Articles récents \ France \ Politique Le Haut Conseil à l’égalité évalue la parité en politique : « en matière de parité, il n’y a rien de spontané »

2015 est une année riche en échéances électorales. Les élections départementales ne semblent pas passionner les foules. Les médias, obnubilés par le score de l’extrême-droite, occultent les autres dimensions du scrutin. Celui-ci pourrait pourtant augurer d’un renouvellement inédit du personnel politique local puisqu’un binôme femme-homme sera élu dans chaque canton. Un moment opportun pour parler du rapport d’évaluation réalisé par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) sur l’application des lois dites de parité en politique.

Quinze ans se sont écoulés depuis le vote de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 inscrivant « l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives». Pas moins de neuf lois sur la parité ont depuis été adoptées au parlement, pour un bilan mitigé. Si la part d’élues a augmenté dans les assemblées locales, les femmes restent très minoritaires aux plus hautes fonctions, sans parler des mandats qui leur sont confiés.

Pour le Haut Conseil, notre système politique, réticent au partage à égalité du pouvoir de représentation et de décision entre les sexes est atteint de «schizophrénie démocratique». Réjane Sénac, chercheuse à Sciences Po et présidente de la commission qui a rédigé le rapport d’évaluation, parle quant à elle d’un véritable «sexisme constituant» (1), rappelant que le suffrage dit universel était exclusivement masculin de 1848 à 1944. Il aura fallu attendre un amendement présenté par Fernand Grenier, représentant communiste à l’Assemblée consultative provisoire, pour que le suffrage soit véritablement universel, c’est-à-dire aussi ouvert aux femmes. Contrairement à un mythe solidement entretenu par les héritier-e-s du gaullisme, ce n’est donc pas de Gaulle qui a corrigé cette injustice. Le général prévoyait simplement de donner le droit d’éligibilité aux femmes.

Un traitement différencié des femmes par les partis

Il paraît illusoire d’attendre des hommes élus qu’ils laissent leur place. Caroline Ressot, responsable des affaires juridiques au HCEfh et du suivi de la Commission parité, souligne que «sans contrainte légale, il n’y a pas de parité et cet état de fait est particulièrement flagrant pour les têtes d’exécutifs : 95% des présidents des conseils généraux sont des hommes, 84% des maires sont des hommes.»

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Serait-ce à cause d’un manque de femmes souhaitant s’engager en politique, d’un «problème de vivier» ? Réjane Sénac démonte cet argument en rappelant que le recrutement des candidates par les partis est bien différencié de celui des hommes. Les partis, qui comptent pourtant 40% de militantes, préfèrent aller chercher des femmes a l’extérieur. Les candidates sont ainsi moins nombreuses à avoir leur carte dans un parti. Plus jeunes et plus souvent issues de la société civile, elles ont des professions moins rémunératrices. Il y a par exemple beaucoup d’élues employées ou sans profession déclarée, «ce qui renforce la dépendance et le peu d’autonomie de ces femmes face à la tête de liste.»

Il semblerait que les hommes des partis considèrent encore majoritairement les femmes comme un atout marketing susceptible d’apporter une plus-value électorale. Une conception qui leur permet de garder le contrôle sur le fonctionnement interne des partis face à des femmes moins habituées aux jeux d’appareils. Logiquement, ces femmes restent en moyenne moins longtemps engagées en politique, du fait de cette mainmise des hommes et de leur souci plus grand d’articuler vie privée et vie politique.

Passer du partage des places au partage du pouvoir

Les différentes lois sur la parité en politique auront au moins permis d’atteindre une parité quantitative (au moins 40% de femmes élues) aux européennes et aux municipales, faisant entrer de nombreuses femmes en politique. Les femmes ont indéniablement conquis des places. Mais, comme le souligne le HCEfh, dans le cas des municipales de 2014, «le partage des places s’arrête la où le pouvoir commence.» Danielle Bousquet, ancienne vice-présidente de l’Assemblée Nationale et présidente du HCEfh qui se définit comme une voix «institutionnelle, féministe et indépendante» dans le débat public, insiste sur le fait qu’il faut faire pression pour atteindre l’équilibre car «le temps ne suffira pas».

Dans le cas des femmes têtes de liste aux municipales, elles étaient 17,1% en 2014 contre 16,5% en 2008. Force est de constater la persistance de résistances locales et partisanes face à l’application du principe paritaire. Les vices-présidences les plus prestigieuses des exécutifs locaux, comme les finances, l’urbanisme ou les infrastructures sont encore réservées aux hommes.

