Mixité professionnelle : une utopie ? « Mon vécu d’homme m’apporte une distance bénéfique »

Environ 20 000 personnes exercent le métier de sage-femme en France, dont moins de 1 % d’hommes. Pourtant la profession est ouverte au sexe masculin depuis 1982.

Emmanuel Leduc a 46 ans, il est homme sage-femme depuis vingt ans. Il pratique à l’hôpital de Bagnols-sur-Ceze (Gard) depuis seize ans, il a trois enfants, et a été le premier sage-femme de Bretagne après ses études à Rennes.

Comment en êtes vous venu au métier de sage-femme ?

Au départ, j’étais plutôt intéressé par la psychologie. En fait, après un bac D et un peu de biologie, j’ai passé des concours pour des professions paramédicales dont celui de sage-femme. Je ne savais pas du tout ce que c’était. Dans un CIO, j’ai ouvert une brochure de type « Que faire après un bac D » ! J’ai du mal à dire pourquoi j’ai choisi ce métier.

En cherchant bien, on peut trouver plein de raisons. Ou aucune. Peut-être que mon expérience de sauveteur en mer en Bretagne m’a amené à être sauveteur « en mère » ? Sinon, je suis issu d’une famille de 5 enfants, j’ai donc vu souvent ma mère partir pour la maternité et revenir avec un petit frère ou une petite sœur. Je ressentais peut-être de l’inquiétude. Je ne sais pas.

Au cours de mes études, je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup soigner les gens.
Aujourd’hui, j’aime participer à ce moment très riche qu’est l’accouchement.
Je prends part à un moment clé de la vie des gens. Cela donne une dimension exceptionnelle au travail.

Comment avez-vous vécu votre formation ?

J’étais seul dans toute l’école pendant les quatre ans de ma formation.
C’était difficile parfois ! C’était une formation à l’ancienne avec une sœur comme directrice qui me courrait après parce que j’avais les cheveux longs. Elle voulait que je les coupe, que je me rase ! Par contre je m’entendais très bien avec les filles de ma promotion, c’était très sympa.
On finit par oublier qu’on est un homme. Je ne suis pas toujours en train de me dire je suis le seul homme au milieu de femmes. On finit par oublier son identité sexuelle, on est concentré sur un accouchement, un soin, une pathologie.

En tant qu’homme, avez-vous rencontré des difficultés dans votre vie professionnelle ?

Je n’ai pas de problèmes actuellement.
En revanche, quand je suis arrivé à Bagnols-sur-Ceze, une petite ville à 40 km au nord de Nîmes, il y a 16 ans, j’ai été perçu comme un extra-terrestre.

J’ai eu besoin de faire mes preuves. Quand je faisais des erreurs, c’était toujours attribué au fait que je sois un homme. Si je laissais traîner un paquet de compresses, je pouvais entendre : « ah, ça c’est bien les hommes ! ».
Ma présence et mes actions étaient repérables pour le meilleur et pour le pire.

Comment les femmes qui viennent à l’hôpital réagissent-elles ?

La première réaction c’est la surprise. Mais comme je travaille depuis longtemps dans le même hôpital, la surprise s’estompe. Les femmes qui viennent ici savent qu’il y a des hommes sages-femmes, nous sommes deux dans une équipe de 15.

Tout dépend des circonstances, les réactions sont différentes lorsqu’une femme arrive à l’hôpital pliée en deux de douleur ou plus sereine.
J’ai rarement ressenti du rejet, mais ça m’est arrivé. Quelques fois avec des femmes musulmanes et une fois avec une femme victime d’un viol. Je n’aime pas me retrouver à gérer ce genre de situation. Je fais partie d’une équipe, les femmes ne peuvent pas choisir qui va les prendre en charge.
En général, nous nous arrangeons pour ne pas stresser davantage la patiente, qui souffre et est là pour être aidée.

Comment réagissent les pères ?

Cela se passe très bien. J’apprécie beaucoup qu’ils soient présents.

Je leur donne une vraie place. J’avais organisé un groupe de paroles avec eux, qui fonctionnait bien. Je ne m’en occupe plus aujourd’hui, mais il est toujours en place. Il y avait des échanges très riches et les hommes se lâchaient un peu plus avec moi qu’avec des femmes sages-femmes.

Au-delà de vos compétences, ne vous manque-t-il pas l’expérience d’être une femme ?

Alors là, pas du tout ! L’écoute de la patiente n’a rien à voir avoir le sexe du soignant.
Bien sûr, je n’ai pas vécu dans ma chair ce que ressent une femme qui accouche. Mais comprendre la douleur, les intenses émotions, c’est accessible à n’importe quelle personne qui a de l’empathie.

Et puis il y a aussi des femmes sages-femmes qui n’ont jamais accouché. A mes jeunes collègues, les femmes posent souvent la question « est-ce que vous avez déjà eu des enfants ? ». C’est évidemment une question que l’on ne me pose pas.

Je ne dis jamais à une femme qui va accoucher « ça va bien se passer » ou « ça ne fait pas mal », sinon je vais me prendre une remarque du genre « qu’est-ce que vous en savez ? ».

Certains anesthésistes leur disent que les femmes accouchent depuis que le monde est monde sans péridurale et qu’elles peuvent bien souffrir un peu.
Lorsque les femmes me demandent si elle doivent faire une péridurale, je leur réponds que c’est à elles de choisir comment elles veulent accoucher. J’ai juste la réaction d’un soignant face à une personne qui souffre. Cela n’a rien à voir avec le fait d’être un homme ou une femme.

Les hommes sages-femmes peuvent-ils apporter quelque chose aux femmes ?

Pour cela il faut considérer que certaines qualités sont masculines et d’autres féminines, et je ne le pense pas.
Mais d’une certaine manière, mon vécu d’homme m’apporte une distance bénéfique.
J’ai le regard respectueux de celui qui assiste, qui est tolérant, qui ne va pas plaquer sur l’autre son propre vécu, ses propres idées.

Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE

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