Articles récents \ Culture \ Cinéma La poupée, la marionnette et l’assistante du magicien

Quel rapport peut-il y avoir entre le Bunraku (un type de théâtre japonais dans lequel les personnages sont des marionnettes), une réparatrice de poupée et l’assistante d’un magicien ? Six étudiant-e-s du master «Réalisation , Scénario, Production» de l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne ont réalisé en 2014 un court-métrage sur le thème «Les violences faites aux femmes». Ces films seront diffusés le 8 Mars prochain sur France 2.

Ces jeunes réalisatrices et réalisateurs, confronté-e-s à ce thème qui leur était imposé, ont su aborder le sujet d’une façon originale et personnelle. 50-50 magazine a rencontré deux d’entre eux qui nous racontent leur expérience cinématographique. Emmanuelle Moreau, réalisatrice du film Elle était son jouet et Jean-Paul Figasso, réalisateur de Après coups.

Quel est le sujet de votre film ?

Emmanuelle : Elle était son jouet est un documentaire sur la reconstruction d’une femme victime de violences conjugales par l’intermédiaire d’une réparation de poupée.

Jean-Paul : Après Coups est une fiction inspirée de l’histoire réelle de Frédéric Matwies. Le film raconte l’histoire de Frédéric, qui a battu sa femme pendant dix ans. Grâce à une thérapie, il s’est soigné. Au moment où Frédéric rencontre Delphine dont il tombe amoureux, une question se pose: le monstre est-il bien mort ? Pour donner une chance à leur relation, Frédéric doit être transparent et révéler son passé à Delphine.

Comment vous êtes vous pris-e pour aborder le thème des violences faites aux femmes ?

Emmanuelle : J’ai voulu éviter un traitement frontal du sujet en privilégiant l’utilisation de la métaphore et de la comparaison, pour suggérer davantage que montrer, et surtout pour que les spectatrices et spectateurs aient une position active face au film. C’est à eux, en effet, de faire le lien entre les deux univers que j’exploite. Je pensais qu’en les laissant « faire le travail », ils seraient plus impliqué-e-s dans l’histoire et donc plus sensibles au propos et à la cause défendue.

Jean-Paul : J’ai d’abord fait des recherches sur les victimes de violences. J’ai lu beaucoup de témoignages. C’est lorsque j’ai mis un post sur Facebook pour recueillir des témoignages que le déclic s’est fait. Une heure plus tard, quatre de mes très proches amies m’ont écrit un très long message pour me raconter les horreurs qu’elles avaient vécues. Cela m’a énormément indigné. J’ai été bouleversé par leur témoignage et je me suis dit que s’il n’y avait pas d’homme violent, il n’y aurait plus de victime. C’est à ce moment que je suis tombé sur le témoignage de Frédéric Matwies qui a inspiré mon histoire.

Après coups

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour traiter ce sujet ? 

Emmanuelle : Les difficultés auxquelles je me suis confrontées durant ce tournage étaient surtout celles du ton à adopter. Avec les femmes que j’ai interrogées d’abord. Il fallait qu’elles se sentent en confiance pour me raconter leur histoire. Je devais alors trouver le juste équilibre entre « distance journalistique » et implication affective. La question du ton s’est aussi posée pour le film lui-même. Il me fallait dire, faire comprendre, sans tomber dans l’écueil d’un pathos inapproprié. La métaphore, en ce sens, m’a été utile.

Jean-Paul : Les difficultés principales que j’ai rencontrées sont liées à mon désir de reconstituer le réel, de donner à de la fiction une teinte de documentaire. Une autre difficulté a été de garder suffisamment de distance pour éviter toute stigmatisation et jugements trop hâtifs. Enfin, le montage du film a été un vrai casse-tête. Comme nous avons travaillé sous forme d’improvisations guidées, il a été difficile de concilier le sens que je souhaitais donner à mon film avec les images capturées et leur assemblage sous une forme cohérente.

Pouvez-vous décrire et expliquer les recherches, les rencontres que vous avez faites lors de votre phase de préparation ?

Emmanuelle : Ma phase de recherche s’est découpée en deux axes. Celui de la réparation de poupées pour lequel j’ai rencontré une réparatrice qui officiait alors à Rouen. Mon travail auprès d’elle a consisté à comprendre les étapes de son travail. Quand je voyais dans son atelier ces petits corps aux membres arrachés, aux visages pleins de fêlures, je ne pouvais m’empêcher d’y voir l’image des violences conjugales…Son atelier d’ailleurs, s’appelle « La Clinique ».

