Environnement : les enjeux des inégalités de genre Rio+20 : « Nous ne sommes pas passés au futur dont nous avons besoin »

Le Groupe majeur femmes (WMG), représentant 200 organisations de femmes (*) de la société civile à travers le monde, exprime sa profonde déception sur les résultats de la conférence Rio +20 sur le développement durable. Nous croyons que les gouvernements du monde ont échoué à défendre les droits des femmes et des générations futures.

Droits des femmes en recul

Deux ans de négociations pour aboutir à un résultat de Rio +20 qui n’apporte quasiment aucun progrès pour les droits des femmes et des générations futures en matière de développement durable. Le Groupe majeur femmes a travaillé sans relâche pour maintenir dans le texte les droits des femmes et les engagements pour l’égalité des sexes, pour lesquels des accords avaient pourtant déjà été obtenus auparavant. Mais ce combat n’a pas permis d’obtenir de réels progrès ou engagements pour avancer vers l’avenir qu’il nous faut.

Les femmes du monde entier sont scandalisées de voir que les gouvernements ont échoué à reconnaître les droits reproductifs des femmes comme un aspect central de l’égalité des sexes et du développement durable dans le document final de Rio +20.

Les droits reproductifs sont universellement reconnus comme des droits humains. Le lien entre développement durable et droits reproductifs a été reconnu dans l’Agenda 21 et par la suite dans le Programme d’Action de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) de 1994.

Même si nous comprenons bien que la conférence Rio +20 n’est pas un processus bilatéral, mais multilatéral, il est inacceptable que nos droits reproductifs, reconnus il y a près de vingt ans déjà, aient été renégociés et supprimés dans le document final.

[…]

Aujourd’hui, alors que nous nous préparons la CIPD +20 (Conférence internationale sur la population et le développement), Pékin+20, les OMD+15 (Objectifs du millénaire pour le développement), le processus de définition des Objectifs du développement durable (SDG) et l’agenda du développement de l’après-2015, nous exhortons les gouvernements du monde entier à réaffirmer leurs engagements pour l’égalité entre les sexes, et en particulier, la santé et les droits sexuels et reproductifs, afin que toutes les femmes et les hommes, les adolescents et les jeunes puissent vivre leur vie à leur plein potentiel.

Le document ne contient pas non plus d’engagements concrets pour les droits des femmes à la propriété ou à l’héritage des terres. Du point de vue des droits humains, tout comme du point de vue économique, il est totalement insensé d’exclure la moitié de la population mondiale de l’accès aux ressources. Plusieurs chefs d’Etat ont critiqué ces graves omissions dans le texte, et pour souligner l’argument économique, le Premier ministre de Norvège a fait observer que dans son pays, la part du PIB généré par les femmes dépasse le montant des recettes pétrolières.

Absence de droits à un environnement sain

Les droits de milliers de personnes à un environnement sain ne sont pas respectés. Le Groupe majeur femmes est consterné et inquiet que le document du Rio+20 ne contienne pas une seule référence à la pollution radioactive ni à son impact dévastateur sur notre santé et notre environnement, en particulier pour les rivières, les aquifères, l’air et l’alimentation. Le document aurait dû reconnaître comme inacceptables les risques que représentent la pollution nucléaire et le coût très élevé de l’énergie nucléaire.

Le Groupe majeur femmes se déclare solidaire avec les organisations de femmes venues du Japon jusqu’à Rio, qui réclament un arrêt immédiat de l’énergie nucléaire. Nous notons également avec consternation que le texte sur l’exploitation minière soutient les intérêts et les profits des sociétés minières plutôt que de défendre les droits des femmes, des peuples autochtones et de leurs communautés à un environnement sain.

En outre, le lien essentiel entre le changement climatique et le genre n’est pas mentionné du tout dans le texte. Cette omission est inacceptable, car elle ne tient pas compte de l’expérience quotidienne des femmes. Femmes, enfants, peuples autochtones et populations marginalisées (la majorité d’entre elles sont des femmes) sont les plus lourdement touchés par les conséquences désastreuses du changement climatique.

Or, la contribution qui pourrait être apportée par les femmes aux mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique représente un potentiel énorme, mais leur rôle primordial dans la conduite et la participation à des solutions climatiques, dont nous avons désespérément besoin, n’est pas même mentionné.

Enrayer l’accaparement des terres, assurer le contrôle et l’accès des femmes aux ressources naturelles

Dans de nombreux pays du monde les femmes produisent jusqu’à 80% de la nourriture, en cultivant des terres qui ne leur appartiennent pas ou en pratiquant la cueillette dans des forêts sur lesquelles elles n’ont pas de droits. La ruée vers les ressources minérales ou les sols permettant de produire des biocarburants pour alimenter notre développement non soutenable a déjà provoqué l’expulsion d’un très grand nombre de femmes de terres qu’elles ont cultivées et protégées pendant des millénaires.

