Assises 2011 de l'IEC On ne naît pas scientifique, on le devient

Véronique Chauveau le 17 octobre 2011 aux Assises de l'IEC © IEC

L’Institut Emilie-du-Châtelet a organisé les 3, 10, 17 et 24 octobre 2011 ses Assises 2011. Cette année, elles avaient pour thème l’éducation à l’égalité entre les sexes.


EGALITE, partenaire de cette action, publie des contributions d’intervenant-e-s et des articles sur les différents thèmes abordés.

 

Véronique Chauveau, de l’association Femmes et mathématiques, a co-organisé avec Danielle Gondard et Catherine Vidal la journée du 17 octobre, intitulée « On ne naît pas scientifique, on le devient ». Elle revient sur les leviers de la construction d’un esprit scientifique et sur les clichés qui interdiraient aux femmes de développer le leur.

Véronique Chauveau le 17 octobre 2011 aux Assises de l'IEC © IEC

En 2007, les résultats d’une enquête (1) sur « l’éveil des vocations scientifiques » ont été publiés. Trois cents scientifiques, de disciplines différentes, chercheur-e-s et professeur-e-s, jeunes ou moins jeunes, connu-e-s ou inconnu-e-s, ont répondu à la question « Comment devient-on scientifique ? », au moyen de questionnaires élaborés à partir d’interviews permettant de comprendre comment naît et se nourrit la vocation des grands savants d’aujourd’hui et de ceux de demain.

L’intérêt pour les sciences est le résultat de plusieurs facteurs, mais la moitié des personnes interrogées mentionnent toujours en premier le rôle des parents, des proches, puis de l’école primaire. Plus tard, une rencontre avec un professeur génial a changé leur vie. Dans 55% des cas un excellent professeur a joué un rôle essentiel dans la vocation, parfois comme initiateur, parfois en renforcement d’un intérêt né dans la jeunesse.

La démarche scientifique se construit dès l’enfance

L’apprentissage de la démarche scientifique se construit tout au long de la vie et commence dès la petite enfance dans la famille et à la crèche. Déjà tout petit, l’enfant expérimente dans ses jeux. L’encouragement de sa curiosité lui donnera la volonté de comprendre, tandis que la maîtrise du langage lui permettra de poser ses questions et de formaliser leurs réponses.

Plus tard, l’enseignement apportera les outils de l’expérimentation fondée sur des hypothèses de travail et formera à la démonstration par le raisonnement. Cet apprentissage permettra de maîtriser la démarche scientifique commune aux sciences humaines et sociales et aux sciences dures.

Rien dans tout cela ne permet de penser qu’une différence puisse apparaître entre garçons et filles dans la construction d’un esprit scientifique.

Avec les progrès des connaissances en neurosciences, on pourrait espérer que les idées reçues sur les différences biologiques entre les hommes et femmes ont été balayées. Ce n’est manifestement pas le cas dans notre réalité quotidienne. Médias et magazines continuent de nous abreuver de vieux clichés qui prétendent que les femmes sont « naturellement » bavardes et incapables de lire une carte routière, alors que les hommes seraient nés bons en maths et compétitifs.

Ces visions déterministes font le succès des ouvrages de certains psychologues peu scrupuleux qui prétendent expliquer les problèmes de communication entre hommes et femmes. Il est temps de replacer le débat autour de la différence des sexes sur un terrain scientifique rigoureux au-delà des stéréotypes et des préjugés.

L’intitulé de cette journée, « On ne naît pas scientifique, on le devient », insiste sur l’importance de l’acquis dans les comportements. La question de la part de l’inné et de l’acquis revient régulièrement sur le devant de la scène. En particulier pour les mathématiques, la notion de « bosse des maths » fait encore recette.

Elle perdure dans la tête des élèves, des parents et fait des ravages : soit on pense avoir la bosse des maths et dans ce cas, pas besoin de travailler, soit on pense ne pas l’avoir et dans ce cas aussi pas besoin de travailler parce qu’on n’y comprendra jamais rien.

Il est difficile d’estimer la part de l’inné mais ce qu’on peut affirmer c’est que, à la naissance, seuls 10 % de nos 100 milliards de neurones sont connectés entre eux.

Les 90 % des connexions restantes vont se construire progressivement au gré des influences de la famille, de l’éducation, de la culture, de la société grâce à la plasticité cérébrale.

Dans l’éducation, les sollicitations adressées aux filles et aux garçons sont différentes

Dès la naissance, la famille s’adresse à l’enfant nouvellement né de manière différente suivant qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Plus tard, les jeux proposés ne sont pas les mêmes : Les jouets des garçons sont des jeux électroniques, des jeux d’aventure, de combat, de construction, qui développent leur imagination alors que les jouets des filles servent à imiter la maman et sont du domaine esthétique, maternel ou domestique.

