Violences faites aux femmes Sexisme, rap et complaisance

Une dénonciation de la violence conjugale, et dans la bouche d’un rappeur ! Il a donc fallu attendre Abd Al Malik et sa chanson Ma jolie, en novembre 2010, pour que le genre se démarque de son fonds de commerce misogyne.

Malgré ce baume au cœur, bien du chemin reste à parcourir pour en finir avec le rap sexiste et homophobe. On se souvient d’Orelsan, l’auteur de Sale pute et autres Suce ma bite pour la Saint-Valentin, qui poursuit tranquillement une belle carrière, protégé par de multiples adeptes de la « liberté d’expression »…

« Saigne, salope, saigne ! »« J’vais te mettre en cloque, sale pute, et t’avorter à l’opinel »… On se souvient que le vocabulaire du rappeur Orelsan a fait polémique au printemps 2009. Un feu de paille puisqu’est retombé un silence épais sur les appels à la violence sexiste qui émaillent les créations de certains représentants de la scène musicale et que notre rappeur s’est, depuis, vu nominé pour un prix, Les voix urbaines, en juin 2010, censé récompenser « les artistes urbains en développement qui ont marqué l’année par leur originalité, leur prestation scénique, leur fort potentiel ». Fort de sa médaille des Arts et des Lettres le 14 juillet 2009, de sa nomination aux MTV Music Europe Awards à Berlin dans la catégorie Meilleur artiste européen en novembre 2009, Orelsan est sorti à peu près indemne d’appels à la violence qui auraient pu entraîner sa comparution devant les tribunaux.

Quant au groupe Sexion d’Assaut, dont le patronyme dit assez le pacifisme, ses propos violemment homophobes (1) ont, eux, entrainé une série de réactions, appels au boycott et annulations de concerts. Il semble qu’aucun intellectuel ni ministre n’ait en l’occurrence pris sa défense ou invoqué la liberté de création, ce que d’aucuns avaient cru bon de faire pour Orelsan. Le groupe a même du présenter des excuses et s’est immédiatement vu privé de nomination aux MTV Europe Music Awards. On goûtera le motif : « Nous ne pouvons pas récompenser un groupe dont les récents propos encouragent ouvertement l’intolérance (2)», a déclaré le responsable du MTV Networks France. En effet. On comprendra donc que les propos d’Orelsan, eux, n’ont pas été touchés par ces scrupules. Deux poids deux mesures ? Le niveau de tolérance à l’homophobie est manifestement plus bas que celui de la tolérance à la misogynie.

Une pandémie de sexisme

Ces rappeurs ne sont pas les seuls, loin de là, à faire profession de la haine contre les femmes. Si Orelsan promet à son ex, – une pute puisqu’elle ose en aimer un autre – de la « marietrintigner » (« On verra comment tu suces quand j’te déboiterai la mâchoire »…), son acolyte Eminem se décrit dans Kim en train de tuer sa compagne et dans Kill you en pleine préparation du viol et du meurtre de sa mère. Pour faire bonne mesure, les Bazooka, TTC, NTM, Dr Dre, Morsay and co cultivent la même veine et même le jeune Max Boublil, au visage d’ange, attaque au piano une bluette qui vire tranquillement au viol collectif (Tu vas prendre).

Autant dire que le public ado a largement de quoi faire son marché au rayon sexisme et misogynie. Et si les rappeurs étaient les seuls ! Mais que dire de certains jeux vidéo ? Rapelay où les joueurs manipulent un personnage pour l’amener à violer une mère et ses deux filles dans une station de métro ; Grand Theft Auto (GTA 4), un des jeux les plus vendus au monde, qui multiplie les points des joueurs qui tuent des prostituées à l’aide de battes de base-ball… Interdits à la vente aux mineurs, ces jeux, tout le monde le sait, sont pourtant leur cible privilégiée. Des univers où les filles sont de pauvres choses ; des proies, des victimes. Menacées, ligotées, humiliées, battues, violées, tuées.

