Non classé Vers une ville plus émancipatrice pour les femmes ?

Une femme en ville

Article paru dans le numéro de décembre d’Altermondes sous le titre Participation des habitants, quel genre de ville durable ?

Une femme en ville

Les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes rôles, les mêmes responsabilités et les mêmes contraintes dans la vie courante. Elles et ils vivent donc l’espace urbain différemment.

Bien entendu, le niveau socio-économique, l’âge et d’autres facteurs, variant selon le contexte (l’origine ethnique, la nationalité, la religion, la caste, le degré de validité physique, etc.), influencent aussi l’usage de la ville, mais le genre est un facteur transversal qui détermine la manière dont on s’approprie la ville.

Quelques faits semblent universels, comme le rapport différent des femmes à la mobilité : elles utilisent davantage les transports en commun et pratiquent plus la marche à pied que les hommes. Ou encore leurs contraintes de temps : il leur est difficile de conjuguer le travail et les tâches familiales, elles mènent des activités plus sociales et communautaires que les hommes.

Elles anticipent enfin les dangers, ce qui les amène à limiter ou changer leur mobilité, au moins à certains moments de la journée. Ces facteurs créent des usages spatiaux différents.

Or, comme les femmes sont sous-représentées dans les diverses instances décisionnelles et institutionnelles, leurs spécificités par rapport à la manière de «vivre la ville» sont peu prises en compte, alors même qu’une approche transversale par le genre permettrait de produire les conditions de réalisation d’une ville émancipatrice et inclusive.

Si, globalement, la participation citoyenne à la démocratie urbaine est en hausse, les femmes peinent encore à y trouver leur place et à y faire entendre leurs intérêts et envies spécifiques.

Des initiatives

Depuis trois décennies, des programmes et politiques urbains expérimentent l’inclusion des besoins et intérêts des femmes, notamment en Amérique Latine et en Asie. Ainsi, dès les années 1980, le réseau Femmes et habitat, en Amérique Latine, commence à travailler sur tous les aspects de l’habitat populaire, l’objectif étant de montrer que les organisations populaires et les femmes compensent en travail gratuit l’absence des services urbains (eau, logement, garderies, restaurants…).

Marie-Dominique de Suremain, d’Enda Europe, se souvient des expériences menées en Colombie. En 1991, la nouvelle Constitution instaure des conseils territoriaux composés de représentants de la société civile pour donner un avis sur le plan d’action que le maire présente au conseil municipal. Cet avis n’est que consultatif mais les femmes luttent pour leur place dans cette instance.

A Medellin, la Table des femmes décide d’agir en amont en organisant un forum, avant chaque élection municipale, pour présenter ses propositions aux candidats. C’est ainsi qu’en 2000, le premier agenda des femmes pour Medellin critique les privatisations, réclame plus de services sociaux ainsi que la baisse des coûts de l’eau et l’électricité. La municipalité adopte alors un programme spécifique (Metromujer, pour l’aire métropolitaine), puis, après 2007, crée un secrétariat aux Femmes, qui « négocie » avec le mouvement la mise en œuvre d’actions nouvelles.

A Bogota, un secrétariat aux Femmes voit également le jour, qui initie de nombreux projets, notamment des maisons des femmes de quartiers et des plans sur les violences dans l’espace public, comme dans les transports publics. En parallèle, le plan d’aménagement territorial, est revu complètement et retravaillé par une équipe «genre».

En 2006, réuni à Vancouver (Canada), le Forum urbain mondial reconnaissait la contribution continue, en temps et en ressources, des femmes à la durabilité des villes et des collectivités. Il ne faut pas en rester à la simple reconnaissance des efforts – souvent bénévoles – des femmes, qui viennent compenser les défauts des politiques publiques.

Il faut allouer des budgets conséquents à leurs besoins, leur laisser dire leur mot dans la planification urbaine et évaluer explicitement les retombées sur la vie des habitantes et des habitants… La prise en compte du genre reste un défi central pour toutes les parties prenantes de la ville, y compris les partenaires de la solidarité internationale et la coopération décentralisée.

Catherine André et Elisabeth Hofmann, Genre en action et Institut d’aménagement, de tourisme et d’urbanisme (Iatu, université Bordeaux 3)

print