Les femmes appellent à un arrêt immédiat de l’accaparement des terres! Nous ne pouvons pas mettre la production alimentaire des femmes en concurrence avec les biocarburants, les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les sociétés agro-industrielles – les Monsanto de ce monde. Nous, les femmes, sommes très déçues qu’il n’y ait pas de mesures claires énoncées pour un moratoire sur les OGM. Et, plus largement, qu’il n’y ait pas de mesures concrètes pour assurer le droit des femmes à l’accès et au contrôle des ressources naturelles qui sont la base de leurs moyens de subsistance, en particulier l’article sur l’exploitation minière ne garantit pas les droits des communautés touchées.

L’économie verte : seulement du green washing ?

Le Groupe majeur femmes est déçu que le document de Rio+20 n’assure pas clairement le droit au consentement libre, préalable et éclairé pour toutes les communautés touchées par les investissements de «l’économie verte ». Les femmes demandent des « no-go zones» (zones interdites) pour les entreprises minières, d’agrocarburants et d’exploitation forestière.

Afin d’assurer que les femmes, les peuples autochtones et les communautés locales aient un accès aux ressources en eau et en aient le contrôle, le Groupe majeur des femmes appellent à la non privatisation des sources d’eau. Nous croyons que l’ «économie verte» ne sera rien d’autre que du «green washing» si elle n’est pas solidement ancrée dans une mise en œuvre juridiquement contraignante du principe de précaution.

Le financement du développement durable

Le document de Rio+20 ne donne pas aux gouvernements le cadre urgemment nécessaire pour réorienter les ressources financières : s’éloigner des énergies non soutenables et inéquitables pour aller vers des investissements dans des systèmes décentralisés d’énergies renouvelables.

Dans les pays du Sud, il faut donner la priorité aux investissements pour l’accès à une énergie propre et sûre dans les zones rurales, en mettant l’accent sur les besoins en énergie des femmes des ménages. Le Groupe majeur femmes regrette qu’il n’y ait pas d’engagements clairs sur cette question.

Les femmes sont également très préoccupés par l’accent mis sur les financements privés et par la diminution des recettes publiques pour le développement durable. Nous regrettons également qu’il n’y ait pas d’engagement pour de nouveaux mécanismes financiers telle que la taxe sur les transactions financières.

Les femmes appellent à l’élimination des subventions à la pollution, y compris les subventions indirectes aux industries qui causent des dommages aux écosystèmes et aux communautés locales, comme les industries des combustibles nucléaires et fossiles. Nous exprimons néanmoins notre satisfaction sur l’accord obtenu pour s’attaquer aux flux financiers illicites, il est grand temps que les milliards de dollars déposés illégalement dans des paradis fiscaux soient réglementés pour contribuer au développement durable et à l’éradication de la pauvreté.

S’assurer que les voix des femmes soient entendues

Les seules décisions nouvelles et concrètes prises à Rio +20 sont celles consistant à mettre en place deux nouveaux mécanismes intergouvernementaux, l’un sur les Objectifs du développement durable (SDG) et un autre sur les mécanismes financiers. Un comité de 33 experts sera créé pour le processus des SDG.

Les femmes demandent qu’un siège soit attribué à une représentante des organisations de femmes de la société civile dans le panel d’experts pour les SDG. En outre, nous appelons le secrétaire général à assurer une parité femmes-hommes dans la composition du panel.

Au final, Rio +20 n’a pas réussi à établir une gouvernance mondiale plus forte pour le développement durable, et nous regrettons en particulier que la proposition de créer un Haut-Commissariat pour les générations futures n’ait pas été retenue.

A Rio les gouvernements avaient une occasion historique de prendre des mesures audacieuses pour mettre fin à la pauvreté et à la destruction de notre environnement, pour protéger les droits des membres les plus vulnérables de nos sociétés, de prendre des mesures concrètes pour mettre pleinement en œuvre les droits des femmes et renforcer leurs pouvoirs. Au lieu de cela nous risquons aujourd’hui de voir augmenter la pauvreté, les inégalités et les dommages irréversibles causés à l’environnement.

Ce n’est pas le « futur que nous voulons », ni le futur dont nous avons besoin.

Le Groupe majeur femmes

 

(*) Le Groupe majeur femmes (WMG), composé de plus de 200 organisations, est animé par trois organisations partenaires de l’ONU – Women in Europe for a Common Future (WECF), Voice of African Mothers (VAM), et Development Alternatives with Women for a New Era ( DAWN).
Il est soutenu par des organisations membres régulières, dont le Réseau international sur le genre et l’énergie durable (Energia), Global Forest Coalition, et Women’s Environment Development Organisation (WEDO).

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