Société L’enseignement de SVT n’abordait qu’une naturalité des différences

Détail de la couverture du livre « La place des femmes dans l'histoire »

La polémique concernant l’introduction de la notion de genre dans les manuels de sciences de la vie de la Terre (SVT) pour les classes de première ES et L à la rentrée a commencé dès le mois de juin.
Politiques, associations, syndicats d’enseignants, chercheur-euse-s ont réagi vivement aux demandes de censure de Christine Boutin, et de 80 députés UMP.
Le 3 février 2011, nous avions publié une interview de Louis-Pascal Jacquemond, co-auteur du manuel La Place des femmes dans l’histoire – Une histoire mixte, publié chez Belin à l’initiative de l’association Mnémosyne. Le seul manuel a destination des enseignants qui abordait une matière sous l’angle des femmes. Dans une interview du 1er septembre dernier (« Enseigner le genre dans les cours de SVT est une avancée formidable ») , Florence Rochefort évoquait elle aussi cet ouvrage.
Nous avons choisi de publier aujourd’hui une partie de l’article « Il faut aborder l’enseignement de l’histoire sous un angle mixte », dans lequel Louis-Pascal Jacquemond parlait de pallier le manque d’analyse des rapports hommes/femmes dans l’enseignement. Pour lui, seuls les cours de SVT abordaient ces rapports, mais sous un angle naturaliste qu’il jugeait dangereux. Le nouveau chapitre sur le genre dans les nouveaux manuels de SVT semble avoir exaucé une partie de ses vœux.

« Il faut aborder l’enseignement de l’histoire sous un angle mixte »

L’association Mnémosyne est à l’initiative du manuel La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, paru chez Belin en octobre 2010. Cette association a pour objectif de développer l’histoire des femmes et du genre.
Introduisant une dimension féminine dans l’histoire, de l’Antiquité à nos jours, cet ouvrage s’adresse avant tout aux enseignants.

Membre de Mnémosyne, Louis-Pascal Jacquemond fait partie des 33 historien-ne-s qui ont rédigé le manuel. Il est agrégé d’histoire, diplômé en droit et en géographie, docteur de troisième cycle en histoire contemporaine. Il a été instituteur, professeur, puis inspecteur d’académie jusqu’en 2010.

Quelle est la genèse de ce manuel ?

Le projet est à l’initiative du collectif Mnémosyne, un groupement d’historiens dont le noyau dur était constitué au départ d’historiennes autour de Michelle Perrot, de Françoise Thébaud…
Ce projet nous tenait à cœur depuis sept ou huit ans et nous avons contacté plusieurs éditeurs, sans succès. Nous avons été soutenus par la région Ile-de-France et Belin a trouvé que notre initiative correspondait chez eux à un projet d’ouvrages destinés aux enseignants pour épauler les manuels scolaires.

Qu’est-ce qui a motivé la création de cet ouvrage ?

D’abord un aspect militant. Nous considérons que la dimension du genre et des femmes est très insuffisamment enseigné en histoire et que la vulgarisation des connaissances sur l’histoire des femmes mérite d’être développée.

L’histoire des femmes est devenu un champ de recherche et de publications reconnu, et dans les enseignements universitaires, le genre a été bien introduit. Parmi les questions du Capes ou de l’agrégation par exemple, il n’est pas rare que certaines abordent la question des femmes. Mais ce qui me gène c’est que le sujet des femmes ne soit considéré que comme une partie de l’histoire et non comme une focale. Alors qu’implicitement on enseigne l’histoire sous la focale hommes.

Malgré les progrès observés dans l’enseignement supérieur, les manuels scolaires, de l’école primaire au lycée, n’abordent l’histoire que sous un angle masculin.
J’étais inspecteur d’académie chargé notamment des programmes d’histoire et géographie. Nous n’étions que quelques-uns à vouloir faire bouger les programmes.

L’ouvrage s’adresse aux enseignants. Or, ceux-ci se plaignent souvent de programmes surchargés, ne craignez-vous pas une réticence à l’égard de ce qui pourrait leur sembler une « charge » supplémentaire ?

L’ambition du livre c’est de montrer aux enseignants que sur le même thème on peut avoir une autre focale et entrer par le sujet des femmes. Nous ne voulons pas alourdir les programmes.

On peut, par exemple, enseigner le 19e siècle en parlant des femmes peintres et écrivains, ça ne coûte rien. Ou la Révolution française à partir des portraits de femmes d’Arthur Young, un anglais qui circule en France de 1787 à 1789. Ses portraits de paysannes suffiraient à parler de leur activité, de l’agriculture, à décrire la société, les rapports de pouvoir, les rapports à la terre. Cela ne constitue pas un changement radical de l’enseignement de l’histoire, c’est juste une approche différente.

Dans la préface du livre, Michelle Perrot estime que « proposer une histoire mixte peut faire comprendre aux garçons et aux filles d’aujourd’hui le présent parfois énigmatique de leurs relations » ?

J’en suis convaincu. Au travers d’un tel enseignement, il y a une finalité civique très forte. Il faut permettre aux filles et aux garçons de ne pas reproduire de manière implicite une culture inscrite dans un modèle de domination masculine, dans l’idée qu’il y a des assignations sexuées et que certains métiers se déclinent obligatoirement au masculin. C’est important que dans l’enseignement il y ait des figures exemplaires.

La seule matière enseignée dans laquelle on aborde les rapports hommes-femmes, c’est en SVT (sciences de la vie et de la Terre) avec l’enseignement de la reproduction humaine et de l’éducation sexuelle. Le problème c’est que l’on parle d’une naturalité des différences. Les femmes portent les enfants, il peut donc être perçu comme naturel par les élèves le fait qu’elles s’en occupent. Si d’autres matières n’abordent pas l’égalité des sexes ou l’analyse des rapports hommes-femmes, l’approche « naturelle » peut-être dangereuse.
Si l’enseignement, et pas seulement en histoire, ne crée pas suffisamment de références masculines et féminines on ne fera que reproduire les stéréotypes, les pratiques actuelles. Le plafond de verre que subissent les femmes actuellement fonctionne en grande partie à cause de cela.

Propos recueillis par Catherine Capdeville – EGALITE

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