Articles récents \ France \ Politique Meeting contre l’islamophobie et contre la dérive sécuritaire. Des féministes posent la question : quelles alliances pour une juste cause ?

Des partis de gauche et des organisations appellent à un rassemblement contre l’islamophobie et le  climat de guerre sécuritaire, le 6 mars, à la bourse du travail de Saint Denis. Pour lutter contre l’islamophobie, peut-on construire des alliances, même ponctuelles, même partielles avec des associations sexistes et lesbophobes/homophobes ? Cela revient à minimiser, à minorer leur refus de partager des valeurs républicaines. La réponse des féministes, du moins de certaines, est non!

Il est révélateur de voir que les organisateurs de ce meeting utilisent le mot très contesté d’«islamophobie» qui mélange les notions bien différentes de critique d’une religion avec celle de racisme à l’encontre des individus pratiquant cette religion.

La liste des organisations qui appellent au rassemblement ne laisse planer aucun doute sur leur vision relativiste des droits des femmes, pour nombre d’entre elles en tout cas. Citons par exemple les Indigènes de la République, l’Union des Organisations Islamiques de France, les indivisibles, Mamans Toutes Égales ou le Collectif enseignant pour l’abrogation de la loi de 2004.

Le PC, le NPA , Ensemble sont les partis signataires de l’appel. EELV a quant à lui retiré sa signature. 

En revanche aucune organisation musulmane démocrate, militant pour les droits humains, la laïcité et la République. Et pourtant il n’est pas difficile d’en trouver !

Annie Sugier, féministe historique et présidente de la Ligue du droit international des femmes, (association créée par Simone de Beauvoir pour promouvoir l’universalité des droits des femmes) a rédigé et diffusé un communiqué de presse dénonçant « la récupération de trop ». Très vite relayé sur les réseaux sociaux, ce texte a été signé par de nombreuses associations féministes et laïques (1).

« La récupération de trop !

On ne peut que s’indigner d’apprendre que des associations militant activement contre la laïcité et contre l’émancipation des femmes prétendent manifester leur solidarité avec les morts de Charlie Hebdo, de l’hyper-Cacher et des policiers qui les défendaient, en dénonçant «l’islamophobie» et le « climat de guerre sécuritaire ».

Parmi ces associations, nombre d’entre elles ont dévoyé la notion de liberté en exigeant sous des prétextes religieux, le «droit» pour les femmes et même les petites filles de respecter des prescriptions vestimentaires qui stigmatisent leur corps et développent une véritable ségrégation sexuelle, en opposition avec la loi commune républicaine.

Choisir la semaine du 8 mars pour organiser un tel meeting, alors que se déroulent dans le monde et en France de multiples manifestations en faveur du droit des femmes est une véritable provocation lorsqu’on sait que c’est au nom des religions, toutes les religions, et des traditions que les droits des femmes sont le plus souvent bafoués dans le monde.»  

Le Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF) s’insurge également :  « la fin ne justifie pas les moyens.  » L’attachement aux libertés individuelles, aux droits sociaux, aux libertés publiques » comme le proclame le texte, ne passe pas par des alliances contre nature avec des gens qui justement ne défendent pas ces droits. Nous demandons à ces organisations, qui sont nos partenaires, de retirer leur signature de ce piège dans lequel ils ont été enserrés.
La lutte pour les libertés publiques, contre un Patriot Act à la Française, pour les droits sociaux et les droits des femmes, mérite un autre cadre qui ne soit pas entaché de suspicion. »

Pour Michèle Loup, militante féministe, antiraciste et laïque, qui a également réagi et mobilisé ses réseaux : « Quand on regarde la liste des organisations, on trouve tous les groupes de pseudo « féministes musulmanes » qui ont fait de la défense du voile leur cheval de bataille, tous les groupes qui attaquent la laïcité.» Et elle se demande pourquoi les associations de femmes de culture musulmane et féministes ne sont pas parties prenantes de cette manifestation ?

C’est quoi le plan ?

Dans son dernier billet de blog, hébergé sur Mediapart, Caroline de Haas s’interroge :  « lutter contre le racisme avec des misogynes et des homophobes ? C’est quoi le plan ? ». Que font un certain nombre de partis de gauche aux côtés de «l’UOIF, qui a soutenu la Manif pour tous et refuse le droit à l’avortement et PSM (2) qui organise des réunions communes avec Alliance Vita, organisation d’extrême-droite, anti-avortement. » La militante féministe dit avoir hésité à écrire cette chronique car «une militante féministe blanche, issu d’un milieu bourgeois, qui critique un meeting contre l’islamophobie, je vois bien l’écueil. Mais je tente quand même le coup et je pose la question : se battre contre l’islamophobie et le racisme avec des anti-féministes et des homophobes, c’est quoi le plan ? »

