Contributions Assemblée nationale 2012 : une chambre pas si rose !

Réjane Sénac

Réjane Sénac est chargée de recherche CNRS au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). Elle est l’auteure de L’invention de la diversité (PUF, 2012), du « Que sais-je ? » sur La parité, et de L’ordre sexué (PUF, 2007).

Réjane Sénac

En 2012, au Pays des droits de l’homme, 73% des députés sont des hommes. Pas d’oxymore dans ce constat si au-delà des explications conjoncturelles sur les sortants (à plus de 81% des hommes), qui « n’ont pas démérité », nous interrogeons le sens de ce qui résiste structurellement au partage du pouvoir.

Avec 155 femmes sur 577 députés, soit 26,8%, la France ne passe pas le seuil symbolique du tiers, considéré (1) comme le seuil à partir duquel un groupe minoritaire dans une assemblée peut s’émanciper de la norme existante.

Même s’il ne fait pas consensus, ce seuil est traditionnellement utilisé – en particulier par les instances européennes et internationales – pour désigner la proportion à partir de laquelle la présence des femmes peut être considérée comme significative.

En nous inspirant des travaux de Rosabeth Moss Kanter, nous pouvons noter que les femmes députées ne sont plus seulement des individualités noyées dans un « groupe uniforme » ni des « minorités émergentes », mais des « minorités affirmées », leur proportion ayant dépassé les 15% en 2007.

Les femmes considérées comme différentes avant d’être égales

Mais prenons garde de ne pas passer de ce constat de la résistance à considérer les femmes autrement que comme des minorités à une justification des lois tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, dites sur la parité, non pas au nom de l’application du principe de justice d’égalité, mais d’une forme d’investissement social.

Le risque est en effet d’inclure les femmes dans la sphère publique – politique en particulier –, pour les raisons qui font qu’elles en ont été exclues du temps des Lumières. A savoir parce qu’elles sont différentes avant d’être égales, voire parce qu’il est « naturel », raisonnable, et équitable de les considérer comme complémentaires.

L’injonction à la performance, dans une théâtralisation rentable, de leur-s différence-s (au regard du fameux triptyque sexe/race/classe) nous oblige à voir que le « ça » qui résiste à un universalisme réellement indifférencié dans notre « vieille démocratie » est bien au cœur de notre inconscient collectif et politique.

C’est un trop beau cadeau que nous faisons à Jean-Jacques Rousseau pour son tricentenaire que d’actualiser l’affirmation, dans son traité d’éducation légitime, que la femme ne puisse jamais être qu’épouse ou mère de citoyen : « Il n’y a nulle parité entre les deux sexes quant à la conséquence du sexe. Le mâle n’est mâle qu’en certains instants, la femelle est femelle toute sa vie, ou tout au moins toute sa jeunesse. »

Les « femmes publiques » – politiques mais pas seulement – sont en effet encore renvoyées – sous couvert de bienveillance et de constats réalistes – à la « rigidité des devoirs » relatifs à leur sexe en devant faire la preuve de leur plus-value, de cet autrement du féminin (en politique, dans le management…). Leur présence est ainsi souhaitée et souhaitable à condition qu’elle soit rentable et sans risque de concurrence déplacée…

La recomposition de la virilité du pouvoir est en particulier incarnée par le sexe des têtes d’exécutif : est-il nécessaire de préciser que le chef d’Etat, le chef de gouvernement et les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental sont des hommes ?

Une Assemblée cinq fois plus féminisée qu’en 1993

Réjouissons-nous donc, avec lucidité et humilité, que la France soit passée à la 34e position du classement mondial de la présence des femmes à la chambre basse, avec une proportion d’hommes députés qui est passée de 81% à 73% (ce qui lui fait gagner 35 rangs !), talonnant l’Afghanistan. Mais loin derrière le Rwanda, qui ravit à la Suède la première place avec plus 56% de femmes.

Sans sur-interpréter ce classement, et sans bouder le plaisir de noter que la parité vit dans les conseils régionaux et municipaux (à l’exception toutefois notable des maires et des présidents de conseils régionaux, encore à 90% des hommes), saluons une Assemblée nationale féminisée à 26,8%, soit cinq fois plus qu’à l’Assemblée constituante de 1945, première assemblée élue après l’ordonnance du 21 avril 1944, accordant le droit de vote et d’éligibilité aux femmes, mais aussi cinq fois plus qu’en 1993 pour la dixième législature.

Notons cependant que tant que les lois dites sur la parité ne seront qu’incitatives pour les législatives (sous forme de pénalisation financière pourtant accrues…), rien ne protège des backlash. En effet, avec 40% de femmes candidates en 2012 contre 41,6% en 2007, le passage de 18,5% à 26,8% de femmes députées s’explique par le fait que le parti socialiste qui a présenté 45,3% de femmes est aussi celui qui compte le plus d’élu-e-s.

Avec 106 femmes députées sur 280 élus, le groupe socialiste compte 37% de femmes élues, son partenaire écologiste constitue lui le seul groupe parlementaire paritaire. Le groupe UMP n’a que 27 élues sur 194, soit 14%, et les 12 élus du centre ne comptent aucune femme. La vague rose n’est donc pas pour rien dans la féminisation d’une chambre pas si rose …

Réjane Sénac

(1) Selon la théorie de la «masse critique» adaptée à la vie politique par Drude Dahlerup en 1988.

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