Tribunes « L’emploi des femmes ne doit pas être absent de la prochaine Conférence sociale »

Le 5 juin, à l’initiative d’Attac et de la fondation Copernic, des associations ont adressé une lettre ouverte à plusieurs ministres concernant la Conférence nationale pour l’emploi et la croissance, organisée les 9 et 10 juillet prochains. Les associations regrettent notamment qu’il n’y ait pas de concertation annoncée en matière d’emploi des femmes, comme il l’est prévu pour l’emploi des jeunes ou celui des seniors.

Monsieur le Premier ministre,
Madame la ministre des Droits des femmes,
Monsieur le ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social,
Madame la ministre des Affaires sociales et de la Santé,

Nous, associations signataires, prenons acte avec satisfaction de la création d’un ministère des Droits des femmes ainsi que du caractère paritaire du gouvernement. Nous considérons que c’est un premier pas indispensable et qu’il faut maintenant engager concrètement le travail pour réaliser l’égalité femmes-hommes.

Une Conférence nationale pour l’emploi et la croissance est organisée en juillet prochain, qui réunira les partenaires sociaux et sera le cadre de discussions sur l’emploi, les salaires, les retraites, la lutte contre la précarité et le chômage. Notamment, ont été annoncées des concertations sur le thème de l’emploi des jeunes et des seniors, mais pas sur l’emploi des femmes.

Nous souhaitons rappeler que les femmes sont pourtant concernées au premier rang par les thèmes qui seront traités lors de cette Conférence. Elles représentent en effet près de la moitié de la population active, plus de la moitié des chômeurs et environ 80% des travailleurs précaires, des travailleurs pauvres et des salariés à temps partiel.

Leur salaire moyen est inférieur de 27 % à celui des hommes et de 19% si on ne considère que les emplois à temps complet. Les femmes sont près de deux fois plus souvent au Smic que les hommes. Leur taux d’emploi est toujours inférieur à celui des hommes, sans autre raison que la persistance des stéréotypes sexistes.

Malgré l’existence de plusieurs lois pour l’égalité salariale et d’un accord national interprofessionnel signé en 2004 par toutes les confédérations syndicales et par le Medef – accord reconnaissant qu’au moins 5 points de l’écart de salaires est imputable à de la discrimination –, malgré un engagement formel pour une réduction significative de l’écart de rémunération, l’égalité salariale est en panne.

En outre, alors que les femmes ont déjà des pensions en moyenne très inférieures à celles des hommes, la loi sur les retraites de 2010 les a particulièrement pénalisées, avec le recul des bornes d’âge de la retraite et avec la confirmation de l’allongement de la durée de cotisation exigée. La Commission européenne elle-même attire l’attention sur le risque plus élevé de pauvreté pour les retraités et particulièrement pour les femmes.

L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas seulement un objectif de justice sociale, ce qui serait en soi suffisant, c’est aussi un moyen de relancer l’emploi et l’activité économique : celle-ci devrait en priorité être tournée vers la satisfaction des besoins sociaux (crèches, services auprès des personnes dépendantes…) et environnementaux.

L’OCDE vient d’ailleurs de publier un rapport pour montrer en quoi s’attaquer aux inégalités entre les femmes et les hommes permet de stimuler la croissance, et pour recommander aux gouvernements de s’y engager. Ce rapport souligne que « l’égalité des sexes en matière d’éducation, d’emploi et d’entrepreneuriat » engendrerait de nouvelles sources de croissance économique, « croissance à long terme, solide, durable et bénéfique pour créer une société plus juste ».

Sur chacun des thèmes qui seront traités lors de la Conférence, nous avons des propositions à apporter pour faire progresser la situation, ce qui est le but d’une telle conférence. Nous sommes surprises de constater que la dimension du genre n’est pas inscrite en tant que telle dans cette Conférence – le fait que le ministère des Droits des femmes n’y soit pas impliqué ne donne pas un bon signal en la matière.

Notre demande porte donc sur trois points, qui nous semblent primordiaux.

– Inscrire à l’agenda de la Conférence le thème de l’emploi des femmes en tant que tel, dans toutes ses dimensions (taux d’emploi, chômage, temps partiel, égalité salariale, retraites, congés parentaux, handicap, etc.).

– Associer à la Conférence les associations concernées par ces thèmes, au même titre que les autres partenaires sociaux.

– Adopter et engager rapidement certaines mesures qui nous semblent essentielles pour faire avancer l’égalité professionnelle et la situation des femmes dans l’emploi. Les mesures listées ci-dessous sont loin d’être exhaustives, mais elles nous semblent constituer une base indispensable de départ.

Augmentation significative du Smic.

Concernant l’égalité salariale :

– instauration de sanctions financières dissuasives (à régler entre 2 à 10 % de la masse financière de l’entreprise) pour non-respect du cadre réglementaire, qui doit être revu pour s’appliquer également aux entreprises de moins de 50 salarié-es,

– revalorisation des salaires des métiers féminisés, notamment en reconnaissant les compétences techniques, relationnelles et la pénibilité de ces métiers, et à travers l’instauration d’une conférence annuelle tripartite qui applique une méthodologie d’évaluation des emplois exempte de biais sexistes, de manière à garantir l’application de la règle « à travail de valeur égal, salaire égal »,

Mesures contre l’emploi à temps partiel imposé :

– interdiction pour les entreprises de toute embauche sur des postes à temps partiels (ne concerne pas les particuliers employeurs),

– cotisation sociale patronale calculée sur la base du temps plein pour tout emploi à temps partiel, de manière à supprimer la pénalisation sur le montant de la pension,

– instauration de la possibilité pour toute personne à temps partiel de passer à temps complet à sa demande,

Mesures pour permettre l’accès réel des femmes à l’emploi :

– lancement d’un grand programme de création de places de crèches publiques (le besoin est a minima de 500 000 places) et développement des services auprès des personnes dépendantes et de places dans les structures d’accueil,

– adoption d’un objectif de taux d’emploi de femmes égal à celui des hommes d’ici 10 ans,

– intégration d’une clause de parité dans l’obligation faite aux entreprises d’employer 6% de personnes handicapées,

Lancement régulier de campagnes nationales de sensibilisation à l’égalité, de dénonciation des stéréotypes sexistes sur les rôles sociaux et d’incitation au partage égalitaire du travail domestique et parental ; intégration de la formation à l’égalité entre les sexes à tous les niveaux de l’enseignement.

Révision des différentes mesures familiales (congés parentaux, prestation d’accueil du jeune enfant, complément de libre choix d’activité…) pour supprimer toute incitation au retrait d’activité des femmes et, à l’opposé, favoriser le partage égalitaire des responsabilités parentales.

Prise en compte des années de bonification pour enfants et des congés de maternité dans les annuités cotisées pour le rétablissement du droit de départ à partir de 60 ans.

En espérant que ces demandes seront prises en compte, veuillez recevoir nos sincères salutations.

Signataires :

Attac, fondation Copernic, Cadac, Collectif national pour les droits des femmes, Femmes égalité, Femmes pour le dire Femmes pour agir, Libres MarianneS, Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF), Ligue du droit international des femmes, Maison des femmes de Montreuil, Marche mondiale des femmes, Osez le féminisme, Planning familial, réseau féministe «Ruptures», SOS sexisme.

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