinois. Un retour, en somme, aux sources d’une amertume.

Vivre le maoïsme en Asie Centrale

Fille d’un homme ayant participé à la mise en place de la République du Turkestan Oriental (1944-1949), Rebiya est née en 1948, un an avant la « Libération » chinoise. Bientôt arrivent le vandalisme, les fouilles, l’éducation de propagande du PCC, l’exil de la famille au Sud du Xinjiang en 1961, les famines, et la maladie de la mère : Rebiya accepte, à contre cœur, de se marier à 16 ans avec un riche Ouïghour travaillant dans une banque d’État aux côtés de Chinois, afin d’offrir à sa mère un soutien financier. Après six enfants, treize ans de vie commune en pleine Révolution Culturelle, ce mariage arrangé se solde par un divorce. Événement encore rare dans une région plutôt conservatrice où une femme seule est une femme perdue.

Du foyer à la multinationale

Le parcours de Rebiya a tout du rêve « chinois » : de paria, elle devient en moins de dix ans première femme d’affaire millionnaire ouïghoure, profitant de la récente ouverture économique chinoise. Blanchisserie, trafic de peau de mouton et de bois l’aident à reprendre pied, avant de se remarier avec un intellectuel ouïghour, ancien prisonnier politique. Forte de son assise financière et d’une nouvelle situation sociale, Rebiya Kadeer construit un nouvel empire commercial, en dépit des contraintes imposées par l’État chinois et des ricanements de beaucoup : ouverture du premier centre commercial d’Urumqi, développement du commerce avec l’Asie centrale, députée à la Conférence consultative du Peuple chinois, fondatrice d’une école pour enfants des rues et de centres d’apprentissages des langues étrangères, lutte contre la prostitution des femmes ouïghoures dans les zones côtières chinoises et contre le sida, représentante ouïghoure de la Conférence mondiale sur les Femmes organisée en 1995 à Pékin… Enfin, fondatrice du Mouvement des mille mères  ayant pour but de redéfinir le rôle traditionnel de la femme dans la société ouïghoure et renforcer leur rôle économique, fondation qui lui valut le nom de « mère des mères »… Si Rebiya a très tôt dérangé les autorités chinoises – faisant preuve d’un manque de discrétion qu’ils semblaient pourtant attendre d’elle – c’est ce dernier mouvement qui marquera la fin de sa carrière : en 1999, elle est emprisonnée.

Prison, torture et exil

Après six ans de prison et de torture psychologique, Rebiya Kadeer est envoyée aux États-Unis, où elle rejoint son mari et quelques-uns de ses enfants. En dépit des pressions,  de l’attentat qui faillit lui coûter la vie en 2005, et de la distance, elle garde son rôle de porte-parole. Il est difficile de trancher sur la question de l’indépendance du Xinjiang et l’ouvrage ne prétend pas y apporter une solution. Rebiya Kadeer rappelle par le biais de son parcours qu’il ne s’agit pas de défendre un peuple contre un autre, mais de lutter contre les processus de « minoritarisation », aussi bien sur le plan environnemental, légal, politique, éducatif que familial. Qu’on ne se trompe pas, l’autobiographie de Rebiya Kadeer n’est pas une somme féministe. Il ne s’agit pas pour cette femme de prôner les droits des seuls Ouïghours, mais d’inscrire son combat dans un cadre plus large : une reconnaissance de dignité humaine, au-delà des clivages sociaux, ethniques, politiques, ou de genre.

Justine Rochot, collaboratrice Chine ÉGALITÉ

Rebiya Kadeer, Au nom du peuple ouïghour, Ed Archipel, 2010.

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