Médias L’internet suédois s’enrichit d’un journal féministe

Article publié une première fois le 4 janvier, enrichi aujourd’hui d’un article publié sur le site d’informations Feministiskt Perspektiv :

En octobre 2010, un nouveau journal féministe d’actualités a été lancé en Suède – Feministiskt Perspektiv (perspectives féministes) – une publication en ligne d’informations nationales et internationales abordant les sujets de société, l’économie, la culture, et même le sport.

Anna-Klara Bratt, ancienne rédactrice en chef du journal Arbetaren (travailleur, travailleuse), constate un grand intérêt pour le projet depuis que la nouvelle s’est répandue à l’automne dernier.  Avant même le lancement du site sur Internet, de futurs abonnés ainsi que des journalistes s’étaient manifestés pour réserver leur abonnement et participer au projet. L’abonnement coûte 365 couronnes suédoises (environ 38 €) pour l’année, un prix symbolique d’une couronne par jour qui a déjà conquis plus de 2000 abonné-e-s.

Anna-Klara Bratt explique que s’il existe dans toutes les rédactions de presse des journalistes formés aux études de genre et conscients de l’importance de ces questions, leurs compétences ne sont pas exploitées.

« Parmi les journalistes qui nous ont contactés, beaucoup travaillent dans des journaux établis comme Dagens Nyheter », explique Anna-Klara Bratt. Feministiskt Perspektiv est une initiative de passionné-e-s, menée par une petite rédaction fixe, et beaucoup de chroniqueurs et journalistes freelance, de Suède et du reste du monde, comme la Colombie ou le Rwanda.

« J’ai appris que le journal en ligne Politiken.se fonctionne de cette manière depuis deux ans. C’est donc tout à fait réalisable, mais cela reste une action pionnière », raconte Anna-Klara Bratt.

Feministiskt Perspektiv n’est ni un journal féminin, ni un journal pour les  femmes, mais les articles sont écrits en partant d’une autre norme que celle qui a cours dans la presse. Aujourd’hui, l’exemple le plus souvent donné pour expliquer les conséquences d’une réforme, est la famille hétérosexuelle avec deux enfants. Si l’on fait mention d’une mère célibataire dans un article, c’est pour en faire une exception, un quota.

Les premiers articles parus ont donc traité de la lutte des Afghanes pacifistes pour les droits des femmes, du combat pour le droit à l’avortement au Nicaragua, du Noël alternatif d’un collectif d’artistes de Malmö, de la fin de l’excision des Indiennes de Colombie, de la violence conjugale dans les pays nordiques, de la place des femmes voilées dans le féminisme suédois, du sexisme au sein de la Fifa, des invraisemblables sorties machistes de Berlusconi, de l’aggravation de l’écart des revenus entre hommes et femmes riches, etc.

Un journal pour l’instant réservé aux Suédophones… mais suivi de près par les collaboratrices d’Égalité qui vous tiendront informé-e-s !

Élise Devieilhe collaboratrice Suède EGALITE

Mise à jour du 7 janvier 2011

Lors de la publication de notre article, le contenu entier du site Feministiskt Perspektiv était réservé aux abonnés. La mise en ligne complète a lieu aujourd’hui, un article est consultable par tous. L’article, sous-titré « Voilà pourquoi nous n’allons pas ouvrir les commentaires sur notre site », explique que sous les articles des autres journaux qui annonçaient l’ouverture de Feministiskt Perspektiv à l’automne dernier, les commentateurs anti-féministes s’y sont donnés à cœur joie. On a pu lire des commentaires comme « vous pouvez prendre des lesbiennes dans la rédaction, du moment qu’elles n’ont pas d’influence sur le contenu ».

Le dessin de l’article inspiré de commentaires d’internautes :

« Commentaires des lecteurs, librement interprétés par Sara Olausson ». © Sara Olausson
Le dessin est une interprétation graphique d’un commentaire anti-féministe laissé par un lecteur hargneux :
« Harcelons tous les hommes ! », dit la femme coincée de gauche,
« Tuons tous les hommes ! », dit la lesbienne poilue de droite,
« Les hommes ont un goût de poulet, légalisez le cannibalisme ! », dit la militante noire et lesbienne.

La traduction de l’article :

Bienvenue à tou-te-s dans Perspective féministe !

07.01.2011 | Anna-Klara Bratt

« Il est bien connu qu’il n’existe pas seulement un féminisme, mais plusieurs. Notre ambition est que chacun trouve sa place dans Perspective féministe ! »

« Vous pouvez avoir des lesbiennes dans la rédaction, seulement si elles n’ont pas d’influence sur le contenu ». Ce commentaire a été l’un des premiers publiés après de nombreux articles couvrant l’histoire de la parution de Perspective féministe à l’automne. Tous ont suivi un modèle bien établi. Ils ont été très positifs ou très agressifs. Beaucoup de commentaires ont été supprimés régulièrement, ils contenaient des menaces directes et des contenus haineux. Mais celui sur les lesbiennes qui ne devaient avoir aucune influence sur le contenu, a pu rester en ligne, et l’a été jusqu’à récemment.

