Articles récents \ DÉBATS \ Contributions \ France \ Économie LUTTER CONTRE LA PRÉCARITÉ DES FEMMES

Odile Merckling, socio-économiste, membre du Collectif National pour les Droits des Femmes, fait un état des lieux et des propositions pour faire avancer l’égalité Femmes/Hommes au travail.

Actuellement, 60 % des travailleurs précaires sont des femmes. En matière d’égalité entre les femmes et les hommes, la nouvelle loi adoptée fin juin 2014 couvre tous les domaines de la vie sociale. Mais, d’une part, les législations sur l’égalité salariale ne sont guère appliquées ; d’autre part, les pouvoirs publics ont fait l’impasse sur la question de la précarité du travail – à l’exception de l’obligation d’un minimum horaire hebdomadaire de 24 heures dans les contrats de travail.
Pratiquement rien n’est envisagé pour permettre une meilleure application des législations du travail, pour limiter l’usage abusif des contrats précaires, de la sous-traitance, du temps partiel imposé, des horaires atypiques (travail de nuit et du dimanche). Le projet de loi Macron, qui doit prochainement être présenté en Conseil des ministres, vise à permettre de nouvelles déréglementations des horaires.
Des créations d’emplois massives seraient indispensables dans de nombreux domaines (santé, éducation, crèches, aide à domicile). La création de places en crèche reste globalement insuffisante. Les mesures concernant la prise d’une partie du congé parental d’éducation par les hommes seront peu appliquées, étant donné le montant des allocations attribuées (au maximum de 576 €).
Faire respecter le droit du travail
En matière de droits du travail, l’inversion de la hiérarchie des normes est affirmée, alors que la loi devrait en toute circonstance prévaloir sur les accords de branche ou d’entreprise. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi (transcription de l’Accord national interprofessionnel du 11/01/2013) favorise les licenciements, notamment en cas de refus par un salarié de modifications des conditions essentielles de son contrat.
Tout est actuellement fait pour rendre l’accès à la justice plus difficile aux salariés. Face aux abus du patronat, il serait nécessaire d’étendre les possibilités de judiciarisation et d’action collective… Pour cela, il faudrait accroître le rôle et les moyens de l’inspection du travail et des prud’hommes, alors que les réformes en cours font tout à fait l’inverse. La disparition des élections prud’homales, qui a été votée au Parlement, vise à modifier le fonctionnement de la justice au détriment des salarié-e-s. De plus, il serait nécessaire de faciliter l’accès à l’aide juridictionnelle, par exemple en relevant le plafond au Smic brut.
Nous souhaitons une réelle application des sanctions en cas de non-respect des obligations de négociation en matière d’égalité entre femmes et hommes et de mise en place d’un plan de réduction des inégalités. La loi du 23 mars 2006 a prévu la possibilité de pénalités de 1% de la masse salariale. Mais sur 700 entreprises mises en demeure jusqu’ici, seulement 10 avaient été sanctionnées à la date du 23/06/2014. Rien n’existe en ce qui concerne les entreprises de moins de 50 salarié-e-s.
La désertification syndicale ne cesse de progresser. Dans les entreprises de moins de 50 salarié-e-s du secteur privé, où travaillent de nombreuses femmes, le droit du travail est peu respecté. Il y a souvent une filialisation de sociétés pour éviter d’atteindre les seuils sociaux ; de plus le patronat remet en cause l’existence même de ces seuils.
La banalisation de méthodes de management harcelantes et stressantes conduit à démultiplier les situations de violences au travail. Il faudrait judiciariser ces situations, exiger par exemple une reconnaissance comme maladie professionnelle, et une prise en charge par la sécurité sociale, des situations d’épuisement professionnel, de dépression, de burn out…
Encadrer le Temps partiel et limiter la pluriactivité
