Articles récents \ Monde ENDA : pour la prise en compte des inégalités de genre dans les projets de développement

L’Equipe d’Enda Europe a profité du déroulement du Forum Social Mondial (FSM) de Tunis qui s’est déroulé du 24 au 28 mars pour lancer son tout dernier programme, GENDDER (Genre et Développement Durable en Réseaux). Une semaine après l’événement tragique du Bardo à Tunis, le lancement d’un programme unissant cinq pays pour la reconnaissance de l’égalité entre les femmes et les hommes et la promotion d’un développement respectueux de l’environnement a résonné d’une manière très particulière au sein du FSM 2015. Entretien avec Pauline Stephan, assistante cheffe de projet à Enda Europe.

 

Qu’est ce que le programme GENDDER, comment peut-il réduire les inégalités entre les femmes et les hommes?

Ce programme est un projet ambitieux qui a mûri et grandi longtemps entre les murs d’Enda avant de voir le jour. Il concerne cinq pays aux contextes économiques, sociaux et culturels différents mais qui se retrouvent tous autour de la ferme volonté d’appréhender et de faire reculer les inégalités de genre dans leurs projets. Ceux-ci seront réalisés dans des zones très diverses: au sein de deux zones de la région de Fatick (1) au Sénégal, à Bogota en Colombie, à Addis Abbaba en Ethiopie, à Ho Chi Minh Ville au Vietnam et dans deux régions de Tunisie (2)

Pendant trois ans, de 2015 à 2017, sous l’impulsion d’Enda Europe, ces équipes vont travailler pour développer ou renforcer des filières vertes et solidaires dans les territoires sur lesquels elles travaillent. Toutes se rejoignent sur la démarche de recherche-action-formation qu’elles vont adopter, en plaçant un axe genre transversal au cœur de leurs domaines d’intervention. C’est ici que réside toute la nouveauté et tout l’intérêt de ce programme, qui aspire à articuler de manière cohérente et durable des activités aussi diverses que le recyclage, l’agroécologie, le renforcement de la sécurité alimentaire et le micro-crédit avec une approche de genre.

En quoi ce programme est-il novateur en termes de reconnaissance et de combat des inégalités ?

Le programme est innovant pour plusieurs raisons. Il est d’abord important de rappeler que si le mot “genre” est apparu dans les sciences sociales depuis plus de 40 ans en tant que cadre d’analyse, il n’a jamais vraiment été repris de façon transversale dans les projets de développement. Après avoir focalisé de nombreuses interventions sur les femmes en reconnaissant leurs apports au développement, mais sans en faire un axe central de sa mission, Enda s’est donné pour but de viser bien plus qu’un recentrage, elle a à cœur de démontrer que, pour assurer la prise en compte du genre dans les projets de développement, il ne suffit pas d’y inclure les femmes ni même d’y introduire la parité.

Dans ce projet, les équipes ont vraiment travaillé pour aller au-delà de cette simplification, et ont envisagé le genre comme l’aspiration des femmes et des hommes à un réel changement dans les relations de pouvoir entre les sexes. Il a aussi semblé essentiel de mettre en avant l’idée que le genre n’est pas qu’une “affaire de femmes” mais qu’il doit aussi viser à un changement de mentalité et à une prise de conscience de la part des hommes. Même si elle est de plus en plus discutée et débattue par les ONG et les différentes institutions, l’intégration transversale du genre implique un positionnement volontariste de prise en compte des inégalités dans tout projet politique, qui n’est malheureusement pas encore l’approche de tous les programmes. Il est plus qu’urgent d’intégrer et d’admettre que les rapports sociaux de sexe font partie des facteurs déterminants de tout processus social, et qu’on ne peut donc pas les exclure des politiques de développement.

Ensuite, ce projet est ambitieux et innovant dans le sens où il cherche à articuler le genre avec les 4 piliers du développement durable, l’économique bien sûr, mais aussi le social, le politique et l’environnemental. Il s’agira, au cours des trois années du projet, de développer des filières vertes et solidaire grâce à l’empowerment des femmes et la sensibilisation des hommes. Le projet vise à l’amélioration des économies paysannes ou populaires mais aussi à la protection de l’environnement et des ressources naturelles. L’objectif est de changer les mentalités et les pratiques.

ENDA 2

Intervention de Fatimata Kane, Chargée de programme «violences de genre» d’Enda Santé (Sénégal) pendant l’atelier au FSM

Votre participation au FSM de Tunis a été l’occasion de présenter votre projet, comment a-t-il été reçu ?

Nous avons organisé un atelier avec tous nos partenaires. Chaque pays a présenté son projet. Les discussions ont porté sur la définition de la masculinité et des rapports de genre, qui doivent être réfléchis dans des contextes socio-culturels très variés, et qui ne sont pas synonymes d’un transfert du pouvoir hégémonique des hommes vers les femmes mais bien de l’empowerment des deux sexes pour plus d’égalité et de cohésion dans les familles au sein de la société.

C’était très encourageant et rassurant de recevoir des personnes venant de tous les pays qui partagent nos idées et mènent le combat pour plus d’égalité à nos côtés. C’était aussi important de voir que les mentalités changent et que nous sommes de plus en plus nombreux-ses à considérer l’égalité entre les femmes et les hommes comme un objectif primordial.

C’est d’ailleurs un des trois principes fondamentaux sur lesquels se base le nouvel agenda post-2015 avec les droits humains et la durabilité.

Vingt ans après la Conférence des Nations Unies sur les droits des femmes à Pékin, il semble encore utile de rappeler, comme l’avait fait Michelle Bachelet lorsqu’elle était directrice d’ONU Femmes qu’“il n’y aura pas de paix, pas de progrès aussi longtemps qu’existeront la discrimination et la violence contre les femmes”.

Propos recueillis par Guillaume Hubert 50-50 magazine

1 Les villages du Delta du Siné Saloum et la zone de Tattaguine-Diouroup

2 Le Grand Tunis et le Centre Ouest.

Photo de Une: l’équipe Enda présente à Tunis, avec ses délégations colombienne, éthiopienne, française, sénégalaise, tunisienne et vietnamienne.

print