DOSSIERS \ Femmes palestiniennes : la longue marche vers l'égalité économique \ Monde Des syndicalistes pour l’égalité (2)

Enquête 2ème partie

Le combat politique
On l’aura compris : en Palestine, la question de la place des femmes est indissociable de la question nationale. Et elles sont nombreuses ces Palestiniennes qui s’engagent sur le terrain politique. Exemple : Assmad Masni, élue en octobre 2012 à la municipalité de Naplouse sur la liste du Fatah. Selon la loi électorale, les listes devaient compter au moins 3 femmes sur 15 noms (dont une dans les cinq premiers de la liste). Mais Assmad a exigé davantage : « J’ai dit que je voulais être numéro 2 ou rien du tout ! » Désormais en charge des affaires économiques et financières à la Ville, elle affirme sa volonté de créer des usines à Naplouse et de favoriser l’« empowerment » des femmes. « Ici, personne ne vous donne rien. Mais mon mari et ma famille me soutiennent. »
En Palestine, il n’est pas rare de trouver des hommes féministes, à l’instar de Maj, précieux relais entre les syndicats locaux et les ONG internationales. « J’ai eu la chance de devenir militant à 13 ans, de créer une organisation de jeunesse et de fréquenter les féministes de la PWWSD » (Palestinian Working Woman Society for Development, créée en 1981 par le Parti communiste, puis devenue indépendante). Lors des bombardements de Naplouse pendant l’intifada, Maj et ses amis ont organisé des ateliers pour dénoncer les crimes d’honneur. Car ce militant chaleureux, qui aime les grands éclats de rire, se montre inquiet sur le fond : « Avec l’occupation, la violence domestique et le harcèlement sexuel ne cessent d’augmenter ».

diab zayed(2)Autre homme « féministe », Diab Zayed est responsable de programmes à la PWWSD, la seule ONG à intervenir sur la question des droits des femmes au travail. Sur le mur de son bureau de Ramallah, une affiche proclame : « Liberté, justice, égalité ! » ; une autre : « Tuer une femme, c’est tuer la vie » ; et une troisième : « Une vie sans violence, c’est meilleur ». Depuis le déchirement entre la Cisjordanie (dirigée par le Fatah) et Gaza (sous le contrôle du Hamas), la Palestine n’a plus de Parlement, donc plus d’organe législatif.

« Nous avons écrit au président de l’Autorité, qui peut prendre des décrets pour protéger les femmes. Nous essayons aussi de pousser les femmes à s’engager sur le plan politique. » A l’occasion des élections de 2012, des ateliers ont été mis en place pour les sensibiliser à leurs droits électoraux. « En 2011, nous avons aussi mené campagne pour que les divorcées ne soient pas obligées de quitter leur maison. Nous menons des campagnes ambitieuses : c’est notre manière de voir les choses, et c’est ma stratégie personnelle », explique le responsable associatif. Reste que ce discours mobilisateur se heurte à une contradiction : « Nous éduquons les femmes sur leurs droits, mais elles n’ont aucune institution pour les faire respecter. Nous essayons de leur expliquer que ce n’est pas d’un coup de baguette magique qu’on peut changer les choses. Mais, en tant qu’individu, chacun peut avoir une action et une influence. »

Sur le front syndical
Cette mutation culturelle semble déjà engagée du côté des syndicats. Y compris dans les secteurs les plus masculins, comme celui des transports. « Nous avons très peu de conductrices, explique Nasser Younis, président du syndicat national. Malgré tout, nous respectons la règle, édictée en 2007, qui veut qu’il y ait 20 % de femmes à tous les niveaux de responsabilité. » Il a été de ceux qui ont soutenu Neda Abu Zant (voir portrait) lorsque celle-ci a voulu entrer au comité exécutif du syndicat. « C’est une excellente militante, et je suis heureux de cette évolution. Les femmes doivent prendre leurs droits par leurs propres actions. Une femme pour me succéder à la présidence : pourquoi pas ? »
Basma Al Battat(1&2)

En 1995, il y avait une seule femme au comité exécutif de la PGFTU, elles sont quatre aujourd’hui. « Il y a un large accord pour renforcer la place des femmes au sein des syndicats. Mais les droits ne vous sont jamais donnés : vous devez vous battre ! », explique Basma Al Battat, l’une des femmes membres du comité exécutif, également secrétaire générale du département femmes de la PGFTU. « Même si ce n’est pas facile, les femmes ont toujours été très présentes dans la société civile palestinienne », explique-t-elle.

Sur le terrain, la situation des femmes syndicalistes apparaît plus contrastée. Présidente de la Fédération santé de la PGFTU, à la tête du laboratoire de l’hôpital de Naplouse, Jowayriah a été confrontée à un directeur, proche du Hamas, qui l’accusait de ne pas bien faire son travail. Tous ses collègues ont pris position en sa faveur, et le directeur a fini par être viré. Il n’a pas été aisé pour elle d’accéder à la présidence de la Fédération santé. « Mais comme je me suis battue pour l’application de la loi dans les institutions, j’ai gagné la confiance ! » Fatina n’a pas eu la même chance : en charge des relations internationales de son syndicat, les hommes lui ont barré l’accès à des responsabilités supérieures. « Ils m’ont empêchée de me présenter aux élections d’août 2012. Ils m’ont dit que c’était trop dur parce que j’habitais à Jérusalem… »
Des alternatives concrètes
fatina(2)
Face à tant d’adversité, les femmes palestiniennes ne baissent pas les bras.   Et comme la société civile est bien vivante, elles multiplient les initiatives pour générer de l’activité et des revenus. « Nous essayons de les organiser en coopératives, dans l’artisanat, l’agriculture, la fabrication de miel, les pâtisseries… », explique Diab Zayed. Même Gaza n’est pas oubliée dans ce programme de la PWWSD : une imprimerie et une fabrique de vêtements permettent aussi de générer une petite activité économique.
 
Plus la situation est difficile, et plus les alternatives fleurissent. Dans la région d’Hébron, des femmes ont fondé une coopérative de broderie (voir reportage). Dans le camp de Al Aroub un « club des femmes » proposes du fitness, un atelier de maquillage, de la broderie, une petite école… A Balatah, un centre, sous le joli nom de « Pretty woman », héberge un salon de beauté, des ateliers de couture, une aide médicale et psychologique… qui ont déjà bénéficié à près de 4 000 femmes. « Notre stratégie, c’est qu’elles ne dépendent pas de l’aide sociale, mais gardent leur dignité, explique Ibtesam, la directrice du centre. La dignité : voilà bien ce qui ne fait pas défaut aux femmes palestiniennes.
 
Philippe Merlant 50-50

print