Témoignages Arrêter de travailler, m’endetter, ou mettre mes enfants dans le privé ?

Je suis une jeune femme de 33 ans, je vis en couple, en Province (Nord-Ardèche) et j’ai trois enfants : un de 5 ans et des jumeaux de 2 ans. Je travaille ainsi que mon compagnon et père des 3 enfants. Nos enfants sont ou ont été confiés à une nourrice dès la fin de mes congés maternité. Notre nourrice peut joindre deux écoles à pieds : une école privée et une publique. Nous avons choisi notre école parce qu’elle était proche de notre mode de garde. Notre aînée va à l’école publique et l’aînée de la nourrice est allée à l’école privée. Nous avions le choix.

Depuis quatre ans, notre école publique est la seule de la ville à ne pas pouvoir accueillir les enfants de 2 ans par décision de l’Éducation nationale. C’est-à-dire que la maîtresse peut les accepter mais qu’ils ne seront pas comptabilisés. La maîtresse ne les accepte pas car elle a une classe de trois niveaux (petite, moyenne et grande section) déjà bien pleine, ce que tout le monde comprend. Bon nombre de parents du quartier n’ont pas pu scolariser leurs jeunes enfants dans cette école faute de places (premiers inscrits, premiers servis…) et sont allés à l’école privée proche pour environ 30 euros par mois et par enfant. Quand la classe a fermé dans le public, le privé aussi était menacé d’une fermeture de classe mais comme cette fermeture a eu lieu dans le public, leur classe a été sauvée. Cet établissement accepte les enfants à partir de 2 ans. Depuis trois ans, les parents de l’école publique signalent cette situation inadmissible à l’Éducation nationale sans qu’une ouverture de classe n’ait eu lieu.

Des économies colossales sur le dos des enfants

Je ne suis pas spécialement pour la scolarisation des enfants à 2 ans, mais j’ai un énorme problème. À partir du mois précédent les 3 ans de mes jumeaux, je vais perdre la Paje (1) 355 euros, l’Actipaje (2) 139 euros, la Paje complément libre choix de mode de garde (3) 417  euros. En tout, je vais donc perdre 911 euros par mois alors que ma nounou me coûte 1100 euros par mois pour deux enfants à plein temps et un enfant en accompagnement scolaire. 911 euros alors que je dois payer encore neuf mois de nourrice puisque l’école publique ne peut pas prendre mes enfants. Mais qui peut trouver une telle somme ?

Plusieurs choix s’offrent à moi : arrêter de travailler en plein milieu d’année, m’endetter et payer plus cher un mode de garde que la scolarisation de deux étudiants en grande ville, ou scolariser mes enfants dans un établissement confessionnel pour 30 euros par mois et par enfant. La solution est toute trouvée alors, me direz-vous, de quoi se plaint-on ? Je me plains qu’en France, on est tranquillement en train d’économiser une année d’école pour tous les enfants de 2 à 3 ans en fermant des classes pour l’accueil de ces tranches d’âge et que, non content de faire ces colossales économies, on économise encore neuf mois de congé parental ou d’aides familiales en laissant les familles sans aucune aide financière avant la scolarisation des enfants. Les familles n’ont d’autres choix que de prolonger un arrêt de travail sans aide financière, poursuivre une garde sans aide financière, ou scolariser leurs enfants dans des établissements confessionnels payants.

Pourquoi ne pas poursuivre les aides familiales jusqu’à la scolarisation ?

L’économie d’une année d’école pour tous les enfants de France et de neuf mois d’aides familiales pour 75 % des enfants (si tant est que les naissances sont également réparties chaque mois ce qui n’est pas le cas, on sait que les naissances restent majoritaires entre avril et juin, je calcule donc large et cela fait quand même froid dans le dos !) Il s’agit d’enfants, il s’agit d’école républicaine, de valeurs laïques, du travail des femmes, du revenu des ménages, et personne ne s’offusque de cette situation. Il serait pourtant si simple de poursuivre les aides familiales jusqu’à l’obtention d’un certificat de scolarité ! Cette dépense serait une goutte d’eau comparée aux économies colossales qui sont faites sur le dos des enfants sans que personne ne s’en émeuve. Et on vient nous rabattre les oreilles avec les valeurs républicaines, avec des lois qui défendent les valeurs laïques et avec l’école de la France ? Mais où sont-ils ces beaux discours dans le quotidien des Français ? Ni l’Éducation nationale, ni les caisses d’allocations familiales, ni les politiques ne se mettent autour d’une table pour résoudre ce problème simple qui touche à différents niveaux (selon la date de naissance des enfants) 75 % des Français.

J’ai contacté l’Éducation nationale, les CAF et les élus de ma ville. Tous ont répondus, tous ont dit qu’ils transmettaient à leurs supérieurs. J’ai reçu un courrier daté du 11 janvier de ma CAF qui m’indique que TNS Sofres va m’appeler pour un sondage concernant les attentes des allocataires, j’espère qu’il sera question de ce problème… L’inspectrice de l’Éducation nationale a demandé à la maîtresse de réunir des informations sur les éventuelles inscriptions avant le 17 février pour décider d’une ouverture de classe. Donnerait-on un os à la chienne pour la faire patienter ? Cela vaut toujours mieux que des coups de pied au ventre… J’attends, mais je ne suis pas dupe.

Magali Billon

(1) Paje : Prestation accueil jeune enfant 177,95 € par enfant durant trois ans.
(2) Actipaje : complément de salaire pour les femmes qui décident de réduire leur activité à l’arrivée d’un enfant.
(3) Paje complément libre choix mode de garde : chaque mois, cette prestation rembourse une partie des frais de garde.

print