DOSSIERS \ Femmes palestiniennes : la longue marche vers l'égalité économique \ Monde Michel Warschawski : « Une lueur d’espoir, malgré tout »

Né en France et émigré en Israël, journaliste et co-fondateur du Centre d’information alternative (AIC), Michel Warschawski a reçu, en décembre 2012, le prix des droits de l’homme de la République française pour l’action d’information de l’AIC sur les crimes de la colonisation israélienne. Pour 50/50, il s’exprime sur la situation des femmes palestiniennes et sur les perspectives politiques au Proche-Orient. Interview.

 
Quelle est la situation des travailleurs palestiniens, notamment des femmes, qui travaillent en Israël ?
Les Palestinien-ne-s  travaillent de moins en moins   en Israël. Quelques milliers de permis continuent d’être accordés chaque année à des Palestiniens, hommes et femmes, pour aller travailler côté israélien, mais cela ne cesse de diminuer. D’ailleurs, l’association Kav Louved, créée voilà 25 ans pour défendre les droits des travailleurs et travailleuses palestinien-ne-s en Israël, et qui a réussi à obliger l’État et des employeurs à leur rembourser de grosses sommes, a fini par se recycler dans la défense des migrant-e-s (africain-e-s, philippin-ne-s, chinois-e-s, thaïs…), devenus bien plus nombreux. Jadis, pas mal de femmes palestiniennes travaillaient dans l’agriculture, à proximité de la frontière avec la Cisjordanie, mais la plupart ont été remplacées par des Thaïlandaises. Il faut dire que les conditions d’entrée et de sortie aux check-points sont de plus en plus difficiles : celles et ceux qui doivent passer chaque jour ne sont jamais sûr-e-s d’arriver à l’heure à leur travail. Restent les clandestin-e-s : on estime que plus de la moitié des Palestinien-ne-s qui travaillent en Israël aujourd’hui ne sont pas déclaré-e-s.
Pourquoi cette méfiance côté israélien à l’égard des Palestinien-ne-s qui viennent travailler ?
La principale crainte, c’est la menace démographique. Avec les migrations liées au travail, il se forme forcément des couples mixtes. Or, beaucoup d’Israélien-ne-s considèrent les « bombes démographiques » comme tout aussi dangereuses que les bombes réelles ! Ils préfèrent un État d’Israël avec une immense majorité de juifs, même si celui-ci doit être plus petit. Leur grande angoisse, c’est que les arabes deviennent plus nombreux, sinon majoritaires, en Israël.
Que pensez-vous de celles et ceux qui vont travailler chez les colons ?
On ne les stigmatise plus, et c’est tant mieux. La centrale syndicale palestinienne (PGFTU) s’est désolidarisée des positions de l’Autorité palestinienne, qui demandait à ses ressortissant-e-s de boycotter les colonies en refusant d’y travailler. Les syndicats ont une position plus pragmatique : tant que l’on n’a pas autre chose à leur proposer – et c’est le cas –, comment oser condamner ceux et celles qui doivent aller chercher leur gagne-pain en travaillant chez les colons ? Le problème, c’est que les colonies ne cessent de gagner du terrain. Et l’on n’a même pas besoin d’en créer de nouvelles : il suffit d’utiliser la carte qui a défini l’« espace municipal des colonies » à la fin des années 1970. Tout ce qui n’est pas cultivé – même les champs d’oliviers – est réputé appartenir à cet espace, sans cesse extensible en fonction de la croissance démographique des colons juifs. Dès que l’on sort des grandes villes de Cisjordanie, les Palestinien-ne-s sont soumis à l’arbitraire le plus total.
Comment appréciez-vous plus globalement la situation des femmes palestiniennes ?
Dans les années 1960-70, il est clair que cette situation était plus favorable que dans les pays voisins, notamment parce que les femmes y étaient bien plus éduquées que dans la plupart des pays arabes. Mais il y a eu une régression, qui est allée de pair avec le retour d’un certain « conservatisme » dans la société palestinienne. Un exemple : le nombre d’étudiantes couvertes du hijab à l’université de Bir-Zeit a dû être multiplié par dix en une décennie. Et ce n’est pas le Hamas – lequel, du reste, ne cherche pas à freiner l’éducation des femmes – qui impose cela. Ce conservatisme ambiant vient plutôt du déclin de la gauche dans la société palestinienne. Il y a eu échec du projet de nationalisme arabe moderne et progressiste. Du coup, on assiste à une redéfinition de l’identité : aujourd’hui, les gens se définissent d’abord comme musulman-e-s, puis comme arabes, avant de se sentir Palestinien-ne-s. C’était exactement l’inverse voilà quarante ans.
Tout cela a de quoi inciter au pessimisme, non ?
Détrompez-vous ! Trois facteurs fondamentaux nous invitent à l’espoir. D’abord, les révolutions arabes : quelles que soient leurs vicissitudes actuelles, cette lame de fond remet la question démocratique au centre et ne fait plus du conflit israélo-palestinien le seul enjeu politique de la région. Ensuite, le déclin de l’hégémonie américaine : nous ne sommes plus dans la recolonisation du monde, des puissances comme la Russie, la Chine ou l’Inde s’affirment, elles ont aussi leurs défauts, mais je préfère avoir plusieurs maîtres qu’un seul, car cela augmente les marges de manœuvre. Enfin, le phénomène des Indignés : plus de 400 000 manifestants à Tel Aviv – du jamais vu ! –, cela traduit un mouvement de fond, inattendu et inespéré. Il est aujourd’hui un peu épuisé, mais ce qui s’est passé là n’a pas fini de faire sentir ses conséquences sur la société israélienne. Tout cela m’incite à un certain optimisme. Même si les choses prendront forcément du temps, beaucoup de temps.
 
Philippe Merlant 50-50

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