Chroniques La république a-t-elle un sexe ?

Alain Piot

On a cessé de s’interroger sur le sexe des anges depuis qu’il n’y a plus d’anges…

La République française a la particularité d’être symbolisée, ou totémisée, tantôt sur le genre masculin (par le coq gaulois), tantôt sur le genre féminin (par Marianne). Que faut-il en déduire ? Doit-on choisir ? Avec quels arguments ?

Le coq

Comment le coq est-il devenu symbole de la république ? Avant d’être républicain, notre coq a été monarchiste, mais sans ostentation. C’est par dérision que les sujets de la Perfide Albion, se gaussant de l’orgueil des Français et tout particulièrement de Philippe Auguste (XIIe siècle), firent remarquer que coq et gaulois, en latin, ne faisaient qu’un : gallus.

Les Français s’emparèrent de l’image et en firent, avec des hauts et des bas, le symbole national de la France. On l’appela le coq gaulois (en somme le gallus gallus) bien que nos ancêtres (?) lui aient préféré l’alouette, autrement plus légère et primesautière, qui grisolle, tire-lire, et turlute.

Le gallinacé et son image confortaient le cliché de « nos ancêtres les Gaulois ». Nous savons aujourd’hui que les gaulois sont loin d’être nos seuls ancêtres, mais quoi, les idées reçues sont tenaces !

Il y eut quelques confusions : le coq surmontant le clocher des églises de France n’est pas de la même espèce. Il est né en Palestine au temps de Jésus et eut pour seul fait d’arme d’avoir reproché à l’apôtre Pierre son reniement (à trois reprises) la veille de la mort du Christ. Il en est resté cependant une connotation de fidélité qui s’est étendue au coq gaulois.

Monarchiste donc, notre coq, de l’espèce gauloise dorée, fut dès la Renaissance rattaché à l’idée de nation française. Les Valois et les Bourbons aimaient voisiner avec lui sur les gravures et les monnaies.

Sa montée en puissance accompagne la Révolution française. On le coiffe du bonnet phrygien, symbole de liberté. Il devient le héraut de… l’identité nationale (qui ne faisait pas débat à l’époque).

Malheureusement, adopté par le Premier consul, il est supplanté par l’aigle de l’empereur. « Le coq n’a point de force, il ne peut être l’image d’un empire tel que la France. » Cette affirmation attribuée à Napoléon Ier prouve déjà que le débat portait sur la virilité. L’aigle est un mâle, un vrai, alors que le coq n’est qu’une mauviette…

Et pourtant, c’est le petit coq qui gagne. Sous les Trois Glorieuses de 1830, puis sous le règne de Louis-Philippe, il reprend sa place.

A partir de la première guerre mondiale, le coq gaulois sera la figure de la résistance et du courage français. Il prendra toute sa place, de la grille du Coq de l’Elysée aux monuments aux morts des deux guerres dans nos villages, jusqu’à envahir enfin les enceintes sportives et les maillots transpirants des néo-gaulois. Tantôt triomphant, la poitrine gonflée, lançant son chant unique (unique car invariant et reconnaissable entre tous), tantôt les ailes déployées comme pour prendre son envol (se prenant pour un aigle), sans pour autant décoller du sol.

Oui, le coq qui symbole aujourd’hui de notre république, est d’abord un symbole viril.

Il faut ajouter aussitôt qu’il s’agit d’une virilité mal assurée, contestée à la fois par l’aimable alouette gauloise et par l’agressif aigle impérial. Le coq, « symbole d’une France aux origines paysannes, fière, opiniâtre, courageuse et féconde » : le mythe est tenace !

Je suggérerais une réforme radicale, à la fois par respect de la vérité de nos origines, et pour une (ré)vision autrement dynamique de notre pays : l’adoption de l’alouette comme symbole républicain.

L’alouette, légère, aérienne ; l’alouette qui ne cesse de chanter ; l’alouette qui nous ressemble tant lorsqu’elle se laisse piéger par le miroir… le confondant avec l’astre du jour. Une féminisation du symbole ornithologique…

pour la joie de tous !

Marianne

L’autre totem de notre nation est sans équivoque féminin. Il est plus jeune que le coq gaulois car c’est en 1792 que la Convention a décidé de représenter la république sous les traits d’une femme coiffée du bonnet phrygien.

Marianne n’a donc jamais été monarchiste.

Son nom, par contre, est peut-être un peu entaché de religion : Marie-Anne : la fille Marie (mère de Jésus) et Anne sa mère, sainte Anne (grand-mère de Jésus). Ce prénom était fréquemment porté à la fin de l’Ancien Régime.