A la crèche, à l’école, au collège et aussi au lycée, les sollicitations adressées aux filles et aux garçons sont différentes.

Et pourtant, les enseignant-e-s vivent sur le mythe de l’école laïque, républicaine et égalitaire.

La mixité a été rendu obligatoire en 1975 pour des raisons économiques, mais la co-éducation n’avait pas été pensée. Il semblerait même que la mixité renforce les stéréotypes.

Dans leur scolarité, les filles réussissent en moyenne mieux que les garçons, mais au moment des grands paliers d’orientation, elles sont encore peu nombreuses à se diriger vers les formations les plus valorisées sur le marché du travail, en particulier vers les filières scientifiques et techniques. Les femmes sont sous représentées dans les carrières scientifiques et techniques. Quelles explications pouvons-nous donner ?

De nombreuses recherches ont montré l’extrême variabilité des traits psychologiques et des rôles sociaux des hommes et des femmes selon les sociétés, les époques et les groupes sociaux. Les différences entre les sexes ne sont pas la conséquence d’une « nature » qui se développerait spontanément en chacun, mais sont le produit d’une construction sociale.

Les garçons reconnaissent plus aisément leur intérêt et leur réussite dans les matières scientifiques, les filles, en revanche sous-estiment nettement leurs compétences et marquent leur préférence pour les secteurs traditionnellement considérés comme « plus féminins » : littérature, arts, etc.

Les femmes, un vivier mal exploité dans les pays occidentaux

Conséquence logique de cet état de fait, les garçons sont plus nombreux que les filles à affirmer leur attirance pour une profession scientifique. Même quand elles sont convaincues de leur propre valeur dans les matières scientifiques, les filles osent cependant moins que les garçons déclarer une vocation scientifique.

Une réelle égalité dans le domaine des sciences et des techniques est un enjeu d’autant plus prioritaire que se manifeste une désaffection des jeunes pour les études scientifiques.

Ainsi, alors qu’en 1996, 22 % des bacheliers issus de terminale scientifique se dirigeaient vers les études supérieures non scientifiques, en 2008, ils et elles sont 31%.

Or, la société du XXIe siècle est confrontée à de grands défis qui nécessitent, pour être relevés, la mise en œuvre de connaissances scientifiques et de solutions technologiques les plus avancées et des personnels qualifiés.

« Pour sortir renforcée de la crise économique et financière actuelle, l’Europe s’est fixée des objectifs à l’horizon 2020 de croissance intelligente, grâce à une économie fondée sur la connaissance. Pour cela la Commission recommande aux Etats membres de « produire suffisamment de diplômés en sciences, mathématiques et ingénierie » » (2). Or, le vivier des femmes est aujourd’hui insuffisamment exploité dans les pays occidentaux.

Les explications le plus souvent citées dans les nombreux rapports qui, depuis 2000, cherchent les raisons de la désaffection des jeunes, filles et garçons, pour les études scientifiques et techniques sont : l’image des scientifiques, l’image des sciences, une rémunération peu attractive, la complexité de ces études…

La réforme du lycée engagée en 2010-2011 en classe de seconde risque de diminuer encore le sentiment de compétences en mathématiques des jeunes, filles et garçons, et donc d’avoir de fâcheuses conséquences sur leurs choix d’orientation.

Agir auprès des jeunes filles et des personnes qui les influencent

Les représentations stéréotypées de la société et le manque d’information sur les études et les carrières ont également une forte influence sur les choix d’orientation des élèves.

Les modèles auxquels s’identifier font cruellement défaut : quand on est une adolescente et qu’on manque de confiance en soi, Marie Curie avec ses deux prix Nobel n’est pas un modèle facile à suivre…

Pour promouvoir les sciences, les techniques et les mathématiques chez les filles, il convient d’agir auprès des jeunes filles, mais aussi de celles et ceux qui les influencent, parents et monde éducatif (enseignant-e-s et conseiller-ère-s d’orientation- psychologues…).

Des femmes des associations Femmes & sciences, Femmes et mathématiques et Femmes ingénieurs, vont dans les classes de lycées et collèges pour témoigner de leur profession et de leur parcours. Elles ont développé plusieurs outils de présentation des métiers scientifiques et techniques et créé le site Elles en sciences, spécialement destiné aux jeunes filles (bien évidemment consultable aussi par des garçons !) présentant des témoignages de professionnelles, des conseils et une possibilité de « marrainage » des jeunes filles.

Véronique Chauveau

 

(1) Comment devient-on scientifique ? Enquête sur la naissance d’une vocation, Florence Guichard EDP Sciences

(2) « Europe 2020 / Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive », communication de la Commission européenne du 3/3/2010, COM(2010) 2020.

 

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