Articles récents \ Monde Zoé Konstantopoulou, figure de Syriza, préside la Vouli, le parlement grec.

Depuis un peu plus de deux mois, Zoé Konstantopoulou est à la tête du parlement grec. Cette avocate de 38 ans est la plus jeune présidente du parlement du pays, la deuxième femme à occuper ce poste mais la première à être élue avec 235 voix sur les 298 député-e-s présent-e-s. Un triomphe d’autant plus marquant que lorsqu’elle était dans l’opposition et rapporteuse de la commission d’enquête parlementaire sur «l’affaire des fichiers HSBC», elle n’avait pas hésité à poser les questions qui fâchent, soumettant les ministres et les député-e-s à de longs interrogatoires désormais passés dans la légende.

 

Cette figure de Syriza a fait de la lutte contre la fraude fiscale l’une de ses priorités. Elle vient de mettre en place un comité d’audit de la dette publique qui asphyxie l’économie du pays. Une grande première en Europe ! Cette jeune femme déterminée tranche dans cette assemblée largement masculine. « Avoir seulement 69 femmes sur 300 députés au Parlement montre que la route reste longue en termes de parité…» (1)

L’opposition raille cette présidence féminine qui ne serait qu’un simple rééquilibrage institutionnel à côté d’un gouvernement où aucune femme n’a été nommée. Bien sûr, pour l’opposition, «elle joue les dominatrices à la tribune du haut de son mètre 80, mais elle va apprendre que l’on ne peut pas diriger un Parlement en se mettant à dos les députés eux-mêmes» (1). La violence machiste de ces réflexions ne surprend pas celle qui considère que le monde politique grec est profondément sexiste. Parmi les quarante membres du gouvernement Tsipras, seulement six femmes sont vice-ministres et aucune femme n’est ministre à part entière !

Une famille militante

Issue d’une famille militante, elle grandit dans un milieu où l’engagement est une valeur fondamentale. Ces deux grands-mères, de fortes personnalités, femmes autodidactes lui ont transmis une règle fondamentale : construire sa vie et ne pas la subir. Ne jamais servir d’alibi. Alors que sa mère, journaliste, décrit la misère et les inégalités sociales régnant en Grèce, son père résistant contre la Junte milite ensuite à la tête de Synaspismos, le plus important parti de la gauche radicale qui sera le socle de Syriza.

Son désir d’indépendance pousse Zoé Konstantopoulou à devenir avocate. Elle commence donc des études de droit à Athènes et les poursuit en France, à Nanterre et à La Sorbonne .En parallèle, elle participe en 1998-2000 au programme d’éducation dans les prisons et elle enseigne l’anglais à Fresnes. Elle travaille ensuite au tribunal international criminel qui enquête sur les crimes commis en Yougoslavie. Elle complète ses études à l’université de Columbia à New York où elle travaille en même temps au bureau de la représentation grecque aux Nations Unies.

De retour dans son pays, elle défend très vite nombre de militant-e-s syndicalistes et politiques, qui sont l’objet de poursuites judiciaires. Elle soutient la famille d’un jeune garçon de 15 ans dont la mort avait bouleversé l’opinion et provoqué trois semaines d’émeute à Athènes, en 2008. Elle obtient pour le policier assassin une peine de prison à vie et dix ans de prison pour son complice.

Un engagement politique fort

En juin 2012, elle est élue députée. Très vite après son élection, l’affaire de la banque HSBC (2), fait enfin l’objet d’une enquête parlementaire. Sa détermination dans cette affaire de fraude et d’évasion fiscale va lui permettre de se faire connaître d’un large public. Ce n’est qu’en 2012, qu’une commission d’enquête parlementaire est constituée. Zoe Kostantopoulou, élue députée depuis quelques mois en est la rapporteuse. Elle joue un rôle majeur et dérange beaucoup de monde : quand la députée de Syriza ose poser des questions à l’ancien chef du SDOE (l’unité chargé de la lutte contre la criminalité financière en Grèce), le président de la commission d’enquête se dépêche de la faire taire.

Situation économique de la Grèce lors de la victoire de Syriza

Malgré une restructuration en 2012, la dette s’élève à 320 milliards d’euros (175% du PIB) euros. Ce qui fait dire à Yorgos Mitralias, membre de la campagne grecque pour l’audit de la dette : «Toute dette qui n’a pas bénéficié à la société, à l’État, mais s’est contentée de satisfaire des intérêts particuliers ou inavouables peut aujourd’hui être considérée comme illégitime à mon sens.» 70% du «plan de sauvetage» a profité uniquement à la finance avec un recul de 40% des salaires, le chômage à 27% ( 30% pour les femmes et 23 % pour les hommes, 40% de chômage chez les jeunes).

