Articles récents \ DÉBATS \ Contributions \ France \ Politique DÉPARTEMENTALES 3e TOUR : MIROIR DÉFORMANT DE LA PARITÉ

Au lendemain du 2 avril 2015, date du « troisième tour » des élections départementales, trois constats peuvent être dressés.

Premier constat attendu, la parité au sommet est loin du compte. L’élection des présidents de départements (1) n’a désigné que 10 femmes à la tête des exécutifs sur 101. On notera que sur ces 10 femmes 6 sont de gauche, dont 4 PS. Dans un contexte de fort reflux de la gauche, cette famille politique reste encore l’artisan principal de l’égalité politique entre les sexes.

On observe donc un véritable « grand écart » entre, d’un côté, des assemblées strictement paritaires à leur base et, de l’autre, des présidences d’exécutif qui restent bastions masculins. C’est dire si l’inégalité des femmes face au pouvoir politique perdure, que n’entame guère les lois dites de parité. Un résultat semblable avait déjà été enregistré lors des municipales de mars 2014 qui, pour les villes de 1 000 habitants et plus (soumises aux contraintes paritaires), avaient désigné 48% de conseillères municipales mais seulement 13% de femmes maires.

Dans un cas comme dans l’autre, la domination masculine au sommet des assemblées locales s’explique par les ressorts cachés d’une élection à fort enjeu de pouvoir (2).  Ressorts qui assurent la « prime » au candidat qui accumule le plus de ressources politiques : le sortant qui « tient » le territoire par ses réseaux et/ou l’élu cumulard. Toutes caractéristiques qui avantagent les hommes, plus dotés politiquement que les femmes dans la course à la présidence des assemblées locales.

Deuxième constat, si les femmes n’ont pas franchi le «plafond de verre» des présidences, elles sont en net progrès dans l’ensemble des exécutifs départementaux. D’une part, le nombre de présidences détenues par des femmes est passé de 6 en 2011 à 10 aujourd’hui (3) soit une augmentation de plus de 60%. D’autre part, grâce à la loi du 17 mai 2013, qui impose désormais le scrutin de liste avec obligation paritaire pour élire les membres des commissions permanentes et les vice-présidents, les femmes siégeront à quasi parité numérique avec les hommes dans ces lieux de pouvoir, alors qu’elles étaient moins de 15% en 2011. Seule la division horizontale du pouvoir entre les sexes laissera sans doute encore son empreinte, réservant les vice présidences les plus prestigieuses aux hommes.

Troisième et dernier constat, le scrutin binominal majoritaire a donné aux femmes des atouts majeurs pour asseoir leur carrière politique. On sait que la base de la profession politique en France repose sur l’identification à un territoire et la construction de réseaux. Parce qu’elles campaient aux portes des assemblées départementales (elles n’y siégeaient qu’à raison de 14% en 2011), les femmes étaient, aux yeux des partis politiques, moins compétitives dans la course à l’investiture législative. Désormais, l’enracinement des femmes dans les départements va constituer le socle de leur carrière parlementaire. Les conseillères départementales d’aujourd’hui seront les députées de demain. Leur entrée à l’Assemblée nationale devrait être en outre facilitée par la loi du 14 février 2014 qui, dès 2017, interdira aux parlementaires de cumuler leur mandat avec la présidence d’assemblées locales. On va vers la perte d’influence des « grands féodaux » de la vie politique française sous la Ve République, à savoir les députés-maires, députés présidents de Conseils départementaux … etc, sortes de figures incontournables et toute masculines, qui barraient l’entrée du Parlement aux femmes comme aux jeunes (4). 

Au total, le bond en avant des femmes dans les conseils départementaux a contribué à insuffler un sang neuf dans des assemblées vieillissantes, qui voyaient souvent la réélection des mêmes hommes, la domination masculine prenant souvent la forme d’un accaparement du pouvoir. La féminisation à marche forcée de ces assemblées a impliqué ipso facto un taux de renouvellement élevé : près des deux tiers des conseillers départementaux élus en 2015 sont de nouveaux entrants. Le taux de rotation à la tête des exécutifs, bien que moindre, n’en n’est pas moins inédit : la moitié des présidents et présidentes élus en 2015 sont de nouveaux venus (contre un quart en 2008).

Le processus de féminisation des assemblées locales – hier « citadelles » masculines aujourd’hui fer de lance de la parité – serait cependant une victoire à la Pyrrhus si, comme certains acteurs l’ont envisagé, il était procédé à une suppression des départements à l’horizon de 2022.

Mariette SINEAU

Politologue (Centre de Recherches Politiques de Sciences Po). Auteure de Femmes et pouvoir sous la Ve République (Presses de Sciences Po, 2011).

1 Le président du Conseil départemental est élu à la majorité absolue des membres du Conseil départemental.

2 Élection qui n’est soumise à aucune contrainte paritaire.

3 Chiffres du Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes.

4 Subsidiairement, l’entrée des femmes à l’Assemblée nationale sera aussi accélérée par le doublement des pénalités à l’encontre des partis qui ne respectent pas la parité des candidatures à 2% près (loi du 4 août 2014).

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