Révolutions arabes : quels enjeux pour les femmes ? « Le Yémen a besoin du soutien de la communauté internationale »

Portrait d'Amal Basha

Interview du 23 février de Amal Basha, présidente de l’organisation yéménite Sisters’ Arab Forum for Human Rights (SAF), organisation membre de la FIDH.

Sous quelles formes les femmes participent-elles aux protestations au Yémen ?

La principale force derrière ce mouvement est composé d’étudiants de l’université de Sanaa (*). Ils se réunissent sur la place Al-Huriya (place de la Liberté) en face de l’université. Des femmes et des organisations regroupant des femmes participent aux manifestations et soutiennent les manifestants, en restant tard dans la nuit sur la place de la Liberté.

La plupart du temps, les étudiants protègent les femmes qui manifestent sur la place. Celles-ci ne sont, en général, pas visées par les forces de sécurité lors de la répression des manifestants. Si c’était le cas cela provoquerait un véritable tollé dans l’opinion. Il y environ quinze jours, une femme qui manifestait a été arrêtée et emprisonnée, mais elle a été libérée le lendemain face à nos protestations.

Le 22 février à 23h, les forces de sécurité s’en sont pris violemment aux manifestants qui défilaient sur la place, en leur tirant dessus à balles réelles. Ces tirs ont fait 2 morts et 25 blessés. Des étudiants, alertés par les cris d’appel au secours d’une femme, ont empêché les forces de sécurité en civil de procéder à l’arrestation de cette journaliste.

De quelle façon votre organisation participe-t-elle ?

Nous avons tenu une réunion de coordination regroupant plus de vingt ONG à Sanaa pour tenter de soutenir les manifestants pacifistes. Nous avons mis en place des commissions sur la santé, l’information, les médias et la protection des manifestants, qui sont toutes présentes sur la place. La jeunesse s’est déjà organisée mais a besoin de moyens de subsistance, et notamment de vivres, de tentes, de couvertures et de premiers soins. Les étudiants utilisaient la mosquée la plus proche pour s’approvisionner en eau avant que le gouvernement ne la coupe. Ce dernier interdit l’accès de la place aux équipes de premiers soins et empêche d’autres sympathisants d’accéder à la place.

Leurs revendications concernent-elle particulièrement les femmes et leurs droits ?

Le slogan que l’on entend partout est « Partez ! » pour demander au président de quitter le pouvoir, demander la fin du système de corruption, de l’oppression, des détentions, de la torture, des exécutions sommaires. Le slogan principal prône l’avènement d’un pays libre, d’une vraie démocratie.

Ce qui est positif dans ce mouvement c’est que l’appel en faveur d’un changement de régime a permis de rassembler les peuples du Nord et du Sud. Et maintenant, c’est toute la population du Yémen qui appelle au changement. Les annonces et les demandes du Sud en faveur de la séparation ont cessé pour rejoindre les forces qui réclament le changement : le changement de régime et le changement de système.

Les manifestants veulent un pays moderne qui respecte l’Etat de droit, une constitution qui respecte la communauté et la volonté du peuple, qui garantisse l’équilibre des pouvoirs entre les différentes forces. Ils souhaitent l’égalité et la fin de la corruption, la fin d’un régime d’oppression, la fin de la détention de centaines et de milliers de prisonniers, la fin du recours à la guerre pour résoudre les problèmes.

Il n’y a pas de revendication qui concernent directement les femmes, mais l’instauration d’une véritable démocratie impliquerait nécessairement l’égalité des droits et la parité entre les hommes et les femmes. Selon moi, les jeunes qui manifestent croient en l’égalité.

Quels sont les obstacles actuels à la participation des femmes dans la vie publique et politique au Yémen ?

Les femmes dans ce pays ne sont pas autorisées à prendre part aux prises de décision, elles ne sont pas reconnues comme égales aux hommes et elles ne sont pas représentées aux postes qu’elles mériteraient d’occuper, en dépit de leurs qualifications et de leurs études. C’est un pays où la discrimination est très répandue, entre les hommes, envers les femmes, entre les peuples du Nord et du Sud… La discrimination pose un véritable problème dans ce pays.

Quelle est votre point de vue sur les événements en cours dans le reste de la région ?

La colère a démarré en Tunisie et s’est répandu en Egypte, puis en Libye, au Yémen, en Algérie, au Soudan, à Bahreïn, jusqu’en Syrie… Je pense que ces mouvements de protestation peuvent être considérés comme positifs et que de véritables changements sont en cours.

En Libye, le peuple est confronté à une répression extrêmement brutale. Nous ne voulons pas que le Yémen soit à son tour menacé par de telles violences. Pour cela, nous avons besoin du soutien de la communauté internationale. Bien sûr, les gens sont préoccupés par ce qui se passe en Libye, mais la communauté internationale ne doit pas passer sous silence ce qui se passe au Yémen.

Actualisation du 10 mars :
Des milliers de Yéménites ont manifesté le 9 mars sur une place de la capitale, au lendemain de la prise d’assaut de l’université de Sanaa par l’armée, une intervention qui a fait un mort et des dizaines de blessés.
Le raid des soldats à l’université a accru les tensions dans le pays, où des milliers de personnes manifestent depuis des semaines pour exiger le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans.

Propos recueillis par Shawna Carroll – FIDH
Traduction : Julie Ghibaudo

(*) Les étudiants de l’université de Sanaa campent sur le terrain de leur établissement depuis la mi-février, peu après le début des manifestations antigouvernementales au Yémen.

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