Société Féministes et islamiques

Pourquoi le titre de votre ouvrage est-il au pluriel ?

Il n’y a pas un seul modèle de féminisme. Les priorités des féministes égyptiennes par exemple ne sont pas celles des féministes irakiennes. En France, la question du féminisme musulman est souvent abordée sous l’angle de l’agenda féministe dominant ; c’est-à-dire qu’on calque un modèle et qu’on demande aux musulmanes de répondre à des questions prédéfinies par exemple sur l’avortement, la liberté sexuelle, etc. Or, les priorités des féministes françaises ne sont pas forcément celles des musulmanes. Le féminisme musulman part d’une démarche spirituelle, d’une quête du divin. Le but du livre est de présenter les différents courants qui nourrissent ce concept depuis une vingtaine d’années dans les milieux intellectuels musulmans, mais qui en réalité date des débuts de l’Islam. Il y a toujours eu des revendications féministes à l’intérieur du cadre religieux. Les féministes musulmanes cherchent à répondre à leurs propres questionnements en tant que croyantes musulmanes.  On trouve à la fois un féminisme académique avec des études, des recherches menées par des universitaires, notamment dans le monde anglo-saxon, et un féminisme militant engagé dans les pays musulmans ou au sein des communautés musulmanes en Occident.

 

Avez-vous des liens avec des féministes d’autres religions ?

A titre personnel, j’aimerais bien avoir des relations avec d’autres croyantes féministes, des catholiques et des juives notamment, mais le féminisme musulman a déjà tellement peu de légitimité, on a déjà tellement peu d’espace pour s’exprimer que ça n’a pas encore pu se faire ; pourtant, je pense que ce serait très enrichissant. Je pense aussi que les féministes chrétiennes ont les mêmes préjugés que le reste de la société dominante, cet héritage colonial attribue à l’Islam une dimension patriarcale plus importante qu’aux autres religions. Ma porte est ouverte ; j’aimerais qu’on me reconnaisse comme une égale dans cette lutte féministe.

 

Que revendiquent les féministes musulmanes ?

Il existe de nombreuses associations dans le monde musulman ; les plus connues sont Sisters in Islam en Malaisie, le réseau Musawah ou encore le réseau Karamah ; elles travaillent sur la réforme des statuts personnels, sur la sensibilisation des femmes concernant leurs droits à l’intérieur même du cadre religieux. Quand on utilise le religieux pour justifier notre revendication d’égalité, on a tout gagné parce qu’on s’adresse à des femmes pour qui c’est le référent majeur. On dit aux femmes, non seulement ce que vous vivez est injuste, mais Dieu n’est pas d’accord avec ça. L’égalité entre les hommes et les femmes est au cœur même du Coran. Dieu est le seul à avoir un attribut d’autorité sur les êtres humains. Les revendications féministes peuvent être acceptées si elles se font sous couvert religieux. Mais ça ne suffit pas. Dans le contexte musulman, il faut aussi une élévation du taux d’instruction, d’alphabétisation, etc. En France, les choses ont avancé quand les femmes ont pu investir le monde du travail. Il y a tout un cadre économique, social et politique qui doit être réformé. Ce qu’on a appelé les révolutions arabes par exemple peuvent apporter quelque chose de positif parce qu’elles sont l’expression d’une volonté de réforme de fond de la société.

 

On voit cependant aujourd’hui que les droits des femmes régressent,  comme en Tunisie par exemple.

C’est vrai, mais à mon sens, ces mouvements vont vraiment porter des fruits sur le plan de la pensée féministe musulmane. Dans les soulèvements, dès le début, les femmes étaient présentes. Mais de la même manière qu’à un moment donné on a dit aux femmes, la lutte contre le capitalisme est plus importante que la lutte des femmes, de la même manière on dit aujourd’hui, la lutte pour la démocratie, pour la justice, pour la dignité de tous, est prioritaire et les femmes passent après. Je pense que c’est aux femmes d’être extrêmement prudentes et de lutter pour que leurs revendications ne soient pas oubliées et qu’elles puissent être au centre des décisions politiques. En Tunisie, on a vu une forte mobilisation contre la notion de complémentarité introduite dans la constitution et c’est finalement celle d’égalité qui a été retenue.

 

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Mais comment expliquer tout ce qu’on fait subir aux femmes sous le prétexte de la loi coranique, de la sharia ? Où est l’égalité à ce moment-là ?

