Économie Licenci’elles : l’extension du domaine de la lutte

Les Licenci'elles au défilé du 1er Mai à Paris

Les Licenci'elles au défilé du 1er Mai à Paris

Les Licenci’elles au défilé du 1er Mai dernier à Paris

Elles viennent de Nantes, de Caen, de Montpellier, de Roubaix, de Dreux, de Saint-Etienne, de Paris. Elles avaient toutes un grand plaisir à se retrouver, le 10 mai dernier, dans une annexe de la Bourse du travail, rue de Turbigo à Paris.

La mobilisation est compliquée pour ces licenciées et salariées des 3 Suisses, qui ont fondé l’association Licenci’elles pour aider les femmes victimes de licenciements boursiers, à la suite du dernier plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de l’entreprise en janvier dernier.

C’est d’ailleurs cet éclatement géographique sur 35 villes françaises qui a fait penser à la direction qu’il serait facile de licencier ces salariées des espaces boutique de l’enseigne. En plus du fait qu’elles soient des femmes. « En 2009, sur 850 licenciements dans les centres d’appel, il y avait environ 800 femmes », explique Sylvie, déléguée CGT, ex-3 Suisses, travaillant toujours pour le groupe « moins quelques acquis sucrés ». « Et tout s’est passé sans bruit », précise Catherine, de Montpellier.

  • « 325 millions d’euros de dividendes pour les actionnaires »
  • Pour Sylvie, déléguée CGT, « le groupe Otto, qui détient 51 % des parts des 3 Suisses international (3SI), est deuxième mondial de la vente par correspondance, et l’association familiale Mulliez, qui en détient 44 %, est la première fortune industrielle de France ».
  • Pour Marie, secrétaire de Licenci’elles, il y avait la possibilité de faire des reclassements décents : « On nous a présenté les difficultés des 3 Suisses France, mais au delà, il y a 3SI. Entre 2008 et 2010, 325 millions de dividendes ont été reversés aux principaux actionnaires, avec 461,3 millions d’euros de bénéfices. »

En plus de la violence qu’elles ont ressenti pendant le PSE, c’est aussi le silence autour des licenciements dans des secteurs d’activité « féminins » qui les a motivées à se faire connaître et à faire partager leur expérience aux femmes vivant des situations similaires.

Une invisibilité des femmes plus relative depuis quelques temps. En février dernier, à l’initiative de Jean-Luc Mélenchon, certaines licenciées des 3 Suisses ont rencontré les caissières du Dia d’Albertville, les ouvrières de Lejaby de Rilleux-la-Pape, des salarié-e-s de Sodimédical et de Paru Vendu.

Les soutiens sont forts, mais les déplacements coûtent cher. Des salarié-e-s de Paru Vendu devaient venir jeudi dernier mais n’ont pas pu, les salarié-e-s de Sodimédical ne sont pas payé-e-s depuis huit mois…

Le manque de moyens rend donc difficile la mobilisation des membres de l’association et la fédération des luttes.

Le 7 juin, jour de la conciliation au tribunal des prud’hommes de Roubaix (*), en revanche, elles ont bien l’intention d’être visibles, et des soutiens s’organisent. Les associations féministes Ruptures, Osez le féminisme, le Collectif droits des femmes et Egalité femmes étaient présentes à la réunion de jeudi dernier pour proposer de faire signer la pétition de Licenci’elles, de relayer un appel à soutien, et donner des contacts à Roubaix et Lille.

Les ouvriers de PSA seront sur place et ceux de Goodyear Amiens s’occuperont du barbecue, à 12 h, après la conciliation.

La situations des employé-e-s rejoint celle des ouvrier-ère-s

Un soutien d’ouvriers, un soutien d’hommes. « On a pu être perçues comme des chochottes, parce qu’on est des employées, des agents de maîtrise, qu’on arrivait dans le monde des luttes ouvrières. Mais il y a un profond respect entre nous, une solidarité forte et simple. Finalement, dans ces cas de licenciements boursiers, la situation des employé-e-s rejoint celle des ouvrier-ère-s », dit Marie, de Caen, licenciée, secrétaire de l’association. (lire l’interview)

Elles ont aussi décidé de s’installer le même jour à 15h30 sur la place de la mairie de Lille pour tenter d’obtenir un entretien avec Martine Aubry, maire de Lille et secrétaire nationale du parti socialiste. Pour Marie, « le 7 juin, c’est une bonne date, juste avant le premier tour des législatives ! ».

Les soutiens politiques aussi sont nécessaires et porteurs d’espoir. Si Martine Aubry n’a pas répondu à leurs nombreuses sollicitations, elles ont été reçues par Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg, et ont rencontré Ségolène Royal au défilé du 1er Mai. Localement, elles sont soutenues par le parti communiste, le conseil régional, Laurence Sauvage, candidate Front de gauche aux législatives…

« François Hollande s’est prononcé contre les licenciements boursiers », espère Marie.

Pourront-elles aussi compter sur le nouveau ministère des Droits des femmes, promis par le nouveau président de la République ? Pour Maya Surduts, du Collectif droits des femmes, « c’est là qu’il faut taper ! ».

Après la réunion, on parle couleur et forme des tee-shirts, banderole, slogans, musique… « Les filles, on va faire un calendrier ! », lance l’une. « Et on va le twitter ! », répond une autre.

Mais pendant ces préparatifs festifs, on sent bien les préoccupations de toutes. Comme Christine, de Paris, vice-présidente de Licenci’elles, licenciée après 35 ans aux 3 Suisses, « très déterminée et en colère ! ». Et Christine, de Nantes, licenciée après 26 ans de maison, qui a peur de ne pas pouvoir aider sa fille de 12 ans pour ses études : « J’étais de nature insouciante avant mon licenciement. La personne qui s’occupe de mon reclassement me dit que mon CV ne passera pas, qu’après 45 ans on est considéré comme sénior ! »

Pour cela, elles comptent toutes beaucoup sur les résultats de la conciliation du 7 juin aux prud’hommes et sur la mobilisation qu’elles auront réussi à mettre en place.

Catherine Capdeville – EGALITE

(*) 70 des 149 licenciées ont déposé un recours devant les prud’hommes pour faire reconnaître la nullité du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et l’absence de justification économique.

print