Elle ajoute : «On m’a expliqué qu’il n’y avait pas d’autre cadre pour lutter contre le racisme et l’islamophobie. Et bien créons-le. Avec les organisations anti-racistes ET féministes, il en existe ! »  

Réaction de membres de la commission genre d’ATTAC

Dans un communiqué daté du 6 mars 2015, des membres de la commission genre d’ATTAC  ont signé le communiqué suivant:

« Attac est signataire de l’appel au meeting du 6 mars 2015 « Contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire ». S’il nous semble essentiel et bienvenu d’organiser des initiatives antiracistes et de refuser toute logique sécuritaire (il est d’ailleurs plus juste de parler d’offensive sécuritaire que de guerre), la nature de ce meeting nous pose problème. C’est pourquoi nous désapprouvons cette signature.

1) Le meeting est ciblé contre l’islamophobie. Il nous apparaît pourtant indispensable, dans la période actuelle, de réaffirmer notre opposition non seulement au racisme anti-musulmans mais à tous les racismes – sans omettre celui contre les Roms – et à l’antisémitisme. Islamophobie et antisémitisme se renforcent mutuellement, de même que toutes les pratiques discriminatoires se renforcent mutuellement. Faire un choix entre les différentes discriminations ne permet pas le rassemblement du mouvement social qui serait pourtant essentiel, en particulier pour lutter contre la montée de l’extrême droite.

Le texte d’appel affirme la solidarité avec les victimes des attentats, mais il nous paraîtrait indispensable qu’y figure également la condamnation des actes terroristes et du djihadisme.

2) Si nous ne sommes pas opposées a priori à nous retrouver, sur une action ponctuelle – par exemple contre une discrimination particulière – aux côtés d’organisations dont nous ne partageons pas les objectifs, nous désapprouvons fermement la stratégie politique qui entend rassembler sans distinction et viser à construire un front (ici contre l’islamophobie) sur une base se voulant large au point d’accepter d’accueillir des organisations (3) conservatrices et réactionnaires, qui militent contre les droits des homosexuel-les et le mariage pour tous, contre les droits des femmes à disposer de leur corps, qui défendent une société où les femmes ont un statut inférieur et/ou qui affichent des bases communautaristes. Envisagerait-on de construire un front large contre l’austérité avec le Front national ? Imaginer combattre une discrimination en ralliant des structures qui développent des thèses discriminatoires dans d’autres domaines est un leurre dangereux. Cette stratégie, en reléguant au second plan, ou en ignorant, la lutte pour l’égalité des droits des personnes quel que soit leur sexe, orientation sexuelle, origine ethnique, est contre-productive.

De plus, l’absence, parmi les signataires, d’organisations dont le champ d’action est la lutte contre les racismes, comme la LDH, le MRAP, la Licra ou Sos Racisme, est un élément qui nous interroge et s’ajoute aux critiques que nous venons de formuler.

Les nombreux débats qui ont eu lieu au sujet du meeting du 6 mars et les réactions critiques qui se sont manifestées au sein de la gauche et dans de nombreuses associations féministes est un signe que la stratégie adoptée est plus apte à diviser le mouvement social qu’à le rassembler. 

3) Pour ce qui concerne Attac, il nous semblerait pertinent de travailler notamment à rendre visible les organisations qui luttent contre les inégalités, y compris de genre, dans les quartiers populaires en France, de valoriser les luttes des féministes dans les pays de culture musulmane, (actives par exemple en Tunisie, au Maroc, …), de dénoncer les rapports de domination issus du colonialisme et néo-colonialisme, etc. De manière générale, nous pensons qu’il est nécessaire que soit affirmé l’attachement à la lutte contre le sexisme, contre les discriminations envers les femmes (voilées ou non) et contre tous les racismes, pour construire une société permettant de vivre tous et toutes ensemble. » 

50-50 magazine

1 Premières associations signataires :

 Africa 93, Association pour la Mixité, l’Egalité et la Laïcité, Atalante Vidéo féministes, le Chevalier de La Barre, Collectif Féministe « Ruptures », Conseil International des Femmes, Du Côté des Femmes, EGALE, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, Femmes Solidaires, Forum Femmes méditerranée, Laïcité Liberté, Le collectif des Femmes sans voile d’Aubervilliers, Les efFRONTé-e-s, Libres Mariannes, Ligue du Droit International des Femmes, Regards de Femmes, Réussir l’Egalité Femmes- Hommes, Secularism is a Women’s Issue et SOS Sexisme.

2 Présence et Spiritualité Musulmane

3 Notamment l’UOIF, le Parti des indigènes de la République, Ouma.com

Article actualisé le 6 mars

 

 

Dessin : Luz

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