Articles récents \ Monde Pologne : le Pape au ciel, les femmes en enfer

Alors que dimanche dernier, Karol Wojtyła , le «pape polonais» Jean-Paul II était canonisé, les femmes polonaises continuent de subir les effets du deal réalisé entre l’église catholique, pour son rôle dans la chute du communisme, et la classe politique. Le droit à l’avortement est toujours quasiment dénié aux Polonaises.

En Pologne, l’avortement fut légalisé en 1956 et de fait il se substituait à la contraception. Il y avait jusqu’à deux cent mille avortements par an. La contraception étant certes autorisée, mais la gamme des contraceptifs restait très limitée, il y eut le fameux globule « Z » en 1958, puis la pilule hormonale dans les années 60. L’éducation sexuelle n’était pas très développée, mais promue par le Planning familial (la société pour le développement de la famille), héritière de la Société pour la maternité consciente créé par l’écrivain Boy-Zelenski entre les deux guerres, ainsi que par les magazines de femmes et d’étudiant-e-s. Tout laissait à penser que «l’Enfer des femmes», décrit par l’écrivain avant la Seconde Guerre mondiale, avait disparu à jamais.
Le prix à payer à l’Église
A la chute du mur, il est vite apparu que ladite transformation démocratique, contrairement aux déclarations formelles des droits humains et libertés, se ferait, en grande partie, au détriment des femmes, les privant de leurs droits et aspirations, à commencer par la remise en question de leurs droits sexuels et reproductifs. C’était le prix, mais pas le seul, que le nouveau gouvernement a payé à l’église catholique pour sa contribution incontestable au renversement du communisme. Les droits reproductifs des femmes sont devenus en quelque sorte le butin de guerre de l’église et de son associé – la droite conservatrice. Pour les libéraux et la gauche, ce n’était pas un prix trop élevé à payer en échange du soutien de l’église dans d’autres domaines, par exemple, pour son consentement à l’adhésion du pays à l’Union européenne. Et il y eut de nombreux gestes: le premier ministre Oleksy (1995–1996 ) inlassablement agenouillé en toutes occasions ou le président Kwasniewski ( 1995-2005) qui se promenait avec Jean-Paul II en «papamobile».
Les Polonaises ont payé avec leur santé et leur vie le coût du changement, même si la Pologne n’est pas le seul pays où les femmes ayant participé en masse à des mouvements de libération ont vu leurs droits et leurs intérêts bafoués.
La protection de la vie à naître à n’importe quel prix
La loi anti-avortement fut votée en 1993, contrairement à l’avis de l’opinion publique et en violation des principes fondamentaux de la démocratie. Une initiative de citoyens et citoyennes ayant rassemblé 1,5 million de signatures demandant un référendum sur la question, a tout simplement été négligé. La restriction de l’accès à l’avortement avait commencé, étape par étape, avant même l’introduction de la loi de 1993. Cela s’est fait avec l’appui des médecins, qui, comme entre les deux guerres, ont fait joué la clause de conscience.
Une brochure réalisée par la Fédération des Femmes et du Planning Familial intitulée « Les femmes en enfer. Histoires de femmes polonaises d’aujourd’hui» décrit des cas qui donnent la chair de poule. Citons le cas d’Agata Lamczak morte parce que des médecins lui ont refusé une thérapie qui aurait pu être nocive pour le fœtus. Une description de la scène dans laquelle la mère et le compagnon d’Agata demandent aux médecin d’intervenir, rappelle des scènes de la littérature ou de films parlant de la réalité d’un autre siècle quand les médecins demandaient au futur père quelle vie il fallait sauver: celle de la mère ou celle de l’enfant. Dans le cas d’Agata, même cette chance lui a été refusée. La protection de la vie à naître à n’importe quel prix, y compris au coût de la vie des femmes est devenue dans les années 90 le symbole du pouvoir de l’église et de ses alliés politiques. Personne n’a été tenu responsable de la mort d’Agata, il y a eu d’autres cas semblables mais on ne connaît pas les statistiques. Heureusement, certains cas connus, comme celui d’Alicja Tysiac (refus de l’avortement pour des raisons médicales) ou de Barbara Wojnarowska (refus d’examen prénatal alors qu’elle avait déjà des enfants avec des malformations génétiques) ont trouvé une réponse à Strasbourg devant la cour européenne des droits de l’homme où ces femmes ont gagné leur procès contre l’Etat polonais. Cela a un peu atténué l’impunité de l’Etat dans sa violence contre les femmes.
«La démocratie sans les femmes, c’est la moitié de la démocratie »
Toutefois l’ampleur de l’hypocrisie de l’Etat et de la passivité de la société est tout à fait étonnante. Personne ne croit aux statistiques officielles sur le nombre d’avortements légaux effectués en Pologne (quelques centaines par an), tout le monde est au courant des avortement clandestins. Un documentaire réalisé par deux cinéastes féministes, Claudia Snochowska-Gonzalez et Annę Zdrojewska «l’Etat clandestin des femmes» montre quels risques physiques et psychiques, outre l’humiliation, courent les femmes obligées à se faire avorter clandestinement. Le tourisme abortif, accessible aux femmes aisées, est un fait bien connu mais la violence systémique contre les femmes continue.
En 2000, la première manifestation du 8 mars après la chute du communisme avait pour slogan «La démocratie sans les femmes c’est la moitié de la démocratie. » Mais, en réalité, la démocratie sans femmes ce n’est une démocratie tout court. De quelle démocratie peut-on parler, en effet, si la moitié de la population est privée du droit de se prononcer sur les questions les plus personnelles comme ses droits sexuels et reproductifs? Pourquoi penser, d’ailleurs, que l’autre moitié de la population, les hommes, est d’accord avec cet état de choses? Toutes les enquêtes, ainsi que les statistiques officielles le nient. Un nombre croissant de Polonais ne se conforme pas à l’enseignement de l’église dans ce domaine. Beaucoup de femmes catholiques veulent avoir accès à la contraception moderne, à l’éducation sexuelle, et si elles sont obligées d’avorter, elle le font. En dépit de l’introduction du mariage «concordataire» qui exonère le couple de se marier à la mairie, le nombre de mariages civils augmente, comme augmente également le nombre d’enfants nés hors mariage. D’autre part, le nombre de vocations religieuses est en déclin, tout comme la générosité des fidèles. Plus de 50% de la population estime que l’impact de l’église dans la vie politique est trop important, 86% sont opposés à ce que l’église se prononce dans les affaires politiques, 85% soutiennent le principe de la séparation de l’église et de l’État. En dépit de la loi anti-avortement très restrictive et en l’absence de contraception moderne disponible, la Pologne a un taux de natalité des plus faibles en Europe.
L’hystérie liée à la canonisation de Jean-Paul II, surtout dans les cercles du pouvoir politique, va diminuer dans les jours qui viennent laissant la place à d’autres événements comme, par exemple, les élections européennes auxquelles les Polonaises se présentent massivement. La question de l’avortement en Pologne va revenir comme un boumerang.
 
Nina Sankari 50/50 collaboratrice Pologne

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