Contributions Sénatoriales 2011 : victoire de la gauche, défaite de la parité

Mariette Sineau

Historiques, les sénatoriales du 25 septembre dernier l’ont été à double titre. Marquées par l’alternance à gauche – une première sous la Ve République – ces élections au suffrage indirect ont eu pour autre particularité d’entraîner une régression du nombre et du pourcentage de femmes élues.

C’est dire si le changement politique s’est fait au mépris de l’égalité entre les sexes. Avant le scrutin, 80 femmes siégeaient sur les bancs du Sénat sur 341 sièges pourvus, soit 23,5%. On n’en compte plus que 77 sur 348 soit 22,1%.

Alors que depuis la loi du 6 juin 2000 dite sur la parité, tous les renouvellements précédents (2001, 2004, 2008) avaient laissé voir un processus lent mais régulier de féminisation, en 2011 la régression est à l’ordre du jour. Recul encore illustré par le fait que les femmes représentaient 31,9% des sortants et qu’au soir du scrutin elles ne sont plus que 28,8% parmi les nouveaux élus (soit 49 élues sur 170 sièges).

Des facteurs pourtant réunis pour assurer une progression des femmes

Résultat d’autant plus paradoxal que des sénatoriales de 2011 on était en droit – précisément – d’espérer une nouvelle progression des femmes au Palais du Luxembourg. Une conjonction de facteurs prêtait crédit à cette hypothèse : part inédite de femmes au sein du collège électoral des grands électeurs ; renouvellement par moitié du Sénat (contre un tiers auparavant) ; poussée attendue de la gauche (phénomène qui, lors des scrutins précédents, avait toujours eu partie liée avec une progression de la part des élues) ; augmentation du nombre total de sièges (plus cinq) ; enfin et surtout, deux tiers des sièges à renouveler (soit 112 sur 170) l’étaient à la proportionnelle de liste avec obligation de parité des candidatures femmes/hommes en alternance, contre un tiers au scrutin majoritaire, libre de toute contrainte paritaire.

Certes, les résultats du scrutin montrent que la cinquantaine de femmes élues au soir du 25 septembre l’ont été principalement au scrutin proportionnel de liste : c’est le cas de 39 d’entre elles, contre 10 au scrutin majoritaire, le plus « dur » aux femmes, car favorisant les notables en place.

Pour autant, dans les départements où l’élection a eu lieu à la proportionnelle, la parité obligatoire des candidatures a été loin de déboucher sur l’égalité numérique entre élus des deux sexes. Plus grave, en termes d’évolution, la dynamique est négative : la part d’élues à la proportionnelle de liste a reculé, passant de 38,9% parmi les sortants à 34,8% parmi les nouveaux élus.

Seules 22 listes sur 137 conduites par des femmes

Comment expliquer cette défaite historique de la parité ? Sont ici en cause des pratiques de dévoiement de l’esprit de la loi de la part des partis, pourtant responsables, au terme de la Constitution, de la mise en œuvre du dispositif paritaire.

Deux stratégies ont montré leur efficacité pour barrer aux femmes l’entrée de la Chambre haute. La première consiste à réserver autant que faire se peut la tête de liste aux hommes. Cette asymétrie au sommet affecte à la baisse le taux de réussite des candidates, surtout sur des listes courtes, où seuls parfois les premiers ou deuxièmes de liste sont en position éligible.

Sur un total de 137 listes, seules 22 étaient conduites par une femme, soit 16%, une proportion qui est loin d’être toujours atteinte sur les listes pouvant escompter au moins un élu. L’autre technique éprouvée de résistance aux normes paritaires, plus largement utilisée à droite qu’à gauche, consiste à créer des listes dissidentes. Plutôt que de risquer la défaite en étant en 2e, 3e ou 5e position sur la liste officielle du parti, certains sortants préfèrent prendre la tête d’une liste dissidente, postulant que leur notoriété est une ressource suffisante pour se faire réélire. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, Isabelle Balkany, en 4e position sur la liste UMP, doit sa défaite au succès de la liste dissidente conduite par le sortant Jacques Gautier, qui a obtenu sa réélection.

Ces perversions de l’objectif paritaire permettent de comprendre pourquoi, en dépit d’un contexte favorable, les sénatoriales de 2011 ont signé la défaite des femmes.

Le PC et EELV les plus féministes

Cependant, tous les partis ne sont pas irrespectueux du principe de l’égalité entre les sexes. Parmi les plus féministes, le PC, qui compte plus de femmes que d’hommes parmi ses nouveaux élus (9/16) arrive en tête. Europe Ecologie-Les Verts, quant à eux, se donnent à voir comme strictement paritaires, puisqu’ils affichent 5 femmes sur 10 élus. Le PS, qui totalise pourtant les gains en sièges les plus importants, compte moins d’un tiers de femmes parmi ses nouveaux élus (19/61), une proportion en quasi stagnation. Il fait cependant mieux que l’UMP, qui avec seulement 20% d’élues (alors qu’il en recensait 28% avant l’élection) arrive bon dernier des partis de gouvernement.

Paradoxe avéré des sénatoriales du 25 septembre 2011, la Chambre haute se ferme aux femmes à l’heure même où le collège sénatorial se féminise. La parité apparaît bien comme une sorte de mirage… un objectif qui semble à portée de main tout en restant inaccessible.

Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Dernier ouvrage paru : Femmes et pouvoir sous la Ve République, Presses de Sciences Po, 2011.

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