La deuxième phase a consisté à rencontrer des femmes victimes de violences. La tâche n’a pas été facile, il fallait qu’elles m’accordent leur confiance pour pouvoir me livrer, parfois à chaud, leur histoire. J’en ai rencontré deux. J’ai été frappée par les similitudes de leurs récits, les points de passages identiques et les personnalités de leur conjoint. Elles avaient été confrontées à ce qu’on appelle des « pervers narcissiques », à savoir des hommes moins victimes de pulsions violentes que prenant plaisir à échafauder des scénarii pour petit à petit les couper du reste du monde et avoir sur elles une domination totale.

Ces rencontres, si elles ne figurent pas de manière explicite dans le film, m’ont en tous cas permis d’aborder la question de manière plus instruite.

Jean-Paul : Lorsque j’ai rencontré Frédéric, je me suis retrouvé face à un homme brisé par la douleur qu’il avait causé. Nous avons parlé pendant près de trois heures et à l’issue de cet entretien, j’ai su que je ferai un film sur lui. C’était une évidence. Peut-être parce qu’à un certain niveau, la douleur qui émanait de lui résonnait avec la mienne.

Pourquoi avez-vous choisi daborder le sujet sous cet angle ?

Emmanuelle : L’idée de la réparation de poupée m’est venue assez vite par le biais d’une image. Cela me paraissait intéressant de l’exploiter, car la poupée est chargée de significations. Elle est jolie, passive et à la merci de son/sa propriétaire, comme le deviennent, en quelque sorte, les femmes entre les mains de leur conjoint violent. Néanmoins, si le parallèle m’intéressait, je me suis aussi penchée sur les différences. Une fois la poupée réparée, comme on le voit dans le film, elle est comme neuve. On ne décolle sur elle aucune trace de ses fêlures passées. Pour les femmes, le travail est différent. Les blessures physiques finissent par disparaître, mais elles gardent toujours en elles des cicatrices invisibles et qui ne se pansent pas.

Jean-Paul : J’ai décidé rapidement d’orienter mon récit sur la guérison et sur l’espoir. C’est pour cette raison que j’ai choisi de reconstituer le parcours thérapeutique de Frédéric depuis son entrée dans le centre médico-psychologique jusqu’à ce qu’il rencontre un nouvel amour. Par souci d’honnêteté et de transparence, il décide de lui avouer son passé.

Louise Pinton 50-50magazine

En plus de ces deux films, seront également diffusés le 8 Mars les films suivants :

La Femme du Magicien, de Baptiste Saint-Dizier

Un magicien et son assistante, en représentation. De l’intimité d’un studio de répétition aux feux de la rampe, il n’y a qu’un pas à franchir et pourtant, de l’un à l’autre, leur spectacle résonne différemment. La Femme du magicien interroge ces archétypes de domination masculine à l’œuvre dans l’illusionnisme, mais aussi, plus largement, la place du secret, de l’invisible et du silence dans les violences faites aux femmes.

En Bataille, de Julia Delbourg

Confrontées à leurs souvenirs et à l’imaginaire collectif lié aux cheveux de la femme, quatre femmes de dos se livrent. Leurs voix se font écho et nous font réfléchir sur la symbolique de la chevelure féminine et ce à quoi certains hommes se sont réellement attaqués quand ils s’en sont pris à ce bien précieux.

Bunraku, de Bruno Sarabia

Une marionnette est en proie à un destin funeste. Manipulée par des silhouettes noires, elle tente d’y échapper, en vain. Ailleurs, les silhouettes noires ne sont pas si loin de Diane qui déguste quelques verres avec ses collègues de travail. De ses faits et gestes, le grand absent de la soirée, son mari, semble en être celui qui tire les ficelles…Y échappera-t-elle ?

Trois Coups, de Martin Veber

Dans une salle de leur lycée, transformée en théâtre, un groupe d’adolescent-e-s assiste médusé-e-s à un spectacle terrible. Un garçon de leur âge subit, impuissant, une violente dispute entre ses parents, en dépit de la présence d’une camarade de classe invitée ce jour-là.

La scène se termine et les actrices et acteurs se tournent vers un public interloqué. Ce fils est-il condamné à subir ? Entre timidité et révolte, les jeunes spectatrices et spectateurs prennent la parole, débattent et cherchent à sortir de l’impasse. Sous les applaudissements de leurs camarades, les élèves les plus volontaires rejoignent les comédien-ne-s sur scène, entrent dans un personnage et cherchent par leurs interventions à empêcher l’irruption des violences. Grâce au théâtre, les violences conjugales échappent au secret, au déni et à l’indifférence.

Films soutenus par Les Films d’Ici et le Ministère de l’Emploi et des Solidarités. Diffusion le 8 Mars à Minuit dans « Histoires courtes » sur France 2.

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