Livres Coup de cœur « dans le ventre des femmes »

A l’origine de cette anthologie, il y a une femme et son ventre qui ne fonctionne pas.

Maïa Brami essaie depuis cinq ans d’avoir un enfant. Elle n’arrive pas à être enceinte. De cabinet médical en service gynécologique, elle transporte sa souffrance d’utérus dysfonctionnel et sa peine de femme stérile.

Pour combattre la cruelle froideur du monde hospitalier et résister à sa douleur de « femme inaccomplie », elle a les mots. Ceux qu’elle écrit et ceux qu’elle fait écrire. Les images et les couleurs des plasticien-ne-s aussi.

Elle dit la solitude d’une femme aux prises avec son propre corps, qui ne peut pas devenir mère. Et pour ouvrir ce cercle du ventre de la femme, elle a l’idée, inspirée des Monologues du Vagin d’Eve Ensler, d’entamer le dialogue avec des artistes, hommes et femmes, de toutes générations et de toutes nationalités, de leur demander de laisser aller leur imagination autour du mot « utérus ».

Utérus, ce mot du vocabulaire médical, un peu tabou comme tout ce qui concerne le ventre des femmes, vaguement secret car invisible.

Utérus, anagramme de « tueurs » et de « suturé » car il n’a pas toujours la douceur veloutée du cocon.

Utérus, que les hommes n’ont pas, mais dont ils sont sortis.

Utérus, que les Africains appellent «marmite »…

Cette anthologie utérale de 57 écrivain-ne-s et artistes du monde entier est préfacée par Eve Ensler, qui écrit alors qu’elle n’a elle-même plus d’utérus :

« Tu es parti. Je ne sais pas où ils t’ont mis. Ils t’ont pris et tous les organes qui t’entouraient, et les choses auxquelles tu étais attaché, trompes de Fallope, ovaires, col de l’utérus, une partie de mon vagin, 70 nœuds. Cela a pris 45 minutes. Tu as vécu en moi 57 ans.Après t’avoir enlevé, ils m’ont recousue bien serrée. Je me sens parfois comme une poupée. Il y a de la paille à ta place et une obscure galaxie d’absence.Il y avait une tumeur qui grandissait en moi. Une tumeur de la taille d’une mangue. J’adore les mangues. J’essaie de t’imaginer accueillant cette tumeur comme tu aurais pu le faire d’un enfant ».

Et le poète conteur Mario Urbanet de poursuivre :

« J’ai un rêve en tête : partir pour l’Utérie. Cette terra incognita m’obsède. Inconsciemment, je sais que là est mon origine, mon refuge, mon but ultime. Je suis sur le chemin et seul le chemin est important quand la volonté se mêle de vouloir façonner le destin. (…) Mer, mère, madre, matrice. Quelque part dans ce flux, est le battement premier, le mouvement générateur. Je m’y cherche pour retrouver en Elle mon identité, me sentir exister dans ce magma-placenta-plancton nourricier. Glouton d’inconnu, je suis né pour être englouti, enfin abouti ».

C’est une lecture à ne pas faire de la première page à la dernière, mais plutôt en choisissant au hasard un texte pour reprendre l’ouvrage quelques jours plus tard. Ce désordre de la lecture en fait encore mieux apprécier la richesse…

Et pour attiser encore un peu l’envie d’aller picorer ces textes, cette image de Leïla Sebbar :

« Dans les cimetières musulmans anciens, on distingue la tombe d’une femme à la stèle dressée au milieu du corps, la place du ventre amoureux, maternel, dans la terre. »

 

Danielle Michel-Chich – EGALITE

 

Maïa Brami, Dans le Ventre des Femmes. Anthologie en mots et en images, Editions BSC Publishing, 2012, 19.90 €

print