Chroniques Le blog de Patric Jean : Le lynchage de Caroline Fourest

J’avais assisté l’an dernier à la soirée de remise des « Y’a bon awards ». La cérémonie pleine d’humour et de second degré consistait à remettre à des personnalités des prix pour les horreurs racistes qu’elles avaient pu prononcer durant l’année. Le trophée était en forme de banane.

Un florilège était présenté en vidéo pour chaque catégorie et il m’aurait parfois été difficile de faire un choix si j’avais été juré, tant les discours choisis étaient violents, bêtes et méchants.

Mais voilà que nous apprenons le 20 mars qu’une des gagnantes de ce prix réservé à des personnes racistes n’est autre que Caroline Fourest. On pourrait penser à une erreur ou une plaisanterie tant celle-ci est justement connue, entre autres choses, pour ses discours anti-racistes, anti-sexistes, anti-homophobes.

Une courte recherche sur la toile vous fait alors découvrir des tombereaux d’insultes réservés à Caroline Fourest de la part de personnes qui semblent pourtant appartenir à des mouvements progressistes. On connaissait déjà les insultes et menaces dont elle était l’objet de la part de l’extrême-droite, ce qui est, ma foi, assez prévisible. Mais cette fois, ce sont ceux-là mêmes qui devraient la défendre qui s’en prennent à elle avec une violence inouïe qui s’apparente à un lynchage.

Qu’a donc fait ou dit Caroline Fourest pour ainsi mériter pareil opprobre ?

Plusieurs questions semblent être au départ de la polémique :

– la question du voile,

– la question de groupes religieux anti-démocratiques,

– la question des statistiques ethniques.

La première est un piège. En tant que pro-féministe et défenseur de la laïcité, on peut sans difficulté comprendre que j’ai peu de sympathie pour cet objet, qu’il soit porté par des nones catholiques, des femmes musulmanes ou, dans sa version perruque, par des femmes juives religieuses.

Les religions ne sont pas à l’origine du patriarcat, elles l’on simplement intégré et structuré comme d’ailleurs la plupart des institutions laïques jusqu’à récemment. Leurs dogmes ont donc figé la vision d’infériorité de la femme en s’en prenant d’ailleurs souvent à ses cheveux, symbole de séduction. La femme est une tentatrice, une séductrice, un danger pour la spiritualité masculine. Il faut l’écarter, la cacher. Quant au pouvoir religieux, il ne se partage qu’entre hommes (comme le pouvoir tout court jusqu’à il y a peu dans la société occidentale).

Il n’est pas insultant pour des croyants de quelque religion, de dire que des pratiques séculaires se sont construites dans des sociétés qui étaient toutes patriarcales et qu’il faut un long combat pour faire évoluer nos mentalités à tous, tant dans les synagogues, églises et mosquées que dans les assemblées politiques, où les femmes font toujours figure d’exception.

Cependant, la question de voile prend un tour particulier lorsque l’on sait qu’il est porté par des femmes qui représentent une population particulière, à savoir issue massivement des quartiers populaires et des anciennes colonies. Le combat pour la laïcité peut donc offrir à ceux pour qui ces deux populations sont une menace ou un objet de haine, une possibilité socialement acceptable d’exprimer leur ressentiment.

On a ainsi vu des hordes d’hommes devenir ultra pro-féministes le temps d’un combat contre le voile. Or, en tant que femmes, filles d’immigrés et membres de classes populaires, les filles qui le portaient subissaient de toute évidence mille autres injustes qu’il aurait aussi fallu dénoncer. Or là, plus grand monde à part quelques vrais militant-e-s féministes, de gauche, dont Caroline Fourest justement.

Le second point concerne des groupes religieux qui peuvent inquiéter. Il est légitime, dans un combat pour la démocratie et la laïcité de dénoncer des groupuscules radicaux, qui ne représentent pas l’ensemble de leurs coreligionnaires mais jettent la désunion ou la haine en professant des valeurs incompatibles avec les idées de liberté, d’égalité et de fraternité. On ne peut que suivre Caroline Fourest quand elle dénonce l’augmentation du nombre d’écoles loubavitch, islamiques ultras ou catholiques intégristes, où l’on enseigne que Pétain était un héros et de Gaulle un traître. Des femmes franc-maçonnes l’ont dénoncé récemment de la même manière sans soulever le moindre commentaire outragé.

Depuis Voltaire, le combat contre les dogmes et ceux qui veulent en imposer le primat sur les valeurs communes de la démocratie n’a jamais cessé. Le chevalier de la Barre est mort supplicié parce qu’il ne s’était pas découvert au passage d’une procession. Un prélat espagnol a récemment affirmé que les femmes qui avaient subi un avortement méritaient d’être violées. Pas besoin d’aller en Arabie Saoudite pour entendre des horreurs contre les femmes dans la bouche de religieux. Caroline Fourest prend d’ailleurs très souvent le soin de citer des exemples tirés de différentes religions dans ses démonstrations.

Or, de toute évidence, des groupes religieux divers tentent de s’en prendre aux valeurs d’égalité entre femmes et hommes. La non-mixité de groupes féministes s’organisant politiquement pour leurs droits est une chose légitime. La volonté de séparer partout les corps des hommes et des femmes en est une autre.

Le Québec, société très nord-américaine sur ce sujet, a d’ailleurs connu une crise en 2007 qui a nécessité une enquête parlementaire à travers tous le pays. Les « accommodements raisonnables » vis-à-vis de pratiques religieuses avait en effet pris un tour particulier. Les responsables d’une synagogue très conservatrice avaient en effet exigé qu’une salle de sport jouxtant leur bâtiment place des stores sur ses fenêtres lorsque des femmes y pratiquaient la gymnastique. On peut se demander pourquoi ils ne les plaçaient pas sur leurs propres fenêtres.

Peu de temps avant, un petit scandale avait éclaté lorsque des religieux avaient demandé que les femmes ne puissent plus prendre le soleil en maillot dans un parc qu’ils aimaient fréquenter.

La laïcité est un principe qui protège la pratique et les valeurs religieuses de chacun en leur interdisant qu’elles ne s’imposent à ceux qui ne les désirent pas. Il n’y a là aucun racisme.

Enfin, les statistiques ethniques. Certains tentent d’importer d’Amérique du Nord la pratique des statistiques ethniques qui consiste à compter combien de blancs, noirs ou entre les deux sont représentés dans l’emploi, l’habitat, les prisons…

L’idée est louable lorsqu’elle consiste à fournir des preuves de la stigmatisation dont font l’objet certaines populations. Mais le piège consiste à offrir à l’extrême droite des données qui pourront être utilisées justement contre ces populations. D’autre part, faut-il une statistique pour montrer le racisme omniprésent dans nos sociétés et qui se manifeste par une véritable ségrégation à l’emploi, au logement, ou par des contrôles de police au faciès ?

Ces arguments offrent matière à discussion. Mais jeter l’opprobre sur Caroline Fourest lorsqu’elle les défend ressemble à un très mauvais procès dont les causes sont sans doute bien ailleurs. Rivalités personnelles ? Fascination pour un modèle nord-américain comnunautariste ?

S’en prendrait-on de la même manière à sa personne si elle était un homme?

Patric Jean

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