Danielle Bousquet défend «une mise en cohérence et une harmonisation vers le haut des dispositifs favorisant la parité» et « des règles précises et contraignantes pour éviter les stratégies de contournement» mises en places par les hommes des partis politiques.

Par exemple, dans le cas des sénatoriales, où vote un collège de « grands électeurs »(2), on observe la multiplication des listes dissidentes. Ainsi, quand un parti désigne une femme tête de liste aux élections sénatoriales sur un département, l’homme évincé aura tendance à présenter une candidature dissidente où il sera tête de liste, sans l’aval de son parti. La division des voix et les loyautés entre élu-e-s conduisent en général à l’élection du dissident, pénalisant les femmes respectant les règles du jeu électoral. Le dissident sera ensuite réintégré en catimini à son groupe au Sénat pour raisons politiques.

Autre exemple, le cas des démissions et de remplacements d’élu-e-s dans les conseils municipaux ou des député-e-s européen-ne-s. Aucune règle n’impose de remplacer une élue démissionnaire par une autre femme. Ce sont le plus souvent des hommes qui les remplacent, rompant ainsi l’équilibre paritaire initial.

La difficulté consiste à passer d’une parité quantitative, acquise pour ces élections départementales, à une parité qualitative, où les élues ne seraient pas simplement cantonnées à des secteurs de politiques publiques traditionnellement associés aux domaines supposés féminins : social, santé, éducation, petite enfance… l’attribution des mandats reproduit des stéréotypes sexistes. On sait déjà qu’une minorité de départements auront une présidente. L’enjeu pour ces départementales est bien d’agir sur ce qu’on a coutume d’appeler «le troisième tour» des élections, c’est-à-dire le vote pour la présidence et l’attribution des vices-présidences d’un département.

La nécessité d’harmoniser les dispositifs juridiques et de réformer le statut de l’élu-e

Le HCEfh propose donc «d’harmoniser par le haut» les dispositifs en vigueur afin d’empêcher les partis de contourner les dispositifs existants, que ce soit au niveau des candidatures, mais aussi tout au long du mandat et dans la composition des instances de décisions internes. Il existe des possibilités de réformes respectueuses de la constitution, comme l’explique Caroline Ressot : «ne pouvant intervenir sur les têtes des exécutifs, pour des raisons constitutionnelles, la Ve République étant un régime au-dessus des partis politiques, il est tout de même possible d’impulser la parité, grâce aux premiers adjoint-e-s et vice-président-e-s. L’idée poursuivie par les membres ici est d’étendre l’obligation de liste avec alternance stricte femmes-hommes ou hommes-femmes à l’élection des bureaux et commissions permanentes. Concrètement, l’élection des têtes d’exécutif ayant lieu en premier, il s’agit d’imposer que la tête de liste pour la composition du bureau soit de l’autre sexe que celui du/de la maire ou du/de la président-e.»

Autre piste de réflexion : une réforme du statut de l’élu-e «afin de permettre une meilleure articulation de la vie professionnelle, politique et personnelle», en renforçant le financement des dispositifs de garde pour permettre aux femmes de s’engager. Le HCEfh plaide aussi pour un statut de l’élu-e qui favoriserait et sécuriserait les allers-retours entre mandats publics et travail dans le secteur privé, comme cela se fait déjà dans le secteur public. C’est d’ailleurs le sujet d’une prochaine étude du Haut Conseil à l’égalité.

Mettre fin à ce que Réjane Sénac appelle le «visage de Janus de la démocratie française», défendre ce partage du pouvoir est une question de justice, de cohérence, une exigence démocratique. Cela pourrait même être un début de réponse pour renouer le lien distendu entre citoyen-ne-s et représentant-e-s. Tout tient en une simple question : «La France pourrait-elle encore tolérer que les départements et régions soient dirigés par des hommes dans 9 cas sur 10 ?».

Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

1  Clin d’œil à l’expression de l’historien Pierre Rosanvallon qui parlait de « racisme constituant » à propos du système politique étasunien.

2  Les sénateur-trice-s sont élu-e-s au suffrage universel indirect, par les « grands électeurs ». Dans chaque département, ce sont des député-e-s, des conseillers et conseillères régionaux, généraux et des délégué-e-s des conseillers et conseillères municipaux. Ces délégué-e-s représentent 95% du collège des grands électeurs.

Pour aller plus loin, consulter l’intégralité du rapport « Parité en politique, entre progrès et stagnations ».

Photo à la Une : Présentation du rapport Parité en politique, le 26 février 2015. De gauche à droite, Réjane Sénac, Danielle Bousquet et Caroline Ressot.

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