Non classé Hubertine Auclert, la désobéissante

Portrait d'Hubertine Auclert par Florine Lacharme © Florine Lacharme

Portrait d'Hubertine Auclert par Florine Lacharme © Florine LacharmeParis, 3 mai 1908. Plusieurs militantes féministes – des suffragettes, comme on les nomme alors – se dirigent vers un bureau de vote. Elles entrent, et devant l’assistance médusée, saisissent les urnes électorales. L’une d’entre elles, Hubertine Auclert, renverse le contenu d’une urne et piétine les bulletins de vote répandus sur le sol. Elle atteint ainsi dans son symbole le suffrage universel masculin, qui en ce début du XXe siècle exclut toujours les femmes.

L’incident fait date. Hubertine Auclert n’en est pourtant pas à son premier coup d’éclat ! Dans les années 1880, elle avait déjà fait parler d’elle en refusant de payer ses impôts : les femmes n’ont pas de droits, elles ne peuvent donc avoir de charges, avait-elle déclaré. Car si les femmes ne sont pas électrices, comment pourraient-elles être contribuables ? Et Hubertine d’ajouter, non sans humour : « Je laisse aux hommes, qui s’arrogent le privilège de gouverner, […] le privilège de payer les impôts qu’ils votent et répartissent à leur gré. »

La première image d’Hubertine Auclert est ainsi celle d’une femme d’action, multipliant les coups d’éclats pour dénoncer l’inégalité entre les sexes : quand elle ne proteste pas publiquement dans les mariages contre le devoir d’obéissance de l’épouse, quand elle ne manifeste pas dans la rue, elle pétitionne, invite les femmes au boycott ou à présenter des candidates sur les listes électorales.

Ne nous y trompons pourtant pas en réduisant ses actes militants à une simple geste provocatrice : dans la pure tradition de la désobéissance civile, Auclert accompagne tous ses gestes d’adresses à la presse et s’expose aux sanctions prévues par la loi – les multiples procès qui lui sont intentés participant ainsi de la diffusion des idées féministes ! Militante infatigable, elle lie ainsi étroitement action et réflexion, s’adresse au peuple, aux femmes, aux socialistes, aux féministes, et prend régulièrement la plume, multipliant les articles et les discours.

Le droit de vote, clef de voûte des autres droits

Elle fonde en 1881 le journal La Citoyenne qui se proclame ouvertement pour le suffrage des femmes. Car pour Auclert, et cela est presque inédit à l’époque, le droit de vote est la clef de voûte de tous les autres droits, un « passe-partout », qui permettra l’égalité réelle entre les sexes et l’indépendance économique des femmes. Auclert enclenche ainsi un mouvement de fond pour le suffrage des femmes en France, et ce malgré la réprobation du mouvement féministe de l’époque, de tradition modérée.

Désobéissante, Hubertine Auclert l’est sûrement : elle indique ainsi que le citoyen et la citoyenne peuvent demander à changer la loi si nécessité l’impose ; désobéissante féministe, elle refuse de cautionner une société à laquelle elle ne participe pas. Ses considérations allient ainsi égalité inconditionnelle entre les sexes et considération que l’avènement politique des femmes serait un espoir d’humanité supplémentaire – rejoignant quelques unes de ses sœurs aînées en féminisme.

Elle propose ainsi à la fois, pour les femmes, une stratégie d’inclusion dans le processus démocratique, par exemple en présentant des candidates sauvages aux élections ; et d’exclusion protestataire, notamment dans ses actes de boycott ou de retrait citoyen. Dans les deux cas, elle soulève une double nécessité : du côté des hommes, celle qui invite à compter avec les femmes, et à agir avec elles « en associées et non plus en esclaves rançonnées » ; du côté des femmes, celle qui invite à prendre enfin une part active à la citoyenneté, c’est-à-dire aussi à la prise de décision et au destin de la société toute entière.

Hubertine Auclert, 1848 – 1914
Illustration : © Florine Lacharme

Bérangère Kolly – collaboratrice EGALITE

A lire :

Hubertine Auclert, pionnière du féminisme, textes choisis, Préface de G. Fraisse, présentation de Steven C. Hause, Bleu Autour, 2007.

Hubertine Auclert, Les femmes arabes en Algérie, présentation de Denise Brahimi, Autrement Mêmes, L’Harmattan, 2009.

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