Marianne s’empare des cheminées en marbre des mairies au début de la Troisième République. Elle perd hélas son bonnet phrygien, jugé trop « séditieux » sous la présidence d’Adolphe Tiers. Une couronne végétale le remplace. Mais il reviendra en 1879. Elle s’affiche sur les timbres postaux en toutes couleurs et tous tarifs.

Cela ne fait aucun doute, Marianne est femme, et elle est d’abord mère. Gaston Bonheur suggérait de l’appeler tout simplement Marianne-Mère. Est-elle une réincarnation de la fameuse Déesse Mère ? Elle s’inscrit dans une tradition fort ancienne qui représente la patrie sous les traits d’une femme (Athènes, Rome, Albion, Germania…) ; c’est la matrie plus que la patrie. Mais Marianne est moins la mère qui donne la vie que la mère nourricière. Ainsi Honoré Daumier, en 1848, la représente fièrement assise sur une sorte de trône, tenant à la main un drapeau tandis qu’elle allaite des enfants. Hormis sa généreuse poitrine, ses traits, légèrement estompés, sont plutôt virils !

Marianne ne connaît pas de conflits de féminité. Elle reflète de manière admirable les critères de beauté – et les valeurs – en vigueur à chaque époque.

Elle est par contre parfois l’objet d’un ostracisme mâle. Ainsi, elle disparaît sous les pouvoirs autoritaires, laissant contre son gré l’image du chef la supplanter : ainsi en fut-il avec Louis Napoléon Bonaparte, puis avec Philippe Pétain.

Marianne reflète les critères de beauté de chaque époque.

Nous avons des bustes aux traits énergiques et quasiment virils, comme celui qui a été sculpté par Paul Lecreux à Tlemcen en 1882 (aujourd’hui à l’Assemblée nationale). C’était le cas de celui que Llop avait réalisé en 1830 dans la clandestinité ; Marianne porte l’épée, son bonnet ressemble à un casque, elle semble à la fois songeuse et déterminée. On la voit à Pollestres (Pyrénées-Orientales).

Certains bustes nous présentent une Marianne plutôt androgyne, tel celui d’Hyppolyte Moulin, en 1867. Jules Ferry, ministre de l’Education publique, l’interdit de fabrication au prétexte que cette Marianne, « aux mèches rebelles, au visage androgyne et au bonnet phrygien triomphant était trop révolutionnaire » !

Marianne est souvent songeuse, voire triste, comme celle aux traits fins et au bonnet immense qui date de 1848 et est visible à la mairie de Sauzet (Drôme), ou encore l’aristocratique (!) Marianne du Centenaire, par Jean-Antoine Injalbert (1890), visiblement inquiète – mais de quoi ? Epidémie de grippe ou poussée anarchiste ? – visible à la mairie de Millas (Pyrénées-Orientales).

Enfin Marianne devient de moins en moins mère et de plus en plus femme (dans les représentations). L’habitude se prend de la sculpter sur le modèle d’une « belle femme » du moment (choisie de préférence dans le milieu artistique). Nous aurons ainsi Marianne-Brigitte Bardot en 1968, Marianne-Mireille Mathieu en 1978, Marianne-Catherine Deneuve en 1985, Marianne-Inès de la Fressange en 1989, Marianne-Laetitia Casta en 2000, Marianne-Evelyne Thomas en 2003, Marianne-Malika Ménard (Miss France), en 2010.

Cette nouvelle mode ne va pas sans polémiques, on s’en doute. Marianne s’efface derrière la star ou la starlette. On est loin de la mère de la patrie !

Faut-il le déplorer ou s’en réjouir ? Le rapport des Français à Marianne a considérablement changé ; ils ne voient plus en elle la Mère, la Nourricière, la Libératrice, l’Emancipatrice, la Protectrice ; elle est la femme que l’on convoite ou que l’on rejette, que l’on épouse symboliquement ou que l’on prend pour maîtresse toujours aussi symboliquement, sur laquelle on projette ses fantasmes etc. On apprenait il y a peu que le choix de Malika Ménard avait provoqué la colère de citoyens xénophobes, pensant que son prénom traduisait (trahissait ?) une origine maghrébine ! Il n’en était rien.

J’en viens donc à proposer à nouveau une autre révolution, à côté de mon alouette : prendre comme figure de la république l’image d’un enfant, de préférence métissé, garçon ou fille peu importe, symbole de la nation de demain.

On pourrait organiser une vaste brocante ou un vide-grenier pour écouler les bustes de Marianne tombés en désuétude (la plus grande collection se trouve à l’Assemblée nationale).

Qu’en pensez-vous ?

Alain Piot, sociologue

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