DÉBATS \ Tribunes Femmes interdites de stade : les instances sportives internationales vont-elles enfin ouvrir les yeux sur la ségrégation sexuelle ?

TRIBUNE

Le 2 novembre Goncheh Ghavami, une jeune anglo-iranienne de 25 ans, était condamnée à un an de prison  simplement pour avoir voulu assister au match Iran-Italie de la Ligue mondiale de volley-ball à Téhéran. Il aura fallu que cette jeune femmes fasse deux grèves de la faim et que la pression internationale ne se relâche pas, pour qu’enfin les autorités iraniennes décident une libération conditionnelle !

Face à un jugement aussi inique qui bafoue les principes les plus fondamentaux de non-discrimination inscrits dans les réglements sportifs, la Fédération Internationale de Volley-ball (FIVB) a fait savoir qu’elle « ne donnera pas à l’Iran le droit d’organiser des évènements relevant directement de la Fédération internationale, comme les Championnats du monde, en particulier pour les catégories de jeunes, jusqu’à ce que l’interdiction pour les femmes d’assister aux matchs soit levée.» Résultat : l’Iran ne sera pas autorisé à accueillir en 2015 le championnat du monde de volley masculin des moins de 19 ans. La FIVB a demandé à l’Argentine de se tenir prête à organiser ce championnat.
Cette décision ne concerne cependant  pas les matchs de la Ligue mondiale dont le programme a déjà été déjà fixé, ni le championnat d’Asie 2015 car les Confédérations bénéficient d’une grande autonomie…. Constatons également que cette décision ne porte que sur l’un des aspects du problème : le droit des femmes à être des spectatrices, même si Ary Graça, le président de la FIVB, a élargi la question à leur participation en tant que joueuses («les femmes partout dans le monde devraient être autorisées à regarder et à participer (à des matchs de) volley-ball sur une base d’égalité», déclaration faite lors du Congrès mondial de cette instance.
En dépit de ces réserves, ce durcissement de ton ne peut que nous réjouir en tant qu’association féministe qui depuis plus de 20 ans se mobilise pour défendre le droit universel des femmes à pratiquer le sport de leur choix dans les mêmes conditions que les hommes.
Le CIO se réveillerait-il  lui aussi ?
La décision de la FIVB est à rapprocher de la fermeté nouvelle du Comité International Olympique en matière de respect des droits humains (y compris s’agissant des droits liés au genre et des droits des travailleurs et travailleuses). Ainsi, sous l’impulsion de Thomas Bach, président du CIO, désormais les villes candidates à l’organisation d’évènements sportifs majeurs, devront s’engager à adhérer à ces droits, conformément au principe n°6 de la Charte Olympique: principe de non-discrimination.
Il faut sans doute y voir une prise de conscience à la suite des tensions qui ont perturbé les Jeux d’hiver de Sotchi à propos des droits des homosexuel-le-s et à la suite de la contestation du  traitement réservé aux travailleurs immigrés employés par les autorités qataries pour la construction des infrastructures du mondial de football. L’affaire Goncheh Ghavami, ne permettait plus de laisser dans l’ombre la question des femmes. Dans ce domaine, les pressions du CIO s’exerceraient non seulement sur l’Iran mais aussi sur l’Arabie Saoudite, deux pays où les femmes sont interdites de stade (1).
L’Arabie  Saoudite est en effet encore en plus mauvaise posture que l’Iran, n’ayant tenu aucune des promesses qu’elle avait faites au CIO lors des JO de Londres: le sport est toujours interdit aux filles dans les écoles publiques,  le plan national  de construction des stades pour les cinq prochaines années ne prévoit toujours rien pour les Saoudiennes…
On se souviendra que, lors des JO de Londres, le CIO alors présidé par Jacques Rogge, avait accepté toutes les conditions posées par l’Arabie Saoudite, afin d’obtenir que cette dernière envoie deux femmes aux JO. Conditions exorbitantes: les deux saoudiennes ne devaient pas être des résidentes du pays, elles devaient être voilées de la tête aux pieds, n’intervenir que dans des compétitions non mixtes et être  sous le regard permanent de leur gardien mâle ! La contrepartie étant : la promesse de lancer un programme femmes et sport. Promesse non tenue !
Le sujet est loin d’être mineur : les oppositions en interne dans ce pays sont très fortes. En Iran, c’est le Guide Suprême, lui-même, Ali Khamenei qui a bloqué en 2006 la tentative du président d’alors, Mahmoud Ahmadinejad, de lever l’interdiction faite aux femmes d’assister aux évènements sportifs. Quant à l’Arabie Saoudite,  récemment encore, elle a refusé de signer une déclaration commune des associations de football du Moyen orient reconnaissant les mêmes droits pour les femmes et les hommes en matière de sport. Seule une véritable menace d’exclusion  de ces pays par les instances sportives internationales peut changer la donne.
Ce voile que les instances sportives n’ont pas voulu refuser
Le CIO et les Fédérations sportives n’ont pas voulu comprendre que les conditions posées par l’Iran et les dictatures du Golfe à la participation des femmes aux événements sportifs internationaux  – port du voile et interdiction de certains disciplines – non seulement contrevenaient aux règles de neutralité et de non-discrimination inscrites dans la Charte Olympique, mais révélaient le caractère implacable de la  ségrégation sexuelle dont sont victimes les femmes. Ségrégation semblable à l’apartheid racial tel qu’il était pratiqué en Afrique du Sud et qui avait conduit à son exclusion des JO pendant 30 ans.
En acceptant sans réserve les diktats de ces gouvernements sous prétexte de «compassion» («sans ça les femmes ne pourraient pas faire de sport »), les dirigeants sportifs ont failli à leur mission de respect d’une règle d’universalité et finalement n’ont pas aidé les femmes de ces pays.
Au moment où la France affiche sa volonté d’accueillir de grands événements sportifs, aura-t-elle le courage de défendre effectivement les valeurs d’universalité du droit des femmes, autrement qu’en les confondant avec le respect des différences culturelles et religieuses comme le fait le président du CNOSF (2).
 
Annie Sugier, Présidente de la Ligue du Droit International des Femmes, Vice-Présidente de la CLEF (Coordination Française du Lobby Européen des Femmes). Auteure de « femmes voilées aux Jeux Olympiques » ed Jourdan.
1 The Turbulent World of Middle East soccer blog, James M. Dorsey blog.
2 Le sport, c’est bien plus que du sport.  Pascal Boniface et Denis Masseglia, Ed. Jean-Claude Gawsewitch. 2013

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