Articles récents \ France \ Politique Loi prostitution : les abolitionnistes fustigent la reculade du Sénat

Le Sénat, revenu à droite depuis septembre 2014 a voté, à l’issue des débats des 30 et 31 mars, une nouvelle version de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel. C’est peu dire que le texte a été modifié par les sénateurs ; il a en fait été carrément vidé de sa substance, puisque ceux-ci ont adopté le rétablissement du délit de racolage passif et se sont opposés à la pénalisation des clients. Réactions critiques en cascade.

 

«Vous connaissez mon attachement à défendre la position abolitionniste de la France. L’examen prochain du texte par le Sénat, les 30 et 31 mars prochains, devrait être l’occasion d’avancer dans cette voie.» Par leur vote, les sénateurs ont fait mentir Chantal Jouanno. L’amendement pour la pénalisation des clients qu’elle avait promis à Rosen Hircher, militante et marcheuse pour l’abolition de la prostitution n’a pas été adopté. Les collègues de la sénatrice centriste ont en effet majoritairement voté pour une nouvelle version de la proposition de loi.

Le mouvement du Nid dénonce un retour 10 ans en arrière et une volonté manifeste du Sénat à majorité UMP de «ne surtout pas toucher à l’impunité des clients prostitueurs et de rétablir au contraire la répression à l’encontre des personnes prostituées.»

Le Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF) déconstruit l’argument avancé par la majorité sénatoriale sur le maintien du délit de racolage passif : «le délit de racolage a été instauré par Nicolas Sarkozy en 2003 pour «calmer» des riverains «exaspérés». En fait, il a souvent consisté en un harcèlement policier des prostituées, les transformant en délinquantes, le tout, en complète quiétude pour les clients. L’argument avancé pour maintenir ce délit est que cela servirait à démanteler les réseaux. Mais depuis 12 ans maintenant que ce délit existe il a prouvé sa totale inefficacité en la matière!»

La Fondation Scelles se demande si le Sénat va dans le sens de l’histoire ou pas: « refuser la pénalisation des acheteurs de sexe, c’est maintenir l’impunité des auteurs de violences puisque les “clients” de la prostitution sont les auteurs à part entière de multiples faits de violence sur les personnes prostituées… »

Le collectif Abolition 2012 (1) demandait également «la suppression/l’abrogation du délit de racolage passif, l’introduction de la pénalisation des clients prostitueurs et le déploiement de réels moyens pour permettre la réinsertion des personnes prostituées avec un parcours complet et individualisé de sortie du système prostitueur et l’obtention de titres de séjours non conditionnés pour les personnes prostituées en situation irrégulière.» Force est de constater que la majorité de droite ne les a pas écoutés.

Pour la Fédération Nationale Solidarité Femmes: « il s’agit là d’un grave retour en arrière, ne tenant absolument pas compte de l’expertise des associations qui accompagnent les femmes victimes de la prostitution, ni de celui d’institutions comme le Haut Conseil à l’Egalité, ni de la mobilisation politique de plus de 16 mois. Ce vote est insultant et incroyablement machiste. »

Racolage passif, impunité des clients : le choix du retour au statu quo

Comme le souligne le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), la majorité de droite a fait «le choix d’un retour au statu quo : continuer à faire des personnes prostituées des délinquantes en réintroduisant l’interdiction du délit de racolage passif, et maintenir l’impunité des clients en confirmant la suppression du délit les sanctionnant[…]ce choix tranche avec la philosophie générale du texte voté à l’Assemblée nationale en 1ère lecture».

Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, «regrette la régression des droits des femmes dans le texte adopté». Elle rappelle l’importance de ce texte «qui doit protéger les personnes prostituées et construire une société où l’argent ne permettra plus de légitimer la violence. C’est aujourd’hui à des réseaux internationaux de traite des êtres humains que la France doit faire face. Plusieurs dizaines de milliers de femmes, mais aussi d’hommes, mineurs et majeurs, sont maintenus sous la coupe de ces réseaux, par la violence, le chantage, la tromperie. Rétabli par l’UMP, le délit de racolage en fait des coupables au lieu de les reconnaître comme des victimes ».