Il est indispensable d’encadrer strictement le travail à temps partiel, de permettre un droit effectif au passage à temps plein, de limiter la pluriactivité et l’éclatement des horaires. Actuellement, les possibilités de revalorisation des contrats par augmentation du volume horaire sont en train de disparaître dans certains secteurs.
L’obligation d’un volume horaire hebdomadaire de 24 heures dans les contrats (instituée par la loi du 14 juin 2013) a été mise en application au 1er juillet. Ceci devrait, en principe, permettre de limiter l’émiettement de l’emploi et les situations de pluriactivité. Cependant, les étudiant-e-s et les salarié-e-s de particuliers ne sont pas concerné-e-s. De plus, un accord de branche étendu peut prévoir un volume horaire minimum inférieur, ce qui risque d’être le cas dans certains secteurs qui emploient beaucoup de salarié-e-s en temps partiel. Pour les contrats en cours, les entreprises ont jusqu’au 1er janvier 2016 pour s’adapter ; des mesures transitoires devraient, en principe, permettre d’arriver progressivement au minimum de 24 heures pour les salarié-e-s qui en font la demande.
Le texte de loi du 14 juin 2013 a de nouveau légalisé la possibilité d’avenants temporaires à un contrat (jusqu’à 8 par an) – pratique qui avait été restreinte par la jurisprudence – d’où un risque de disparition des possibilités de revalorisation d’un contrat.
Il faudrait favoriser le développement d’horaires de travail normaux en journée, limiter l’amplitude des journées et regrouper les horaires au maximum – surtout pour les femmes qui travaillent en temps partiel. La prise en compte des temps de déplacement entre différents lieux de travail dans le temps de travail effectif devrait être étendue aux cas où il existe plusieurs employeurs ou employeuses différent-e-s.
Limiter la sous-traitance
Le développement très rapide de formes de sous-traitance n’a souvent d’autre objectif que de léser les salarié-e-s sur le plan des droits sociaux. Les grèves des dernières années dans la sous-traitance hôtelière ont mis en évidence des formes abusives de prêt de main d’oeuvre et de marchandage. Le soutien à ces luttes est essentiel, afin de permettre la reconstitution de l’unité des collectifs de travail, l’intégration chez le-la donneur-se d’ordre des salarié-es des sous-traitants, un même statut pour tous les salarié-e-s.
L’application de la loi du 20 août 2008 sur la représentativité des organisations syndicales devrait permettre une participation aux élections professionnelles chez le donneur d’ordre, et une éligibilité des salarié-e-s des sous-traitants aux instances de représentation du personnel. Elle devrait inciter les organisations syndicales à se préoccuper davantage des conditions de travail des salariés de la sous-traitance. Cependant, la condition de 2 ans de présence dans l’entreprise donneuse d’ordre, pour être éligible, en limite les effets.
Il devrait être interdit de soumissionner à des marchés publics ou à une délégation de services publics, pour les entreprises qui ne respectent pas les droits du travail, les obligations légales en matière de contrats précaires, d’égalité entre femmes et hommes, de non-discrimination…
Revaloriser les emplois de services à la personne
Une réflexion est indispensable au sujet de l’organisation du travail dans les activités de services à la personne, afin de revaloriser les emplois de ce secteur. Actuellement, beaucoup d’associations se retrouvent en difficulté, étant donné les restrictions de subventions liées à la politique d’austérité. Le secteur privé lucratif ne cesse de se développer, au détriment du secteur public et du secteur associatif, et cela ne permet pas une amélioration des conditions d’emploi. Le temps partiel de courte durée y est, par exemple, très développé.
Un statut de salarié-e des services à la personne ne peut être constitué qu’au travers d’un développement de structures collectives, de l’accès à la formation et à une certification professionnelle. Il faut également harmoniser les conventions collectives en allant vers le haut, et rémunérer les temps de déplacement professionnel.
Odile Merckling, socio-économiste, membre du Collectif National pour les Droits des Femmes

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