Il existe une confusion qui est entretenue à l’intérieur même de l’Islam. Dans la tradition musulmane, le terme Sharia désigne la voie ; c’est un principe supérieur de l’Islam comme la justice, l’égalité, etc. Et dans l’islam politique il y a une instrumentalisation de la Sharia. Parce que ce terme sonne positivement pour les croyants – et surtout les croyantes – on va l’utiliser pour appliquer ce qui est en fait, le fiq, c’est-à-dire la jurisprudence ; des lois édictées par une élite d’hommes qui lisent les sources selon leur bon vouloir et qui imposent une vision patriarcale de la religion et ne respectent pas la volonté de Dieu. Dans de nombreux pays islamiques, il y a aussi des femmes au pouvoir. Par exemple, en Iran, qui n’est pourtant pas une grande démocratie, il y a plus de femmes parlementaires qu’en France. Il ne faut pas avoir une vision homogène simpliste du monde musulman. Une femme peut être libérée, émancipée, sans avoir l’apparence de l’être quand on voit les choses uniquement sur un mode occidental !

 

Et en France, comment le concept de féminisme islamique s’est-il développé ?

A partir de la fin des années 90, dans un contexte de forte politisation de l’Islam à travers la question du voile, il y a eu une espèce d’autonomisation du champ associatif musulman et de plus en plus d’associations de femmes ont commencé à s’affirmer en disant aux frères : on est avec vous sur les questions d’islamophobie et de racisme, mais on va parler en notre nom parce qu’on est les premières victimes de l’exclusion et de la discrimination. On est passé d’un discours sur la défense d’une religion à un discours de citoyennes à part entière voulant être traitées à égalité.

 

Cette question du voile qui semble tellement importante en France, quelle place occupe-t-elle dans vos combats militants ?

Pour nous, le combat autour du voile n’a quasiment pas eu lieu. Ce qui est commun à toutes les féministes musulmanes, les voilées et les non voilées, c’est une idée finalement très féministe qui est de dire : c’est aux femmes elles-mêmes de choisir comment elles souhaitent se vêtir. On va s’opposer à toute interdiction mais aussi à toute imposition du voile, car il y a des contextes où c’est une réelle oppression. En Iran, il est obligatoire et c’est absolument scandaleux ! Il ne faut pas oublier la dimension politique importante, les féministes musulmanes étant aussi dans une posture post-coloniale nourrie du refus d’un modèle dominant. Porter le voile, c’est aussi affirmer son refus d’une société qui érotise le corps des femmes et qui le marchandise ; les femmes musulmanes choisissent de faire la promotion d’un autre modèle. En France, la question du voile est extrêmement médiatisée. Moi, je préfère passer plus de temps à discuter du sens de l’égalité à l’intérieur de l’Islam parce que justement, c’est ça qui va impliquer tout le reste, les luttes pour l’égalité, la justice, la liberté, etc. Ce qui compte, ce n’est pas si on a un truc sur la tête ou pas !

 

Etes-vous reconnues par les associations féministes laïques ?

Ce n’est pas facile. Les mouvements féministes dominants en France se sont beaucoup nourris de la question de l’Islam. Un moment donné, les musulmans sont devenus la figure repoussoir et certaines féministes sont aussi tombées dans cette instrumentalisation. Le sexisme n’existait en France que dans les banlieues et ne concernaient que le garçon musulman et la fille voilée.  Mais, de nouvelles associations féministes voient le jour et permettent des évolutions. Par exemple à Rennes, l’association de femmes musulmanes Al Houda qui existe depuis pas mal d’années est maintenant reconnue par des associations non religieuses comme Mix-Cité ou Questions d’Egalité. C’est positif.

 

Actuellement, vous vivez à Londres où vous poursuivez vos recherches, est-ce plus facile qu’en France ?

La vie quotidienne en Angleterre n’a rien à voir avec la vie quotidienne en France. Le rapport au religieux n’est pas le même. C’est un espace sacré. Là-bas, ça ne se fait pas de demander aux gens pourquoi ils croient ou aux femmes pourquoi elles portent le voile. En France, c’est dix fois par jour qu’on nous pose la question. A Londres, on peut marcher pieds nus dans la rue, personne ne regarde ! J’ai vu des policiers avec des dreadlocks, des conducteurs de bus punks, moi je suis encore choquée et je me dis : je suis vraiment très Française ! En France, on est loin de tout ça, il y a un modèle normatif encore très important.

 

Propos recueillis par Geneviève ROY – EGALITE

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