Complaisance au pays de Rimbaud

L’affaire Orelsan a été le révélateur de la révolte qui monte face à ces flambées machistes. De nombreuses femmes et organisations – associations féministes, élues, notamment ECVF (Elu-e-s contre les violences faites aux femmes), personnalités politiques (Marie-George Buffet, Ségolène Royal), Ligue des Droits de l’Homme, et bien d’autres – ont exigé, en vain, la déprogrammation de l’auteur de Sale Pute lors du Printemps de Bourges 2009.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’il s’est trouvé des voix pour s’émouvoir d’un tel appel à la censure, invoquer l’art et la liberté d’expression, excuser le malheureux en proie au « mal-être », pardonner « une génération perdue et désabusée » ? Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, avait jugé l’affaire « ridicule » et osé une comparaison entre Orelsan et Rimbaud.

Pour finir, les rebelles, que personne n’a osé traiter de « putes », se sont vues renvoyer à un statut à peine plus enviable, celui de « dames patronnesses » (3). Nul n’a songé en revanche à accuser de censure l’avocat du rappeur qui, le 22 avril 2009, a mis en demeure les associations concernées de cesser toute action « de nature à porter atteinte au bon déroulement de la carrière d’Orelsan ». On voit qu’il n’avait aucun souci à se faire.

Une goutte d’eau dans l’océan

Ainsi va le sentiment d’impuissance dans une société qui fait pourtant des violences contre les femmes sa Grande cause 2010. Que faire et comment ? Le journaliste Stéphane Davet, du Monde, en a peut-être, sans le vouloir, exprimé en 2009 l’une des raisons majeures. Répondant à la vice présidente de la Fédération nationale Solidarité Femmes, Françoise Brié, il a invoqué le fait que censurer Sale pute obligerait à « censurer aussi des pans entiers de la littérature et du cinéma » (4). CQFD. La haine sexiste est partout. Stéphane Davet a parlé d’or. Le rap, les jeux vidéo ne sont guère que la version moderne et forte en gueule d’une culture profondément machiste depuis les origines. Une étude de la peinture occidentale, par exemple, aurait tôt fait de montrer qu’elle imprègne de longue date notre imaginaire et même notre pensée. Il faut à cet égard relire Georges Duby (5). Rien qui puisse nous rassurer.

La loi, quelle loi ?

Quelques appels à la loi ont certes été lancés, mais n’ont servi qu’à souligner la confusion juridique qui règne en la matière. La secrétaire d’Etat à la Solidarité d’alors, Valérie Létard, avait annoncé, un peu vite, l’éventuel dépôt d’un texte « afin de condamner l’apologie ou l’incitation au crime sexiste ». Mais ce texte n’a-t-il pas déjà été voté ? En décembre 2004, un article (6) venait renforcer la lutte contre les propos à caractère sexiste ou homophobe (17 bis, loi sur la liberté de la presse), propos de nature à provoquer « à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap (…) » quel que soit leur mode de diffusion.

Les propos d’Orelsan – et des autres – sont-ils hors la loi ? C’est toute la question, qui n’est pas tranchée. Les femmes en tant que groupe sont-elles visées par de tels textes, de telles images dans le cas de jeux vidéos ? Nul ne semble savoir ce qu’il est possible d’espérer en la matière des tribunaux. Ni ce qui est au bout du compte légalement répréhensible.

Pendant ce temps, nos autorités se congratulent, persuadées de tout faire pour lutter contre « les violences faites aux femmes ». Chartes de l’égalité, campagnes, colloques, conventions… A quoi bon tant de pieuses déclarations si notre fond culturel voit fleurir urbi et orbi les invitations au viol et à la haine ?

(1) L’interview de Sexion d’Assaut dans International Hip Hop en juin 2010
(2) « Sexion d’Assaut privé de MTV Europe Music Awards »
(3) Propos du fondateur du Printemps de Bourges à propos d’Orelsan dans Libération
(4) Le Monde, 29/30 mars 2009
(5) Images de femmes, Georges Duby, Michelle Perrot, Plon, 1992
(6) L’article 17 bis de la loi sur la liberté de la presse

Claudine Legardinier ÉGALITÉ

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Pour le meilleur et pour le pire de Lester Bilal

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