Société 3919 : les appels doublent, les budgets rétrécissent

Campagne Tea party contre les violences conjugales 2010

Les appels au 3919 ont doublé en 2010. Le numéro d’écoute national Violences conjugales info 3919 a enregistré 50396 appels, soit 50,2% de plus qu’en 2009. La Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), qui gère le centre d’écoute depuis 19 ans, a publié le 25 juillet dernier les chiffres 2010 de la plateforme.

Pour la FNSF, cette forte augmentation est due aux campagnes de sensibilisation et aux débats médiatiques liés à la loi du 9 juillet 2010 (loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants) et au label Grande cause nationale 2010 (1) dédié aux violences faites aux femmes.

Deux clips de prévention ont semble-t-il déclenché des pics appels. Un premier, mettant en scène un petit garçon et une petite fille, dont on ne voit que les pieds, prenant le thé comme des adultes. Des mots puis la violence que l’on devine inspirés d’actions de leurs parents.

Les appels d’enfants depuis ce clip ont eux aussi doublé en 2010.

Le deuxième clip a fait notamment augmenter de 10% les appels des proches.

Et les appels ont globalement doublé parce que parler du 3919, c’est – en plus de sensibiliser les femmes, les enfants, les proches – faire connaître le numéro, le faire mémoriser.

En outre, les campagnes et les débats autour de la grande cause nationale et de la loi de juillet 2010 ont fait comprendre aux femmes et à leurs proches que les violences psychologiques étaient aussi des violences : 87,1% des appels en 2010 concernaient ce type de violences.

Les appels de femmes très jeunes (moins de 20 ans) aussi ont augmenté (+2%), rappelant que les violences dans les relations amoureuses peuvent commencer très tôt et que les campagnes fonctionnent aussi auprès des jeunes et qu’il est important de les relayer par internet et les réseaux sociaux.

46% des victimes qui ont appelé le 3919 ont effectué une démarche auprès des services de police ou de gendarmerie, mais le taux est en baisse de 7,2% par rapport à 2009. Et un tiers des victimes ont contacté un-e professionnel-le de santé, soit une baisse de 3%. « Il faudrait des analyses plus fines pour connaître les vraies raisons de cette baisse. Nous pouvons penser que les femmes ont peur ou qu’elles redoutent la difficulté de prouver les violences, notamment lorsque ce sont des violences psychologiques. Elles ne sont pas toujours bien reçues par les professionnels de santé ou les services de police. Mais il est aussi possible que les femmes sortent de la spirale de la violence plus tôt, et que du coup elles aient moins de preuves tangibles à faire constater », explique Françoise Brié, vice-présidente de la FNSF.

Des subventions qui baissent, moins d’hébergements d’urgence au 115…

Les campagnes de prévention et de sensibilisation font augmenter les appels et pourtant on peut déplorer qu’il y en ait si peu. Dans notre dossier sur les violences faites aux femmes, Annie Guilberteau, du Centre national d’informations des femmes et des familles, regrettait que la grande cause nationale n’ait pas assez été portée par l’Etat : « Une grande cause nationale est portée à la fois par l’Etat et par des associations. Le collectif a bénéficié de financements, mais insuffisants pour marteler son message tout au long de l’année comme nous le souhaitions. Une affiche a été diffusée dans la presse écrite mais nous n’avons pas eu les moyens de l’imprimer. Nous étions en négociation avec la RATP et Decaux mais, faute de crédits, nous avons dû renoncer à nos ambitions d’effectuer un affichage massif. […] En dehors de la grande cause, des moyens financiers doivent être garantis aux associations intervenant auprès des femmes victimes. »

Et, c’est bien là que le bât blesse. Des campagnes et des moyens pour les associations de terrain sont vitaux. Or, d’après Françoise Brié, « un grand nombre d’associations sont en insécurité financière et ne savent plus comment boucler leurs budgets ou ont des problèmes de déficit. Certains centres d’hébergement et de réinsertion sociale ont de vrais problèmes et sont obligés de licencier, de se restructurer ». En juillet 2011, un an après la loi du 9 juillet 2010, l’association dénonçait dans un communiqué de presse « une loi encore peu appliquée et sans moyens », et pour les associations du réseau « d’importantes baisses de financement pour leurs centres d’hébergement et leurs lieux d’accueil et d’écoute ».

Des baisses de subventions qui rendent plus difficiles la gestion et le fonctionnement des associations et provoque également la fermeture d’hébergements d’urgence. Notamment au 115, le numéro d’appel gratuit du Samu social (2), qui permet aux sans-abri de trouver un hébergement pour la nuit. Des lits bien utiles aussi aux femmes qui doivent quitter précipitamment leur domicile.

« La nouvelle nous a bouleversé-e-s. Parmi les 69 associations du réseau FNSF, certaines ont reçu des femmes qui ne pouvaient plus être hébergées par le 115. Nous avons demandé que ces femmes soient hébergées en priorité, mais dans certains départements il n’y avait vraiment plus de places, il a fallu activer nos réseaux locaux », se souvient Françoise Brié. Elle ajoute : « Il nous faudrait des hébergements d’urgence spécifiques dans tous les départements. » C’est une recommandation récurrente de la FNSF, qui en parle dans son livre blanc publié au mois de mai dernier.

Alors que la tendance serait plutôt au regroupement, aux fusions de structures dans un système plus global, les spécificités de l’écoute et de l’accueil sont des conditions indispensables aux femmes victimes de violences conjugales. C’est ce qu’ont voulu faire entendre les écoutantes du 3919 à Roselyne Barchelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, lors de sa visite à la plateforme d’écoute le 26 juillet dernier.
« Nous lui avons rappelé l’importance des campagnes de prévention et que notre spécificité est l’accompagnement des femmes, avec pour arrière fond les inégalités femmes/hommes,
explique Françoise Brié. Nous n’avons pas besoin de structures de taille importante, mais plutôt de structures dédiées aux femmes, on ne peut pas fusionner avec d’autres organismes qui n’auraient pas les mêmes spécificités. Nous proposons une écoute, des réponses et des orientations pour les femmes, opérées par des écoutantes professionnelles qui se forment continuellement. Nous avons besoin d’expertise, d’un positionnement très clair, de temps. » Et d’argent.

Catherine Capdeville – EGALITE

(1) Ce label permet aux associations membres d’un collectif constitué pour l’occasion un accès privilégié aux médias pour diffuser des campagnes de communication. 25 associations ont commencé un travail dès 2009 pour obtenir le label Grande cause nationale pour l’année 2010.

(2) Les restrictions budgétaires et les nouvelles orientations du gouvernement prévues pour le Samu social ont provoqué la démission de son fondateur, Xavier Emmanuelli, en juillet dernier.


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