Si on avait appliqué les mêmes propos à n’importe quel autre groupe social, on aurait eu affaire au pénal, mais pour une raison quelconque, ça ne pose pas de problème lorsque cela touche le féminisme. En mettant les lesbiennes et les féministes dans la même phrase, certains font tomber toutes les limites. Nous l’avons vu précédemment. Tiina Rosenberg a été soumise à des menaces physiques et explicites, en se posant comme l’une des figures de premier plan du parti Initiative féministe au printemps 2005.

Quotidiennement, il est possible de suivre les discussions et les commentaires, les blogs et les tweets où les féministes sont ridiculisées, menacées et haïes. Pourtant, on discute plus souvent de la haine des hommes que de la misogynie massive qui imprègne notre espace public.

La combinaison de la multiplication des sites internet, et de l’augmentation de la possibilité de cacher son identité, semble avoir fait rompre toutes les digues. En même temps, il est quelque part bon que cette haine soit bien visible de tous. Elle ne sera plus aussi isolée. Parce qu’elle ne vient évidemment pas de nulle part.

Parallèlement à la propagation de ces agressions sur le net, un contre-mouvement devient progressivement visible. Les blogs sont devenus un moyen d’expression courant pour de nombreuses personnes qui auparavant n’avaient pas de voix ou de lieux où l’exprimer. Ces dernières semaines, tout le monde commence à oser « en parler » (*). Perspective féministe n’est pas non plus d’un incident isolé. L’Espagne, la France et l’Italie ont mis en ligne des journaux féministes, et la possibilité de communication instantanée commence à lentement lever les anciennes barrières linguistiques.

Beaucoup nous ont demandé si nous allions publier une version papier de Perspective féministe. La question est justifiée. Nous recevrions à la fois des subventions de presse et nous pourrions bénéficier d’un taux d’imposition plus bas. Mais nous ne serions pas de la même façon impliqué-e-s dans ce carrefour qui transcende les frontières. Si nous avons l’occasion de nous développer, nous voudrions plutôt sortir en plusieurs langues, traduire plus de matériaux provenant d’autres journaux féministes et agences de presse du reste du monde, et lier les discussions et les débats au-delà des frontières. Cela nous paraît tout simplement plus approprié. Que la législation soit à la traîne ne peut tout simplement pas nous empêcher de faire paraître un journal en ligne.

Perspective féministe est ancré dans le féminisme local, mais est aussi un mouvement international critique des médias. A travers le réseau Tout est possible, plusieurs d’entre nous ont été impliqué-e-s dans une collaboration internationale sur la représentation des femmes (et hommes) dans les médias partout dans le monde. Au fil des années, une prise de conscience s’est construite à propos de tout ce qui ne figure pas dans nos médias traditionnels.

Nous ne serons pas en mesure de rivaliser avec les autres médias d’informations quotidiennes qui offrent les dernières nouvelles financières ou sportives. Cependant, nous serons en mesure d’offrir une perspective unique sur tout. En empruntant les concepts de la pédagogie du genre, nous nous considérons comme à la fois compensatrices et « complexificatrices ».

Compensatrices dans le sens où nous aurons ce que les journaux appellent généralement une veille d’informations : nous couvrirons les si passionnantes rencontres et discussions féministes, qu’aucun autre média ne couvre car elles n’entrent pas dans la norme standard, si étroite. Le manuel du genre à la main, on voit aussi assez précisément quelle réalité est rarement dépeinte dans les médias. Environ 70%/30%, c’est la répartition des hommes et des femmes dans les médias d’actualités traditionnelles, et la Suède ne fait pas exception à la tendance mondiale.

« Complexificatrices », dans le sens où aucune réalité ne peut être restituée en entier. Il faut réfléchir, remettre en question et discuter. Les féministes sont douées pour ça. Il est bien connu qu’il n’existe pas seulement un féminisme, mais plusieurs. Notre ambition est que chacun trouve sa place dans Perspective féministe ! Chacun, c’est-à-dire toutes celles et tous ceux qui ont souscrit un abonnement, et toutes celles et tous ceux qui sont heureux de s’impliquer dans ce journal – et qui le font en leur nom propre.

Nous n’aurons donc, pour ces raisons, pas de discussions libres sur notre page d’ouverture, mais les commentaires seront ouverts dans la section abonné-e-s. Engagez-vous, mêlez-vous en, continuez de désirer, de conseiller et de proposer.

Bienvenue dans Perspective Féministe. Connectez-vous !

(*) « Prata om det » (« En parler ») est un site suédois qui vient de voir le jour, suite à la campagne de méfiance et de mépris dont font l’objet les deux femmes qui ont dénoncé Julian Assange.

Traduction : Élise Devieilhe, collaboratrice Suède EGALITE

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