Articles récents \ Monde Un an après, Boko Haram n’a toujours pas ramené nos filles

Le 14 avril 2014, le groupe islamiste armé Boko Haram enlevait 276 lycéennes du pensionnat de Chibok, situé au nord-est du Nigéria. Vous vous rappelez sans doute de la mobilisation massive pour la campagne #BringBackOurGirls sur les réseaux sociaux. Mais qui sait qu’un an plus tard, on est toujours sans nouvelles des 230 lycéennes enlevées par cette secte armée qui a depuis prêté allégeance à l’autoproclamé État Islamique ? Aujourd’hui, les activistes féministes mobilisées pour sauver les lycéennes semblent bien isolées.

 

Muhammadu Buhari, le premier président du Nigéria élu à la suite d’une alternance démocratique, prendra ses fonctions le 29 mai prochain. Ancien général, celui-ci a fait de la lutte contre le terrorisme et la secte islamiste Boko Haram une des priorités de son mandat. Il aurait eu de toute façon du mal à faire autrement, car les massacres sont quotidiens dans certaines régions du Nigéria, déstabilisant des pans entiers d’un pays qui est déjà en proie à une crise économique profonde.

Ce sont ainsi plus de 3750 civil-e-s qui auraient été tué-e-s au cours de l’année 2014. Un chiffre qui serait en augmentation au premier trimestre 2015. Selon l’ONG Human Rights Watch, plus de 1000 civil-e-s auraient trouvé la mort depuis janvier dans les attaques lancées par Boko Haram contre des villages sans défenses du nord-est du Nigéria. Amnesty International évoque un chiffre sans doute supérieur à 2000 femmes et fillettes enlevées par Boko Haram, sans pouvoir estimer leur nombre exact.

Les assassins de Boko Haram ne se contentent pas de tuer. Ils pillent, brûlent des écoles voire des villages entiers, violent et enlèvent femmes et enfants. Face à cette violence, les déplacements de population sont massifs, comme le rappellent l’AWID : «près d’1.5 million de personnes ont été déplacées [à l’intérieur du pays] en 2014, dont plus de 70% de femmes et d’enfants.[…] 135 000 personnes ont fui vers les pays voisins et 9 millions de personnes sont actuellement affectées par la violence dans le nord-est du Nigéria, dont un tiers nécessite profondément une assistance humanitaire.» Un exode massif qui crée des tensions dans les villes aux ressources limitées accueillant ces réfugié-e-s.

bringbackourgirlsparis

La Fédération Internationale des Droits de l’Homme souligne que les crimes commis par Boko Haram relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). Ils font actuellement l’objet d’un examen par le Bureau du Procureur. En l’absence de procédures effectives pour traduire les responsables devant la justice nigériane, la CPI devrait ouvrir une enquête.

«L’éducation occidentale est un pêché»

L’enlèvement des lycéennes de Chibok ne doit rien au hasard. Pour paraphraser Malala Yousafzai, cette jeune militante pakistanaise qui a reçu le prix Nobel de la Paix en 2014 pour son engagement en faveur de l’éducation des filles et garçons à travers le monde, ce qui fait le plus peur à un islamiste, c’est probablement une jeune fille qui va à l’école. Boko Haram signifie d’ailleurs littéralement «l’éducation occidentale est un pêché». D’où le choix d’attaquer un lycée de jeunes filles.

Il faut rappeler la dimension religieuse de l’idéologie de Boko Haram pour comprendre la violence de ces milices : 165 des lycéennes enlevées étaient de confession chrétiennes selon l’Association des Chrétiens du Nigéria. La haine des femmes et des filles développée par les fanatiques est telle que l’incertitude plane toujours sur le sort des lycéennes kidnappées. Selon les estimations d’Human Rights Watch, ce sont plusieurs centaines de femmes et de filles qui auraient été enlevées par Boko Haram en un an.

Quel est alors le programme des réjouissances pour nos lycéennes nigérianes, une fois qu’elles auront rejoint de force les rangs des joyeux drilles de Boko Haram ? Les jeunes filles auront le choix entre plusieurs options : viols à répétition et en réunion, conversions forcées à Boko Haram et mariages forcés, être réduites en esclavage, être utilisées comme bouclier humain lors d’affrontements armés et la consécration ultime, être utilisée comme bombe humaine dans une attaque suicide. À noter que l’éventail des choix pour les garçons kidnappés est un tantinet plus réduit : se soumettre et combattre aux côtés de Boko Haram ou mourir tout de suite.

