Société Dieu aime-t-il les femmes ?

Anne Soupa

Une femme qui fait entendre sa voix dans l’Eglise, voilà qui n’est pas si fréquent. Depuis quelques années, elles sont deux à dire tout haut ce que d’autres – beaucoup d’autres sans doute – pensent tout bas. Anne Soupa et Christine Pedotti sont à l’origine du Comité de la Jupe et de la Conférence catholique des baptisés francophones, deux instances qui entendent donner aux femmes une réelle place dans l’institution, elles qui sont les plus nombreuses chaque semaine sur les bancs des églises et qui, bénévolement le plus souvent, permettent aux paroisses et aux mouvements catholiques de rester vivants.

A l’occasion de la Journée internationale des femmes, l’association catholique l’ACF (Action catholique des femmes) d’Ille-et-Vilaine avait invitée Anne Soupa à Rennes pour une conférence au titre délibérément provocateur : Dieu aime-t-il les femmes ?

Pour la conférencière la réponse est claire et sans ambiguïté : « Oui !, dit-elle dès le début de son propos, extraits de la Bible à l’appui. Dieu aime les femmes. Le problème serait plutôt du côté de ceux qui font l’Eglise. » « Il existe un vrai problème de tous les monothéismes envers les femmes parce qu’on veut dominer le corps de la femme et contrôler l’origine de la vie », ajoute-t-elle, soulignant que pour les religions la femme est quasiment toujours attachée à l’image de la sexualité.

Avant son intervention devant le public rennais, celle qui a attendu d’avoir dépassé les 60 ans pour dénoncer la situation des femmes dans l’Eglise, notamment dans son livre, écrit avec Christine Pedotti, Les pieds dans le bénitier (1) a répondu à nos questions.

Anne Soupa

Anna Soupa.

Dieu aime-t-il les femmes ?, Les pieds dans le bénitier : des titres un peu provocateurs. Dans l’Eglise, pour se faire entendre quand on est une femme, il faut provoquer ?

C’est vrai qu’il y a un côté de provocation mais ce n’est pas une provocation destructrice. Dans le mot provocation, je mets des connotations très positives. Pour moi provoquer c’est susciter un réveil, une prise de conscience.

Le combat que vous menez dans l’Eglise est assez récent. Cela veut-il dire qu’il a couvé pendant longtemps ?

Effectivement, je vivais dans cette situation et je l’ai supportée pendant des années sans me plaindre parce que j’avais la chance d’être bien considérée. J’ai vécu dans ce climat en me disant que je n’arriverai jamais à bouger quoique ce soit. Jusqu’à ce qu’il y ait un courant restaurateur dans l’Eglise catholique qui me donne envie de réagir.

Mais ce qui m’a fait directement prendre position, c’est une parole malheureuse de l’archevêque de Paris : « le plus difficile c’est de trouver des femmes formées ; le tout n’est pas d’avoir une jupe, mais d’avoir quelque chose dans la tête ! » (2) Cette déclaration m’a fait dire qu’on était dans une Eglise qui perdait la tête et que parler comme ça des femmes c’était insupportable. Avec Christine Pedotti, nous avons immédiatement porté plainte auprès des tribunaux ecclésiastiques c’est-à-dire les instances intérieures de l’Eglise.

Et avez-vous été écoutées à ce moment-là ?

Nous avons été écoutées par les médias ! Pour être honnête, je crois que nous n’aurions jamais eu de réponse du tribunal ecclésiastique. L’électrochoc a été salutaire et les médias se sont emparés du sujet immédiatement et, comme dans un champ de paille sèche, le feu a pris.

En 17 minutes, l’AFP a répercuté notre plainte et les médias, au bout de 48 heures, titraient « Monseigneur Vingt-Trois accusé de sexisme ». Donc effectivement, l’archevêque de Paris, qui est une personne intelligente, a tout de suite compris qu’il lui fallait prendre la parole pour éteindre l’incendie qu’il avait allumé.

Vous en êtes-vous expliquées avec lui ?

Non. Il n’a pas souhaité le faire.
(La plainte a été retirée quand André Vingt-Trois a pris la parole dans les médias pour s’excuser – ndlr)

Dans cette Eglise catholique de 2012, il y a une majorité de femmes ? Avez-vous l’impression de les représenter ?

Je crois que nous disons, Christine et moi, ce que la plupart des femmes pensent tout bas. Mais je ne vous cacherai pas qu’il y a une telle intériorisation de la discrimination envers les femmes dans l’Eglise, y compris par les femmes elles-mêmes, que certaines sont les artisanes de cette mise à l’écart.

C’est cette prise de conscience que je voudrais contribuer à mettre en route. Je crois qu’il ne faut pas avoir peur des petits gestes, des petites choses qui montrent que les femmes ont leur parole à elles, qu’elles ont aussi le droit de demander que les choses changent.

Quel écho trouvez-vous dans l’Eglise en France ?

On trouve un écho extrêmement favorable dans le clergé âgé qui a vécu Vatican II (3). En revanche, nous faisons peur au courant restaurateur, plus jeune, plus traditionnel, qui considère que l’obéissance est la première vertu. Cette soumission est mortelle pour nous parce que l’Eglise est une structure ouverte : si on n’est pas content, on la quitte.

Et c’est ce qu’ont fait énormément de catholiques depuis une ou deux générations. Plutôt que de choquer, plutôt que de parler, beaucoup de femmes ont préféré partir. Partir sur la pointe des pieds, discrètement, parce qu’elles ne voulaient pas renier ce en quoi elles croyaient mais ne pouvaient plus rester dans cette institution.

L’Eglise n’a pas soutenu l’émancipation féminine. A la conférence de Pékin en 1995, elle a soutenu des positions extrêmement rétrogrades. La main-mise de l’institution sur le corps des femmes est quelque chose que beaucoup de femmes n’ont pas pu supporter et elles sont parties.

Je considère qu’il vaut mieux ne pas partir et parler parce que la parole intègre et que le silence exclut. Si on a une Eglise appauvrie en forces aujourd’hui, c’est parce qu’on a laissé partir beaucoup de gens de valeur, de foi, qu’on n’a pas su retenir parce qu’on leur a parlé un langage rétrograde.

Subissez-vous des censures dans l’Eglise ?

Des mises à l’écart, oui. Par exemple, quand je vais dans le diocèse de Luçon (85), on enlève l’annonce de ma conférence des bulletins diocésains. Ce sont des petites choses insidieuses, mais beaucoup de prêtres soutiennent ce que nous disons parce qu’eux-mêmes ne sont pas toujours épanouis aujourd’hui dans cette Eglise.

Propos recueillis par Geneviève Roy – EGALITE

(1) Les pieds dans le bénitier, d’Anne Soupa et Christine Pedotti, éditions Presse de la Renaissance, 2010.
(2) Phrase prononcée le 6 novembre 2008 sur les ondes de la radio RCF par André Vingt-Trois, archevêque de Paris.
(3) Concile qui s’est déroulé de 1962 à 1965 à Rome, visant à moderniser l’Eglise catholique et à l’ouvrir sur le monde.

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