Pascale Boistard, secrétaire d’État aux Droits des femmes a conclu les débats au Sénat, soulignant que dans cette version de la proposition de loi, «les prostituées sont coupables et les clients sont rois».

Dans un communiqué intitulé «Le client est roi », Osez le Féminisme (OLF) «s’insurge de voir que le machisme continue à régner dans la chambre haute du pays, majoritairement réactionnaire et masculine. Ces débats ont été l’occasion de faire tomber les masques : ceux qui protègent les clients n’ont que faire des personnes prostituées. On a pu voir de longs discours pour justifier la non-pénalisation des clients, les sénateurs la main sur le cœur disant vouloir ainsi protéger les personnes prostituées. Les mêmes, l’instant d’après, votaient sans sourciller pour la pénalisation des personnes prostituées qu’ils prétendaient pourtant défendre quelques secondes plus tôt.»

Les hommes de Zéromacho dénoncent quant à eux «un vote déshonorant» et taclent le Sénat : «Sénat de France, honte sur toi ! Tu as voté un texte qui ramène notre pays douze ans en arrière, quand a été votée la loi Sarkozy créant le délit de «racolage passif.»

«La prostitution est incompatible avec la définition de la santé sexuelle donnée par l’OMS»

Au-delà des mouvements féministes, d’autres collectifs plus inattendus s’invitent dans le débat sur la prostitution.

Ainsi, des médecins français demandent la pénalisation des clients, comme le Dr Xavier Emmanuelli, le généticien Axel Kahn ou le gynécologue Israël Nisand rappellant dans une tribune du 28 mars dernier que la prostitution est d’abord « un nombre incalculable et quotidien de pénétrations vaginales, anales, buccales non désirées. La violence est inhérente à l’activité prostitutionnelle.[…] Le taux de mortalité des personnes en situation de prostitution est six fois plus élevé que celui du reste de la population. Le collectifs de médecins oppose la consommation de prostituées à ce qui définit une bonne santé sexuelle, puisque «la prostitution est en soi une atteinte grave à la santé physique et psychologique qu’il faut faire reculer tout en protégeant ses victimes.»

Le camp abolitionniste, comme Zéromacho se prépare à la bataille législative annoncée au Palais-Bourbon : «la proposition de loi va revenir à l’Assemblée nationale pour un nouveau débat. En cas de désaccord entre l’Assemblée et le Sénat, c’est l’Assemblée qui aura le dernier mot. Nous ne désespérons pas.» Les député-e-s pourront donc rétablir et voter la version antérieure du texte. L’obstruction des sénateurs sur la prostitution permet en revanche à la droite de retarder l’adoption de la proposition de loi visant à pénaliser les clients de la prostitution de plusieurs mois supplémentaires. Rappelons que pour cette proposition de loi, la navette parlementaire avait déjà eu quelques soucis: huit mois pour parcourir le chemin de l’Assemblée jusqu’au Sénat ! Plus la fin du quinquennat de François Hollande approche, plus il y aura un risque que le texte soit renvoyé aux calendes grecques. Comme le réclame OLF, «Nous souhaitons maintenant que l’Assemblée Nationale s’empare rapidement de ce débat, et redonne à cette proposition de projet de loi en faveur de l’abolition tout son sens. La France doit rejoindre la Suède, la Finlande ou la Norvège dans la liste des pays les plus progressistes en matière d’égalité femmes-hommes. »

Le mot de la fin revient à l’anthropologue François Héritier : «Dire que les femmes ont le droit de se vendre c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter». En êtes-vous conscients, messieurs les sénateurs ?

Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

1 Abolition 2012 regroupe 50 associations

Photo de couverture :  © Sénat

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