Révolutions arabes : quels enjeux pour les femmes ? « Le scrutin proportionnel aiderait les jeunes et les femmes à être représentés en Tunisie »

Hafidha Chekir

La Haute Instance de sauvegarde de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique doit rendre au gouvernement tunisien en fin de semaine ses conclusions relatives au nouveau code électoral. Des élections sont prévues le 24 juillet pour élire l’Assemblée constituante, qui sera chargée d’élaborer une nouvelle constitution pour le pays.

Hafidha Chekir est maîtresse de conférence et professeure de droit à l’université de Tunis. Elle est une des fondatrices de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATDF). Elle est aussi membre de la commission d’experts de la Haute Instance. Nous l’avons rencontrée à son hôtel, à Paris où elle était invitée à intervenir dans un séminaire de recherche organisé par la Fondation maison des sciences de l’Homme (FMSH).

La Tunisie est en campagne électorale, comment cela se passe-t-il ?

La campagne électorale a commencé sans vraiment commencer !
Bien sûr, il y a des gens qui commencent leur campagne dans la rue, d’autres dans les mosquées. Mais pour le moment toutes les décisions n’ont pas été prises.
Le texte de loi électorale est prêt mais encore en discussion au sein de la Haute Instance de sauvegarde de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.

En fin de semaine nous serons fixés sur la parité et le mode de scrutin. Dans le projet de texte il y a pour l’instant deux possibilités, soit le scrutin uninominal soit la représentation proportionnelle.
A priori, il y a une tendance vers la deuxième solution qui favoriserait la représentativité des jeunes qui ont fait la révolution, des femmes et des régions défavorisées.

Avez-vous des craintes concernant ces élections ?

Nous avons peur d’avoir en présence des petits partis – il y en a une cinquantaine actuellement – et un parti très structuré, avec beaucoup de moyens et au double langage systématique, qui est le parti islamiste Ennahda. Or, en démocratie, il faut qu’il y ait des partis compétitifs.

Mais je crois que des fronts vont se créer. Un front s’est déjà constitué samedi dernier notamment avec l’ex-parti communiste, le parti démocratique et progressiste (PDP) et le forum démocratique pour le travail et la liberté.

Les femmes ont été très présentes dans la révolution. Sont-elles visibles dans le paysage politique ?

On voit très peu de femmes sur la scène politique. Une seule femme est secrétaire générale d’un parti. Il y a beaucoup de femmes indépendantes et très peu dans les partis politiques.
Mais des femmes et des jeunes sont en train de s’organiser et de se préparer aux élections.

La représentativité des ces personnes en politique dépendra du résultat des élections, et dans un premier temps du mode de scrutin choisi.
Il est souhaitable que les femmes soient présentes au moment de l’élaboration de la Constitution pour qu’elles puissent protéger leurs droits.
Les élections pour l’Assemblée constituante sont prévues pour le 24 juillet. Nous attendons.

Une conférence nationale des femmes pour l’égalité et la citoyenneté a été organisée le 13 février à Tunis…

C’était une conférence d’ONG dont l’ATFD, l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (TDH), la commission femmes (*) de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT).

Cette conférence a eu un fort retentissement auprès des femmes, qui se regroupent, qui s’organisent.
Beaucoup d’ONG de femmes se créent actuellement. Beaucoup de gens veulent se protéger contre les risques islamistes, qui sont en train de réapparaître sur la scène politique.
Suite à cette conférence, un manifeste des femmes est en train de se préparer. Et j’espère que d’autres textes vont suivre.

Vous participez également à la coalition Egalité sans réserve…

Oui. C’est une coalition composée d’ONG féministes et défendant les droits humains du Maroc, de Tunisie, de Bahreïn, d’Algérie, du Liban, de Jordanie, d’Egypte, du Yémen.

La coalition veut pousser les pays à lever les réserves qu’ils ont émises lors de la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (Cedaw).

Pensez-vous que les révolutions arabes vont favoriser l’adoption de vos revendications ?

Nous l’espérons. Mais la situation est tellement bouleversée en ce moment dans le monde arabe que nous ne savons pas trop ce qui va se passer.

Néanmoins, si ces pays veulent la liberté et l’égalité, ils doivent absolument lever les réserves qu’ils ont formulées et qui portent atteinte à l’égalité entre les hommes et les femmes et surtout portent atteinte aux droits humains des femmes. On ne peut pas maintenir de discriminations dans un système qui se veut égalitaire.

Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE

(*) Hafidha Chekir en est une des fondatrices.


print