Violences faites aux femmes « En Afrique du Sud, il y a un viol toutes les huit minutes »

Myriam Houssay-Holzschuch est maître de conférences en géographie, université de Lyon, ENS de Lyon, UMR EVS et IUF, et spécialiste des villes sud-africaines.

Les violences faites aux femmes sont-elles particulières en Afrique du Sud ?

Les violences faites aux femmes sont à replacer dans le contexte de la société sud-africaine dans son ensemble, laquelle est extrêmement violente, même s’il y a eu une relative baisse de la criminalité ces dernières années. Pour le nombre de meurtres par habitant et par an, l’Afrique du Sud arrive au deuxième rang mondial derrière la Colombie.

Les chiffes sont terribles. Selon les chiffres du ministère de la Justice sud-africain, 1 femme sur 4 a subi des violences domestiques. Il y a un viol toutes les 8 minutes.
Il est plus probable qu’une femme sud-africaine soit un jour violée qu’elle n’apprenne à lire. Entre 50 à 80% des femmes violées le sont par des personnes de leur entourage.

Les femmes sud-africaines arrivent-elles à porter plainte ?

Cela dépend des régions et il est très difficile d’évaluer la proportion des plaintes qui n’arrivent pas à la police. Quelques études ont été faites par de petits groupes de femmes de différentes régions : leurs résultats montrent qu’entre 1 femme sur 2 et 1 femme sur 9, victime de violence, porte plainte.

Souvent encore les femmes ne sont pas suffisamment prises au sérieux lors de leur dépôt de plainte. Elles sont parfois violées de nouveau par les policiers.

Néanmoins, le silence n’est pas total, des débats publics sont organisés dans le but de remédier à une telle ampleur des violences sexuelles. Cela date de plusieurs années, avec par exemple l’action de Charlene Smith, journaliste, elle-même victime de viol, qui a porté plainte mais aussi mis le débat sur la place publique.

Est-il vrai que les violeurs et les victimes ont tous les âges ?

Selon la police, 43 % des victimes de viol sont des mineurs. Il y a effectivement des victimes très jeunes, même si elles ne sont pas majoritaires. Je peux vous parler du cas récent d’une fillette  de 7 ans violée par 3 garçons de 9 et 11 ans. Des bébés de quelques mois et parfois même de quelques semaines ont été violés. Il y a d’autres cas dont on a beaucoup parlé de filles de 11 et 15 ans violées. Leur histoire, souvent particulièrement atroce, est considérée comme emblématique et sert d’illustration au débat relayé par la presse.

Ainsi, l’un de ces cas emblématiques est celui de Tshepang, une petite fille de 9 mois qui a été violée en novembre 2001 par 6 hommes saouls de 24 à 66 ans dont 1 séropositif. Elle même était le fruit du viol de sa mère et sa grand-mère a été également violée.

Quelles sont les causes de ces violences si fortes en RSA, ces violences sont-elles le résultat de la politique d’apartheid ?

Les causes sont multifactorielles, dans une société profondément sexiste.

Il y a la pauvreté (50% des Sud-Africains vivent sous le  seuil de pauvreté). L’alcoolisme et la toxicomanie, à des niveaux particulièrement élevés, contribuent à générer la violence.
Cette pauvreté est en grande partie héritée du système raciste d’apartheid, qui a déstructuré en profondeur le tissu social et en particulier la famille.
Sous ce régime, les familles étaient séparées dans la mesure où les hommes partaient en ville chercher du travail mais en vertu des lois de l’influx control, leurs femmes et enfants ne pouvaient les accompagner et étaient relégués dans les bantustans.
Les hommes étaient systématiquement humiliés par le système d’apartheid et, dans une société très patriarcale, le seul lieu au sein duquel ils pouvaient affirmer leur autorité – souvent aux dépens des femmes – était la famille.
Cette déstructuration est encore visible aujourd’hui : une statistique, non encore confirmée, affirme que la moitié des enfants grandissent sans leur père aujourd’hui.

Les autorités sud-africaines luttent-elles contre ce fléau ?

Dès 1990, Nelson Mandela mettait sur le même plan lutte contre le racisme et lutte contre le sexisme. Toute discrimination selon la race, le sexe, le genre, l’orientation sexuelle et l’état de grossesse est interdite par la Constitution.
Desmond Tutu a beaucoup également  œuvré en faveur des droits des femmes. Même l’actuel président, Jacob Zuma, polygame, qui a été accusé de viol puis acquitté, se prononce en faveur des droits des femmes. Politiquement, des progrès majeurs ont été accomplis : 44% des députés sont des femmes, ce qui place l’Afrique du Sud au 3e rang mondial.

Depuis la fin de l’apartheid, un nouvel arsenal législatif est mis en place, pour pouvoir lutter efficacement contre les violences faites aux femmes : une loi contre les violences domestiques a été votée en 1998, une loi contre le viol en 2008. Cette dernière loi élargit la définition du viol, auparavant très restrictive (limité à un rapport homme-femme et à une pénétration vaginale), pour pouvoir poursuivre les auteurs de violences sexuelles. D’autres lois anti-discrimination dues aux genre ou à l’orientation sexuelle sont mises en place : ainsi, le mariage gay est autorisé depuis 2006.

Une campagne nationale de lutte contres les violences faites aux femmes et aux enfants est organisée ce mois-ci en Afrique du Sud. Les organisations insistent sur le fait que résoudre les violences faites aux femmes n’est pas uniquement le problème des femmes, mais qu’il concerne tout le monde, que les hommes aussi doivent s’engager.

Propos recueillis par Caroline Flepp EGALITE

print