L’incertitude demeure sur le sort des lycéennes enlevées

Il y a donc des raisons d’être pessimistes quant au sort des lycéennes de Chibok, d’autant que le pic de la mobilisation médiatique en leur faveur est largement passé. Ce sont des organisations pour les droits des femmes qui avaient attiré en premier lieu l’attention internationale sur les crimes de Boko Haram. Ce sont encore des militantes féministes et anti-terroristes qui se mobilisent aujourd’hui pour faire libérer les lycéennes kidnappées.

Ainsi, le vendredi 10 avril, des militantes féministes pour la paix et contre le terrorisme, dont notre chroniqueuse Annie Sugier, ont été reçues par l’ambassadeur du Nigéria en France, Hakem Ola Waloe Sulaiman,  pendant près de deux heures. Celui-ci était accompagné du ministre consulaire et à l’immigration et de deux conseillers, dont une jeune femme. L’ambassadeur a démenti les rumeurs affirmant que les lycéennes avaient toutes été tuées. Il s’agit selon lui de spéculations basées sur l’interprétation des propos du représentant du Haut Commissariat pour les Réfugiés.

Face à la délégation de militantes venues pour demander au nouveau Président Muhammadu Buhari, d’une part de tout mettre en œuvre pour combattre militairement Boko Haram et sauver les otages, d’autre part d’assurer la protection des établissements scolaires et des écoles de filles en particulier, l’ambassadeur avait peu d’informations précises à apporter : «en dépit d’une écoute attentive et d’un accueil chaleureux, nous avons du constater un décalage important au niveau des attentes» comme le relate Huguette Chomski Magnis, Secrétaire générale et coordinatrice du Mouvement pour la Paix et Contre le Terrorisme.

Hakem Ola Waloe Sulaiman a préféré insister sur la victoire que représente le bon déroulement de l’élection présidentielle et de la transition, en dépit des menaces terroristes de Boko Haram. Il dénonce le trafic d’armes et le financement des organisations terroristes, appelle de ses voeux une réforme du Conseil de Sécurité de l’ONU et critique les lois anti-immigration. L’ambassadeur souligne le caractère multiethnique et multiculturel de son immense pays, son attachement à la Déclaration Universelle des Droits de l’homme et sa constitution laïque. Musulman, il affirme son rejet du terrorisme islamiste, qui n’a à ses yeux rien à voir avec l’Islam dont il se réclame. Il informe de la mise en place de programmes de « déradicalisation » et souligne, à juste titre, le fait que les djihadistes peuvent venir de milieux aisés et instruits. Le ministre présent a annoncé un programme de sécurisation des écoles. Il n’est pas prévu de présence de gardes armés mais l’installation de barrières et de systèmes de protection.

La Global School Girl March

nigériane stylée

Aujourd’hui, à l’occasion de l’anniversaire de l’enlèvement des lycéennes, une Global School Girl March est organisée dans le monde entier autour d’un leitmotiv : «Ne laissons pas les salles de classes devenir des lieux de violences».

Plusieurs associations, dont Regards de Femmes, la Marche Mondiale des Femmes, La Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes, la Ligue du Droit International des Femmes, Osez le féminisme !, Femmes Solidaires appellent au rassemblement « pour montrer votre soutien, pour dire que vous n’oubliez pas les lycéennes et toutes les victimes de Boko Haram, pour dire que la barbarie ne restera pas impunie. »

À Paris, le rassemblement aura lieu au Champ de Mars, à 13h00, Place Jacques Rueff, dans le 7ème arrondissement. Les manifestant-e-s seront vêtu-e-s de rouge, la couleur du ralliement des mères nigérianes. Questionné sur sa participation au rassemblement par la délégation militante, l’ambassadeur du Nigeria n’avait pas prévu de venir.

Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

Plus d’infos sur la page facebook de #Bringbackourgirls ou le site officiel du mouvement.

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