Non classé Se déplacer, une facilité au masculin

 Article publié dans Axelle n°151- septembre 2012


© TheeErin – Flickr.

 

Appelés à se développer pour limiter nos émissions de CO2, les transports en commun ne sont pourtant pas toujours adaptés aux besoins des femmes, déplore le Centre Wallon pour l’Égalité entre Hommes et Femmes (CWEHF). Afin d’améliorer la situation, il demande que la question du genre soit intégrée dans les politiques publiques de mobilité.

 « On voit que l’urbanisme a été pensé par des hommes. Ici l’arrêt de bus est situé en haut d’une côte, fatigante à monter quand on a les bras chargés de courses. Ailleurs un trottoir est difficile à franchir avec une poussette…

Ces constats d’une habitante de la région parisienne rapportés par la sociologue Dominique Poggi (1) pourraient être dressés dans la plupart des grandes villes européennes. « L’aménagement urbain ne prend pas en compte les besoins et réalités quotidiennes des femmes« , analyse la chercheuse. Un réel problème, alors qu’elles ne sont que huit sur dix à disposer du permis de conduire et que, parmi celles-ci, toutes n’ont pas accès à un véhicule individuel.

Une question d’émancipation

Les difficultés liées à la mobilité sont d’autant plus problématiques que la capacité à se déplacer conditionne l’émancipation individuelle. Premier souci constaté par Dominique Poggi lors de son travail en périphérie parisienne : l’accès à l’emploi. « Aller travailler à 10 kilomètres de chez soi est un défi lorsque le réseau de transports en commun impose de changer trois fois de bus ou de tram, surtout s’il faut partir tôt« , souligne la sociologue.

La même difficulté se présente lorsqu’il s’agit de suivre une formation, de chercher un emploi ou de se rendre à un entretien d’embauche. Les politiques d’ »activation » des chômeurs et chômeuses risquent d’ailleurs de rendre ces problèmes encore plus criants puisque, désormais, il est interdit de refuser, dans un rayon de 60 kilomètres, un emploi impliquant une absence de chez soi supérieure à 12 heures ou des déplacements de plus de 4 heures entre le domicile et le lieu de travail. Pour le CWEHF (2) , « un bon maillage du territoire par les transports en commun est essentiel« . Or c’est loin d’être le cas. Il faudra donc en tenir compte avant de sanctionner un chercheur d’emploi.

L’inadéquation des transports en commun a par ailleurs des conséquences sur les relations personnelles, tout aussi importantes pour la réalisation de soi. « On a vraiment envie de se déplacer pour aller voir des amis, pour participer à des associations, pour sortir le soir…« , expliquent les femmes rencontrées par Dominique Poggi. Avec le faible nombre de liaisons directes, relier deux zones périphériques relève pourtant du tour de force. « C’est encore plus vrai si elles sont accompagnées d’enfants, ce qui est souvent le cas« , note la sociologue. Une situation qui fait dire au CWEHF que les plans de mobilité sont conçus en fonction des exigences des hommes actifs, qui effectuent un trajet domicile-travail.

  • Un espace rassurant
  • La question des violences dans les espaces publics, en particulier envers les jeunes femmes, s’est rapidement imposée dans le travail mené par la sociologue Dominique Poggi avec des habitantes des quartiers populaires en région parisienne. Certaines jeunes filles regrettaient ainsi d’être ciblées par des remarques plus ou moins menaçantes lorsqu’elles rentraient tard et non accompagnées. Pour remédier au problème, elles ont entrepris des « marches exploratoires ». De petites équipes se sont lancées à la reconquête de l’espace public, se baladant et observant la situation dans des lieux qu’elles n’osaient plus occuper. Une initiative positive pour tous, note finalement Dominique Poggi, dans la mesure où « l’ensemble des habitants d’un quartier profite du décloisonnement de l’espace urbain« .

Les inégalités renforcées

Les discriminations liées au transport trouvent un terreau fertile avec l’inégale répartition des tâches quotidiennes. En effet, la fréquente implication des femmes dans l’éducation des enfants et dans la gestion du ménage les placent dans un schéma de mobilité plus complexe que le simple aller-retour vers le lieu de travail. Bien souvent, il faut y intercaler l’arrêt à la garderie ou dans un magasin pour faire les courses. Sans parler du rendez-vous avec un professeur ou du service « maman-taxi » pour déposer l’un des enfants au sport ou à une autre activité.

Dans ce contexte, la gestion du temps est un défi de chaque minute. On savait déjà que les femmes avaient « adapté leur vie professionnelle à celle de leur famille« , comme le rappelle Claudine Liénard, formatrice à l’Université des Femmes. Mais à persister dans une mobilité taillée sur mesure pour les hommes actifs, les pouvoirs publics risquent de laisser se reproduire des inégalités de genre déjà existantes. Le Centre estime même qu’il est urgent d’agir, alors que nos villes s’étendent sur des superficies de plus en plus grandes.

Pour parvenir à davantage d’égalité, il faudra intégrer systématiquement des statistiques de genre dans l’élaboration des futures politiques de mobilité. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de remédier aux inégalités déjà existantes. Le CWEHF conclut tout de même que ce travail, s’il est essentiel, doit s’accompagner d’un « questionnement sur l’hyper-mobilité comme nécessité absolue« …

Camille Goret – Axelle

(1)  La sociologue a mené une recherche-action avec des habitantes des quartiers populaires du Val d’Oise, en région parisienne.

(2) Après sa journée d’étude et sa conférence de presse sur le thème « Pour que mobilité rime avec égalité (h/f) », le CWEHF a formulé, en juin, plusieurs recommandations à l’attention des autorités publiques et des citoyens. Pour en savoir plus : www.cesw.be ou 04 232 98 31.

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