Enfin, un recul du PIB de 25% en cinq ans, soit une récession plus importante que lors de la crise de 1929 aux USA. Une crise sanitaire sans précédent : le budget de la santé chute de 70% en cinq ans ; 30% de la population est sans couverture sociale.D’où une détérioration considérable de l’état de santé de la population grecque : – détresse mentale généralisée (50 % de la population a besoin de soutien psy) ; +200 % de suicides, – retour le la malaria (éradiquée depuis 40 ans), augmentation énorme de la tuberculose, de la consommation de drogues dures et des contaminations par le VIH.

Les femmes ont été particulièrement touchées par cette crise : la destruction des services publics où elles étaient nombreuses à travailler, les a renvoyées à la maison où, faute de services publics elles se chargent des enfants, des malades et des personnes âgées. Pour elles, tous les acquis en terme de santé reproductive et sexuelle acquis au cours des quarante dernières années sont anéantis et il faut payer cher pour pouvoir accoucher aujourd’hui.

Avec la victoire de Syriza en janvier 2015, elle est élue Présidente de la Vouli. Dotée d’une capacité de travail extraordinaire, elle ne fait pas semblant. Bien décidée à changer les choses, elle voudrait arriver à faire de ce Parlement, un exemple de démocratie, de liberté mais aussi de responsabilité. A son initiative, les député-e-s qui viennent siéger en touristes verront leurs émoluments réduits d’autant : on hurle au scandale. Elle hausse les épaules. Elle demande aux personnalités politiques qui ne sont plus député-e-s de rendre le bureau qu’elles occupaient.

Un audit de la dette très politique

Le gouvernement Syriza n’avait pas prévu d’auditer la dette : cette initiative revient à la présidente du Parlement.Devant les énormes difficultés qui menacent le gouvernement Tsipras, que l’UE veut stopper dans son expérience de premier gouvernement de la gauche radicale en Europe, elle lance officiellement le 17 Mars, un audit de la dette grecque, en conformité avec un règlement de l’Union européenne datant de 2013.

Dans ce contexte, on mesure bien à quel point lancer un audit de la dette est une initiative très politique. En effet, il faut analyser la composition de la dette et savoir quelle partie est soutenable, quelle autre est insoutenable, c’est-à-dire celle dont le remboursement empêche les pouvoirs publics de satisfaire aux besoins humains fondamentaux des citoyen-ne-s de ce pays. La commIssion a pour but de donner des arguments solides et scientifiques pour soutenir ensuite une décision politique qui appartient au gouvernement grec. 

Zoé Konstantopoulou a aujourd’hui reçu l’accord du Président de République mais elle est accusée par certain-e-s journalistes et par différents partis grecs (Nouvelle démocratie, PASOK et Potami) de «jeter de l’huile sur le feu.» Mais rien ne l’empêche d’avancer : «tout un peuple a été mis à genoux, nous ne devons pas accepter qu’il se soumette à cette propagande.»Une coïncidence heureuse alors que s’ouvre à Athènes, le grand procès de la filiale grecque de Siemens dont le président de la filiale grecque, Michalis Christoforakos, s’est enfui en Allemagne…

Et comme rien n’entame ses convictions profondes, la présidente de la Vouli vient de demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la corruption….

Jacqueline Pénit, 50-50 magazine

1 Le Monde , 8 Mars 2015. Soit 23% de femmes députées, contre 27% en France.

2 En 2008, Falciani, ancien cadre du service informatique de la filiale suisse de la banque HSBC décide de communiquer à plusieurs gouvernements européens une liste nominative de 172 000 comptes détenus dans cette banque par 79.000 personnes. Il dit vouloir démontrer comment certaines banques facilitent l’exil fiscal et le blanchiment d’argent. A l’automne 2010, la ministre des Finances de N. Sarkozy, C. Lagarde, transmet cette liste à ses homologues européens. Scandale dans les pays concernés, qui comme la France prendront des mesures pour récupérer l’argent de l’évasion fiscale… Mais en Grèce, le ministre des Finances, qui a reçu un fichier contenant les noms de 2059 exilés fiscaux, efface 25 documents concernant plusieurs de ses proches, avant de le transmettre à la brigade financière grecque, la SDOE. Tout le système politico-économique grec est touché : hommes politiques, ministres, grands patrons, éditeurs de presse… Pendant deux ans, les gouvernements successifs ont caché la liste, qui a finalement été rendue publique grâce à l’enquête du journaliste Kostas Vaxevanis, ce qui lui a valu d’être accusé d’avoir violé les lois sur la vie privée et le secret de l’information, avant d’être jugé, puis acquitté.

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