Chroniques Le blog de Patric Jean : Harcèlement de rue, image et classe sociale

Une vidéo à propos du harcèlement sexuel dans la rue fait actuellement le tour de la toile. On y voit une jeune femme (en caméra cachée) harcelée par une foule d’hommes attablés à des terrasses sifflant, interpellant et lançant toutes sortes de propositions indécentes à sa vue.

Dans un premier temps, la vidéo provoque la sidération. En tant qu’homme, on a tous entendu parler de ces situations vécues parfois au quotidien par des jeunes femmes. On a entendu mille et une anecdotes. Mais cette fois, on voit et en entend… Et c’est terrifiant.

Pour qui en douterait encore, l’exemple montre bien l’abîme épistémique qui existe entre l’expérience d’homme ou de femme face à la domination.

Observer une terrasse dont tous les hommes suivent du regard les jambes et le décolleté en riant, tels une meute prête à se jeter sur sa proie est tout bonnement glaçant.

Le problème est que dans ce film, tous les hommes sont membres de ce que l’on appelle pudiquement les « minorités visibles ». Le quartier précisé par le journaliste du JT ne laisse aucun doute, il s’agit d’un quartier immigré. Ils sont noirs et arabes.

Le lien peut donc être fait hâtivement. Les immigrés (nord) africains seraient toujours englués plus que les autres dans une culture machiste violente. Les femmes seraient pour eux voilées ou réduites à un objet. J’imagine déjà les commentaires à ce blog m’assurant que quand même on ne peut nier que…

A bien y regarder, la situation est sans doute plus complexe. Tout d’abord, toute jeune femme longeant quotidiennement un chantier dont les ouvriers sont bien blancs ou croisant des supporters de foot de cette même couleur fera souvent également l’expérience des sifflements, appels et invitations bien comprises.

On pourrait croire que le harcèlement de rue est donc le résultat d’une culture machiste populaire, quelle que soit l’origine nationale des hommes. Ce serait oublier que le harcèlement est observé dans toutes les classes, les hommes politiques semblant détenir une sorte de record en la matière (9% des plaintes en France).

Comme dans d’autres thématiques comme la violence conjugale, c’est donc l’expression du phénomène et sa possible mise en évidence qui prendront des tours différents selon le groupe social. On sait combien la violence est présente mais plus taboue dans la bourgeoisie où la femme taira le problème plus longtemps pour protéger la réputation et les acquis sociaux.

Les députés se contenteront d’applaudir une jeune ministre en jupe quand des hommes attablés ajouteront des mots vulgaires dans des quartiers populaires. D’un côté, un inconnu suivra la femme et lui proposera d’aller à l’hôtel, de l’autre la même proposition comprendra peut-être un peu plus d’euphémisme. Il commencera peut-être par des massages de pieds imposés. Et même pas dans tous les cas.

Surtout, les quartiers populaires, objets de tous les phantasmes, s’offrent aux caméras dans la rue, aux terrasses, aux coins des rues. Leur droit à l’image n’existe que sur le papier. Jamais une caméra ne filmera un patron, un collègue ou un député coinçant la stagiaire entre la photocopieuse et la machine à café. Et surtout, le journal télévisé ne prendrait pas le risque de le diffuser.

Il s’agirait alors d’un « cas isolé », d’un « pervers », d’un « sex addict ». Selon la télévision, dans les classes populaires seulement, les exemples deviennent des phénomènes sociaux. Ailleurs, il n’y a rien à voir. Circulez.

Patric Jean

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