Articles récents \ Culture \ Livres Une maison d’édition féministe, c’était nécessaire pour les enfants

Créée en 2005, Talents Hauts est une maison d’édition jeunesse qui revendique de publier des livres de qualité, attentifs à toutes les discriminations, et au sexisme en particulier, des livres pour bousculer les idées reçues et faire grandir.

Maison d’édition féministe et féminine puisque les deux fondatrices en sont Mélanie Decourt et Laurence Faron, venues de l’édition scolaire, héritières d’Adela Turin dont elles ont croisé les livres et qu’elles ont elles-même rencontrées. Basé à Vincennes, Talents Hauts fête ses dix ans d’existence et un catalogue de près de 200 titres : des albums, des contes et des romans pour tous les âges, des tout-e-s petit-e-s aux adolescent-e-s.

Leur entreprise est sans précédent (sauf à remonter au début des années 1970 avec l’expérience pionnière de la collection Jeunesse des éditions Des Femmes) car, si plusieurs éditeurs se sont fait remarquer par des titres audacieux, mettant en question les rôles sexués, abordant des sujets inhabituels, aucune maison d’édition n’a fait de l’égalité filles-garçons sa ligne éditoriale principale. Dans l’immense champ de la littérature enfantine traditionnelle – qu’il ne s’agit pas de boycotter ! – les parents soucieux d’égalité apprécieront la vigilance de Talents Hauts. En effet, présents dans les belles images de beaucoup d’albums pour enfants, les stéréotypes le sont tout autant dans les romans des lecteurs autonomes. C’est bien parce qu’il n’y a pas de « livre neutre », qu’il a fallu proposer des livres différents.

Certains livres de Talents Hauts proposent des contre-modèles, comme l’un des premiers livres publiés, La princesse et le dragon, dans lequel c’est l’héroïne qui chasse le dragon et sauve le prince. Après le temps du «premier degré», qui n’empêche pas l’humour, vient celui du «second degré» où il est possible de suggérer.  Le livre ne va pas jouer sur l’identification primaire mais donner une image positive de la féminité par la poésie et le symbole, comme dans le remarquable La lune nue de Marie Sellier, ou mettre en scène comme une normalité un couple homoparental dans Le fils des géants de Gaël Aymon.

La déclaration des droits des filles et des droits des garçons

A la problématique du genre, s’entrecroise souvent celles de la différence, des discriminations, de la violence. Amnesty International a d’ailleurs apporté un soutien officiel à plusieurs titres. Pour les «bons lecteurs» et pré-ados, les genres (littéraires…) se multiplient : contes, aventure, vie quotidienne, heroic fantasy ou histoire (Le rêve du papillon noir d’Anne Thiollier par exemple), tandis que pour les plus de treize ans, la collection «Ego» s’est rapidement imposée. Les thèmes abordés sont souvent durs comme, par exemple, le harcèlement sexuel d’une collégienne sur internet (Mauv@ise connexion de Jo Witek, un succès dans cette collection) mais les fins ouvertes.

Parlant de best-sellers, Laurence Faron indique que les deux livres symétriques La déclaration des droits des filles et La déclaration des droits des garçons sont les grands succès de 2014.

Elle ne croit pas que l’offre éditoriale de Talents Hauts réponde à une «demande» car les adultes sont souvent dans le déni du fait discriminatoire, même si les enfants, garçons et filles confondus, y réagissent bien. Par ailleurs la maison d’édition se distingue des grands du secteur qui déclinent des produits «marketés» en bleu ou en rose dans les hypermarchés. Dans le choix de ses couvertures, d’ailleurs, les couleurs ainsi connotées sont soigneusement évitées…

Affirmant qu’il faut «avant tout faire de bons livres et que les bons sentiments n’y suffisent pas», nos éditrices démontrent que professionnalisme et conviction féministe peuvent faire bon ménage. Mais elles doivent reconnaître que tout cela «prend tellement de temps à faire évoluer »…
C’est pourquoi les initiatives de Najat Vallaud Belkacem sont saluées et son passage à l’Éducation Nationale vu comme positif. Talents Hauts a pâti en 2014 de la campagne contre les ABCD de l’égalité, sur les réseaux sociaux notamment, avec l’annulation de plusieurs animations scolaires. La maison a réagi contre cette incroyable tentative de censure en s’associant à ses auteurs et aux protestations au sein du Syndicat national de l’édition où elle participe au groupe Jeunesse.

Et puis, il reste tant à faire que l’optimisme est de règle dans cette petite équipe de femmes convaincues !

Monique Vézinet 50-50 magazine

Photo: l’équipe au salon de Montreuil 2014. De gauche à droite : Justine Haré, Sabine Delfourd (lectrice), Mélanie Decourt, Laurence Faron.

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