Aucune catégorie Egypte : Des journalistes entre le marteau et l’enclume

Siège du Syndicat des journalistes égyptiens, au Caire

Siège du Syndicat des journalistes égyptiens, au Caire

Siège du Syndicat des journalistes égyptiens (EJS), dans le centre du Caire.

En ce soir de fin octobre 2011, il règne une atmosphère tendue au siège du Syndicat des journalistes égyptiens (EJS), en plein centre du Caire, où l’on attend les résultats du scrutin pour le renouvellement de son conseil d’administration.

Les femmes, nombreuses dans la foule qui attend la fin du dépouillement, se montrent inquiètes au fil des heures, au fur et à mesure que les résultats partiels confirment l’avance de Mamdouh Al-Wali, un « proche des Frères musulmans », pour le poste de président.

« Les élections ont dû être retardées de trois semaines. Et il y a eu beaucoup de rumeurs, de mensonges… », raconte Selma, journaliste dans l’un des titres du groupe Al Ahram. Certains évoquent le retour aux pratiques de l’ancien régime, quand les proches de Moubarak circulaient dans les salles de rédaction pour mettre en garde contre l’attitude de tel ou tel confrère.

A la télévision, le lien entre pouvoir politique et hiérarchie journalistique n’a visiblement pas été rompu : le 9 octobre 2011, alors que la répression d’une manifestation causait la mort de 24 personnes place Maspéro, les chaînes gouvernementales ont appelé la population à descendre dans la rue pour protéger l’armée, soi-disant attaquée par les coptes. « Le ministre de l’Information a reconnu qu’il y avait eu des erreurs et annoncé une enquête : on l’attend toujours ! », dénonce une journaliste indépendante devant le siège du syndicat.

En Egypte, les métiers de l’information s’ouvrent progressivement aux femmes. Selon l’EJS, elles représentent aujourd’hui plus du tiers des journalistes en poste, environ la moitié de ceux qui exercent dans l’audiovisuel et jusqu’aux trois quarts des étudiant-e-s en journalisme !

Mais on ne trouve plus que 10 % de femmes, toujours selon le syndicat, aux postes à responsabilités. Et à la télévision, à compétences égales et pour des horaires de travail identiques, on estime que les femmes gagnent 30 % de moins que leurs collègues masculins.

Mêmes inégalités dans l’accès aux responsabilités syndicales. Sur ses douze membres, le conseil d’administration de l’EJS ne compte, à l’issue des dernières élections, qu’une seule femme, comme précédemment : Abir Saady. Pour celle-ci, la priorité est aujourd’hui de « former les journalistes (…) [qui] ont des lacunes abyssales en matière de déontologie et de technologies de l’information. (…) Le plus gros problème, c’est la mentalité que nous avons développée. Le cerveau des journalistes lui-même doit faire sa révolution », a-t-elle déclaré sur le blog d’une journaliste indépendante.

Après la révolution, les experts sur les plateaux de télévision sont redevenus des hommes

Les résultats définitifs des élections au conseil d’administration de l’EJS ont confirmé les prévisions. Et Mamdouh Al-Wali, journaliste économique à Al-Ahram, a bien été élu président, alors qu’il passe pour un sympathisant des Frères musulmans. L’intéressé s’en défend et prend plaisir à faire remarquer que les quatre candidats « officiels » des Frères n’ont pas été élus. « Il a bonne réputation, l’image de quelqu’un d’honnête et de non corrompu », reconnaît Selma pour expliquer son succès dans l’ère de l’après-Moubarak.

« Il ne sera plus question de ménager le gouvernement, a déclaré le nouveau « patron » des journalistes, fraîchement élu, dans une interview à l’hebdomadaire francophone Al-Ahram Hebdo. Nous exercerons toutes sortes de pressions sur le gouvernement en vue de l’annulation des articles de loi qui permettent l’incarcération des journalistes inculpés dans des délits d’expression. Nous cherchons à apporter [aux blogueurs] un soutien moral et à les défendre sur les pages des journaux. »

De fait, le 17 décembre 2011, le Syndicat des journalistes a publié un communiqué pointant la responsabilité du Conseil supérieur des forces armées dans la répression des manifestations et demandant la création d’une commission d’enquête indépendante.

Les craintes des journalistes féministes seraient-elles infondées ? Lors d’un colloque organisé en décembre dernier à Paris par la Fondation des femmes pour la Méditerranée, Azza Kamel, de l’association Appropriate Communication Techniques for Development, dressait un constat plutôt inquiétant : « Après la révolution, on a vu beaucoup de jeunes femmes sur les plateaux de télévision. Et puis, les experts sont progressivement redevenus des hommes. Et on voit de plus en plus de salafistes sur les plateaux. »

En attendant, la journaliste Bouthaina Kamel, bien connue en Egypte pour son émission de radio Confessions nocturnes, a annoncé son intention de se présenter à la présidentielle. Son ambition ? Représenter « tous les laissés-pour-compte : bédouins, coptes, ouvriers, paysans, femmes… »

Philippe Merlant – EGALITE

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