Tribunes « La béatification de Jean Paul II ne fait pas l’unanimité au Mexique »

Guitté Hartog

Au Mexique, la béatification de Jean Paul II n’a pas fait que des heureux. Elle a fait aussi beaucoup de sceptiques. Et, ce malgré le fait que cette nation ait développé un attachement très particulier à ce leader charismatique à l’esprit missionnaire. Nul besoin d’être une personne athée, féministe, homosexuelle ou préoccupée par l’épidémie du VIH…. pour ne pas s’enthousiasmer de cette reconnaissance hâtive.

Les nombreux témoignages de victimes abusées dans leur enfance par des membres influents des autorités religieuses et le silence, voire la complicité de Jean Paul II et du Vatican envers ces crimes parfaitement documentés et dénoncés par des figures importantes de l’Eglise mexicaine ébranlent la bonne foi… Même celle de certains des catholiques les plus fervents.

Jean Paul II baisa pour la première fois le sol mexicain en 1979. Son geste d’humilité a profondément ému une société historiquement blessée par les conquêtes. Ce fut le début d’une grande histoire d’amour. Il a visité la bien-aimée patrie mexicaine, qu’il a lui-même qualifiée de « Mexique, toujours fidèle ! » non pas une, deux… mais cinq fois. En 1979, 1990, 1993, 1999 et 2002, il est venu réanimer la ferveur catholique, étanchant la soif de reconnaissance d’un peuple qui n’a pas encore connu de régime démocratique, ni le succès capitaliste des Amériques et pour qui l’esprit des révolutions socialistes cubaine et russe reste embryonnaire.

Ce privilège d’être la nation la plus visitée par le pape polonais tient plus, selon plusieurs historiens comme Roberto Blancarte y Tomas de Híjar Ornelas, d’intérêts géopolitiques que de l’histoire d’amour (voir l’article – en espagnol – de CNN Mexico).

Les effets de ses nombreuses visites sur la société mexicaine actuelle sont difficilement mesurables. Sans être malhonnête, on peut tout de même avancer que cette relation a fait reculer les aspirations laïques du peuple mexicain, pourtant garanties par la constitution mexicaine, qui défend clairement la séparation des pouvoirs religieux et politiques. Les acquis durement gagnés lors de la présidence de Benito Juarez (1867-1872) furent durement secoués par les nombreuses visites papales qui permettaient aux autorités religieuses de prêcher sur la place publique et d’imposer leurs discours en matière de politiques sociales.

Homélies anti-avortements, anti-préservatifs…

Le Mexique n’avait pas besoin des idées rétrogrades du Vatican sur la place des femmes dans la société étant donné son attachement particulier aux valeurs traditionnelles et machistes pour freiner les droits des femmes. Mais les obsessions de Jean Paul II en matière d’éducation sexuelle, d’avortement, de préservatif et d’homosexualité martelées à de nombreuses reprises dans ses écrits, discours et homélies ont grandement contribué à maintenir le Mexique dans l’obscurantisme.

Seule Mexico semble pouvoir échapper à un régime théocratique et voter des lois progressistes comme la légalisation de l’avortement et des mariages entre personnes du même sexe. Mais dans le reste du pays les évêques dictent leurs politiques sociales aux élus, qui, par peur de perdre l’électorat croyant, renforcent le conservatisme politique et oublient les nombreux accords internationaux relatifs aux droits de la personne que le Mexique a ratifiés.

L’appui direct de Jean Paul II à des groupes religieux de droite au Mexique comme les Légionnaires du Christ et l’Opus Dei et son effort pour démanteler les mouvements de la théologie de la libération (1), qui luttent pour une meilleure justice sociale et défendre la cause des démuni-e-s, a fortement contribué à maintenir les bénéfices d’une classe politique opulente et corrompue, en concentrant la richesse et finançant les campagnes électorales et pro-vie.

Mais l’histoire d’amour entre le peuple mexicain et Jean Paul II se dégrade vraiment lorsqu’éclatent les nombreux scandales du prêtre Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ et grand protégé du pape. La journaliste Carmen Aristegui (2) est celle qui a probablement le mieux documenté le cas de Maciel, qui a abusé sexuellement de nombreux enfants y compris des siens (issus de plusieurs unions libres) et présentait une forte dépendance aux drogues. Malgré le fait que le Vatican soit parfaitement informé des faits par de nombreux documents et rapports psychologiques confirmant ces déviances, Jean Paul II ne l’a jamais suspendu de ses fonctions. Il a tout au contraire financé abondamment son organisation. En toute connaissance de cause, il l’a rencontré et appuyé publiquement à plusieurs reprises.

Guitté Hartog, diplômée en psychologie sociale et professeure-chercheure à l’Institut de sciences sociales et humanités de l’université autonome de Puebla, Mexique.

(1) Mouvement d’Amérique latine né en septembre 1968, suite à une conférence organisée par 146 évêques latino-américains à Medellin (Colombie).

(2) Marcial Maciel. Historia de un criminal de Carmen Aristegui, Grijalbo 2010

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