Non classé (Re)trouver l’estime de soi : femmes métamorphosées par la danse

Hannah, élève des ateliers Corps et féminité. © Florencia Valdés Andino

Hannah, élève des ateliers Corps et féminité. © Florencia Valdés Andino

Hannah, élève des ateliers Corps et féminité. © Florencia Valdés Andino

Article publié par les Terriennes le 3 juillet 2012.

Depuis le mois d’avril, avec l’appui de la mairie du 18e arrondissement de Paris, la chorégraphe Maxence Rey travaille avec une vingtaine de femmes issues des milieux sociaux et culturels les plus divers. A travers la danse et autres pratiques, l’artiste les initie à l’exploration de leur corps et esprit, cela afin qu’elles se réapproprient leur « moi », qu’elles retrouvent l’estime d’elles-mêmes, afin de mieux se mouvoir dans une société brutale. Les ateliers, Corps et féminité, se sont achevés le jeudi 21 juin dernier. Elles en sont sorties métamorphosées.

 

L’orage gronde, il fait lourd. Les femmes arrivent peu à peu au centre d’animation Binet, dans le 18e arrondissement de Paris. Elles ne seront qu’une dizaine pour la dernière session des ateliers Corps et féminité. En tenue de sport, elles se mettent en cercle, elles connaissent déjà le rituel après presque trois mois de travail. Le temps des inhibitions semble bien loin.

Le premier jour, Maxence Rey, chargée de l’atelier, n’avait pas ménagé les danseuses en herbe. « Qu’est-ce qu’être femme aujourd’hui ? », leur a-t-elle demandé à brûle-pourpoint. Les langues se sont déliées peu à peu après quelques minutes de réflexion. Perplexes face à cette question, certaines femmes n’osaient pas s’exprimer. La chorégraphe a récolté des pépites : « Une femme c’est des creux et des bosses. Un paysage où l’on devine des forces et des fragilités », avait répondu une jeune participante. Un début prometteur pour une expérience inédite pour toutes y compris la danseuse professionnelle.

Douze semaines après, ce sont des copines qui se retrouvent pour partager deux heures et demie de danse, de chant, d’expression corporelle et même d’écriture. Pour Maxence Rey, c’est un pari réussi. Elle souhaitait réunir des femmes très différentes en atelier, dans le but de faciliter la rencontre des générations et des cultures. Des femmes fraîchement débarquées en France qui suivent des cours d’alphabétisation côtoient des jeunes filles s’apprêtant à devenir assistantes sociales. Et avec elles, leurs formatrices.

« Tirez sur vos oreilles, ça vous fait du bien »

Quelques exercices de respiration, quelques mouvements de bras et de jambes pour détendre les muscles… « Prendre soin de soi c’est savoir s’écouter », dit d’une voix paisible la chorégraphe. Des mots que certaines mères de famille et femmes de ménage du groupe entendent bien peu, tant leur temps est absorbé par le travail. « Tirez doucement sur vos oreilles, ça vous fait du bien. »

Les filles continuent leurs exercices inspirés du Qi Gong, une gymnastique traditionnelle chinoise et une science de la respiration. Les bassins s’assouplissent en faisant des cercles, les pieds caressent le sol, elles massent leurs lombaires, font glisser leurs mains des côtes jusqu’aux fessiers. « Profitez-en pour vous faire du bien, pour vous caresser », rappelle la chorégraphe en chuchotant. Une fois détendues, il est temps de passer aux choses sérieuses.

Toujours en cercle, elles se présentent. A chacune de dire son nom, en chantant ou en faisant un pas de danse, aux autres d’imiter les mouvements et les sonorités. « Je veux entendre votre singularité », répète l’artiste de 40 ans. C’est un moment très physique où les rires explosent, elles se défoulent. Les plus jeunes se déhanchent et certaines font quelques pas de danse typique de leur pays. « Personne ne juge. Elles sont toutes là pour apprendre à s’affirmer, pour s’ouvrir au monde », explique Maxence Rey. Complètement désinhibées, elles crient leur nom et celui de leurs copines.

Apprendre à être regardées

Après une longue pause, le cercle se reforme. Leur mission : apprendre à marcher au ralenti. Le temps s’arrête. A la fin de l’exercice Fatiha Bouhamdan jubile. « C’est un rêve qui devient réalité. Je dis toujours à mes enfants que j’aimerais apprendre à ralentir. Je cavale tout le temps et aujourd’hui je l’ai fait ! ». Le plus difficile reste à venir.

Le groupe se divise en deux. Les unes seront spectatrices, les autres joueront le rôle des statues. Elles doivent avancer du fond de la salle, s’arrêter, prendre une pose et rester immobiles pendant cinq longues minutes, complètement exposées au regard des autres. Le silence se fait dans la salle. Dehors, le ciel s’est couvert, la pluie tombe avec insistance.

Maxence quitte le groupe des spectatrices pour s’asseoir plus loin. Elle étudie avec attention ces statues parfaites les mains sur les hanches, le regard fier et les épaules bien droites. Chaque femme a choisi une posture différente. « Mais toujours des positions très affirmées et solides », note Maxence Rey.

« Vous étiez magnifiques ! » « On aurait dit les cinq fantastiques. » « Je n’ai rien entendu, je me suis concentrée sur mes sensations, les oiseaux, les enfants qui jouent dehors. » « Tous les sens sont éveillés. » Les retours sont positifs.

Vue de l’extérieur, cette activité semble banale. Mais se confronter ainsi au regard de ses pairs n’est pas une mince affaire. « Je ne leur aurais jamais demandé de faire ça le premier jour, confie la chorégraphe, qui rayonne. Ce n’est pas le même groupe que j’ai connu il y a trois mois. Je vous trouve toutes très belles. » La danseuse est fière du résultat. Et elle n’est pas la seule.

« Elles ont pris conscience de leur féminité »

Fatiha Bouhamdan, formatrice des femmes en stage d’alphabétisation, observe ses élèves avec admiration. « Les filles se sont métamorphosées. Elles m’ont complètement bluffée. Même si elles ne parlent pas bien français, c’est le corps qui s’exprime. Elles n’ont pas l’habitude de prendre la parole. Elles viennent d’Inde, du Pakistan… Ce sont des cultures où les femmes ont du mal à s’affirmer. Ici, mes stagiaires ont pris conscience de leur féminité. Elles se sont réalisées en tant qu’individus et pas en tant que la mère ou la femme de quelqu’un. »

« Mes élèves se sont découvertes elles-mêmes par leurs corps. Je sens qu’elles se sont libérées, elles se sont ouvertes », raconte Fadelle Mbingt, professeure à l’école de travailleurs sociaux au lycée Rabelais dans le 18e arrondissement de Paris. Elle a également participé aux ateliers. Sana Bounass, future assistante sociale, confirme : « J’ai appris à m’écouter, à prendre soin de moi-même et à prendre conscience de la chance qu’on a d’être femmes. »

Avec ces brillants résultats, Maxence Rey n’a qu’une envie. Celle de continuer. Elle est déjà en train de réfléchir à un prochain atelier. Entre temps, elle a du pain sur la planche. Son spectacle Sous ma peau est prévu pour le mois d’octobre 2012. Elle sera sur scène avec deux autres danseuses professionnelles pour explorer la nudité féminine. Un spectacle largement inspiré de ce qu’elle a vécu lors des ateliers.

Florencia Valdés Andino – TERRIENNES

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