Articles récents \ France \ Politique \ Société Ministère de l’Éducation nationale : Où t’es, genre, où t’es ?

Branle-bas de combat ! Le ministère de l’Éducation nationale a lancé, le 9 février, les « Assises de l’École et de ses partenaires pour les valeurs de la République ». Cette « grande mobilisation » qui « sollicitera tous les partenaires de l’École » fait suite aux mesures annoncées le 22 janvier dernier par la ministre de l’éducation et le premier ministre. Le même jour, une circulaire sur l’application du plan « égalité entre les filles et les garçons à l’école » était envoyée aux personnel-le-s de l’Education nationale.

Ces Assises se dérouleront sur l’ensemble du territoire jusqu’au 24 avril et feront l’objet mi-mai d’une conclusion nationale. Le ministère mobilise ses établissements en tant que lieux d’éducation et de transmission des valeurs républicaines : laïcité, citoyenneté, engagement, lutte contre les inégalités, mixité sociale. Mais parmi ces valeurs fondamentales, une semble avoir été oubliée dans le dispositif des Assises : la prise en compte du genre, c’est-à-dire l’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons.

On se souvient des débats houleux que l’introduction du dispositif des ABCD de l’égalité à l’École (lire l’article de 50-50 magazine) avaient suscité début 2013. Les ABCD de l’égalité ont été retirés à la suite des protestations des anti-genre et ont été remplacés par un plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. La crainte de « la théorie du genre » s’explique du fait de deux grandes confusions autour du genre. Rappelons les fondamentaux. Le genre est un concept et non une théorie. Parler de genre, c’est simplement adopter une grille d’analyse qui prenne en compte le fait que notre société n’est pas (encore) une société d’égalité entre les sexes. Parler de « théorie du genre », c’est faire croire qu’il existerait une école de pensée unifiée qui tenterait de promouvoir son idéologie dans une discipline scientifique. Or, le champ des études de genre est divers, en terme de disciplines d’objets d’études et de points de vue des chercheur-e-s qui sont loin d’être tou-te-s d’accord entre eux.

Le genre est un concept utilisé par des chercheur-e-s pour poser des questionnements permettant de penser et de transformer nos sociétés. Le genre n’est pas une théorie visant à transformer insidieusement les filles en garçons, ou inversement.

Le genre et l’égalité des sexes, grands absents des débats sur l’école

Rappelons que l’objectif des Assises est de lutter contre le retour de l’obscurantisme et de promouvoir les valeurs républicaines. 1500 candidat-e-s se seraient déjà déclaré-e-s prêt-e-s à devenir réservistes citoyens de l’éducation nationale depuis l’appel de la ministre, Najat Vallaud-Belkacem, le 9 février.

Pourtant, dans les 18 pages du document présentant le dispositif des Assises, pas une seule fois ne sont évoqués les termes de «genre», de «sexe», de «fille», de «femme», de «garçon» ou «d’homme». Le terme de «mixité» est lui, utilisé à trois reprises, mais dans le sens de mixité sociale, possiblement comme contrepoids à «l’apartheid» récemment évoqué par le premier ministre. Le terme de « sexisme» est également absent alors que le racisme et l’antisémitisme sont spécifiquement évoqués dans le document. Le terme d’égalité est aussi absent. L’objectif affiché est pourtant «de combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale pour renforcer le sentiment d’appartenance à la République ».

Une circulaire ministérielle égalité filles-garçons a été rédigée par le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem , en date du 22 janvier 2015 : le terme de genre est également manquant dans ce texte. La circulaire décline l’application du plan pour l’égalité des filles et des garçons autour de trois axes : « Généraliser la formation initiale et continue de l’ensemble des personnels à l’égalité entre les filles et les garçons »; « Mobiliser de nouvelles ressources, pour fédérer l’ensemble de la communauté éducative autour d’une ambition partagée et permettre aux enseignants de mettre en œuvre des séquences en classe » ; « Renforcer le pilotage académique de la politique en faveur de l’égalité ». Il reste à voir comment les acteurs de la communauté éducative se l’approprieront. Remarquons que la circulaire est entièrement écrite au masculin !

Qu’en est-il de l’avis du Conseil Supérieur des Programmes (CSP) du 12 février 2015 (1) ? Le sujet des femmes et des hommes est évoqué au détour d’une seule phrase d’un style fort évasif : «le domaine initie [aux] représentations par lesquelles les femmes et les hommes tentent de comprendre la condition humaine et le monde dans lequel ils vivent.» On voit que la question de l’égalité des sexes est au mieux évoquée en arrière-plan de la réflexion du CSP.

Le concept de genre pourrait être pris en compte dans le débat sur l’école, pour que celle-ci éduque des citoyens de la République. Affirmer que l’école doit éduquer à l’égalité entre les femmes et les hommes paraît être une évidence, mais il faut la formuler si on veut montrer aux obscurantismes qu’ils n’ont pas leur place au sein de la République .

Il y a lieu de s’interroger sur la pertinence d’exclure le terme de genre du vocable ministériel. Retirer le genre des textes officiels, c’est laisser penser que l’égalité entre les sexes est déjà effective. Abandonner le genre à l’école serait une triple défaite, intellectuelle, idéologique et politique. Cet abandon est étonnant, de la part d’un ministère dirigée par celle qui incarna au début du quinquennat un espoir de renouveau pour toutes celles et ceux qui croient en l’égalité entre les sexes.

La ministre dispose d’une occasion en or pour faire taire les critiques. Une proposition de loi renforçant le rôle du système éducatif dans la lutte contre les stéréotypes sexistes a été déposée au Sénat par Roland Courteau (PS) et plusieurs de ses collègues le 19 décembre 2014. Pour les sénatrices et sénateurs, «il convient d’inscrire clairement la lutte contre les stéréotypes de sexes dans les missions du système scolaire» en modifiant le code de l’éducation. La proposition de loi fait figurer la lutte contre les stéréotypes de sexes parmi les missions du service public de l’éducation, et reconnaît une place aux études de genre au sein du service public de l’enseignement supérieur. Espérons que le gouvernement saura se saisir du travail des parlementaires.

Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

1  Le Conseil supérieur des programmes est une instance indépendante placée auprès du ministre de l’éducation nationale, qui doit offrir les garanties scientifiques nécessaires pour émettre des avis et formuler des propositions dans ses champs de compétences. Il est ouvert à la représentation nationale et sociale en raison de l’importance de ses missions. Il est composé, à parité, de 9 femmes et de 9 hommes.

 

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