Témoignages La « Marche des putes » à Mexico : « Non, c’est non ! »

Une manifestante © Guitté Hartog

A Mexico, des centaines de personnes, femmes et hommes confondus, ont participé le 12 juin 2011 à la Marche des putes pour défendre les droits des femmes et protester contre les violences qui leur sont faites. Guitté Hartog y était.

Je vis depuis 12 ans au Mexique, je suis naturalisée et me suis engagée à aimer ce pays pour le meilleur et pour le pire. Mais une des choses auxquelles vraiment je ne m’habitue pas en tant que femme qui prend pays, c’est ce fameux harcèlement machiste dans la vie quotidienne avec tous ses nuances, qui vont du regard subtil à l’agression violente, voire fatale.

La plupart de mes amies et de mes étudiantes ont renoncé à porter la jupe ou la robe, sauf lors d’occasions spéciales où elles seront accompagnées d’un homme pour les protéger. Car lorsqu’elles pratiquent le sport à l’air libre, ou simplement lorsqu’elles travaillent ou étudient, les hommes sont là dans la démonstration d’une virilité peu subtile. Les commentaires vulgaires et les attouchements empreints de misogynie rappellent aux femmes non pas qu’elles sont belles et désirables mais qu’elles sont des morceaux de viande à disposition de n’importe quel crétin qui peut se permettre de commenter leur apparence, de les violer et même de les tuer en toute impunité.

Cette situation n’est pas propre au Mexique. Preuve en est que l’initiative de la Marche des putes est née au Canada après l’intervention d’un policier, lors d’un séminaire sur les agressions sexuelles à l’université York de Toronto, expliquant comment les femmes devaient se vêtir pour éviter de provoquer les hommes et ainsi d’être violées. Et le fait que la marche fut reprise parce que jugée pertinente dans plusieurs grandes villes du monde montre que, malgré le fait que le macho mexicano soit en quelque sorte une appellation réservée, la violence sexuelle des hommes envers les femmes reste un problème récurrent dans une société patriarcale. Je ne sais pas s’il existe un lieu dans le monde où les femmes sont libres, aimées, et jouissent de leur sexualité sans avoir à se soucier d’être jugées ou être victimes de violence.

Mais au Mexique, la Marche des putes se déroule dans un contexte très grave de féminicides, de militarisation, de montée de la droite religieuse et de narco-trafic qui a provoqué plus de 40 000 décès, parmi lesquels beaucoup de jeunes gens innocents.
Il ne se passe pas une semaine sans qu’un fonctionnaire fasse un parallèle entre la longueur des jupes et le fait que les jeunes femmes soient agressées sexuellement, tombent enceintes, tentent d’avorter, soient emprisonnées ou retrouvées mortes dans le désert. En effet, les femmes assassinées de Juarez – et du reste du pays – sont souvent jugées comme des femmes de mauvaise vie. Et la vie d’une femme de mauvaise vie, ça ne vaut pas grand-chose finalement !

[nggallery id=27]

Des centaines de femmes, d’hommes et beaucoup de personnes des communautés LGBTTI (lesbienne, gay, bisexuelle, transexuelle, transgenre, intersexuée) ont participé à la Marche des putes à Mexico avec un message principal : « Non, c’est non ! ». Peu importe l’attitude ou les vêtements que les femmes portent.
En espagnol et particulièrement au Mexique, le mot puto est un adjectif péjoratif destiné aux hommes homosexuels ou efféminés. Sur plusieurs pancartes on pouvait lire : « PD solidaires des putes ». Victimes de cette même violence du mâle dominant, qui stigmatise ceux et celles qui ne répondent pas aux modèles traditionnels, les hommes dissidents sexuellement semblent comprendre plus aisément les revendications féministes d’en finir avec la domination masculine.
Certaines femmes étaient plutôt sexy, plusieurs sont venues avec mari et enfants et beaucoup sont venues avec des copines. L’ambiance était plutôt festive. « Il va tomber, va tomber, le machisme va tomber ! », « Ecoute-moi crétin, c’est moi qui décide par qui je me fais sauter (ou qui je saute) !», « Trou-de-cul ton père, ton frère, ton oncle, ton copain, ton cousin et tous les hommes de la terre qui agressent les femmes ! ».

Pour un moment, au milieu de l’obscurantisme, on sentait l’effervescence d’une révolution sexuelle que le Mexique n’avait jamais connue. L’effervescence de toutes ses personnes militantes qui ont soif de liberté, qui ont envie de vivre sans puritanisme ni exploitation sexuelle, et qui comprennent que la violence c’est la peur de certains hommes, alimentée par la haine. D’un peuple qui ne veut plus voir de militaires, de rosaires, de mitraillettes mais plus de jupettes de femmes libres, qui veulent vivre sans être harcelées.

Guitté Hartog, diplômée en psychologie sociale et professeure-chercheure à l’Institut de sciences sociales et humanités de l’université autonome de Puebla au Mexique. Elle est fondatrice du mouvement féministe Las Bigotonas.

print