Articles récents \ France \ Société Cybersexisme et représentation des femmes dans les jeux vidéos

L’actualité du cybersexisme n’est plus à démontrer. Le Centre Hubertine Auclert a récemment publié une enquête sur la question. L’occasion de faire un point sur le sexisme et les stéréotypes dans les jeux-vidéos.

La question du sexisme dans le milieu des jeux-vidéos connaît une médiatisation de plus en plus importante ; en témoignent le déferlement de haine à l’encontre de Zoe Quinn (1) ou encore le « jeu » qui avait pour objectif de battre et défigurer Anita Sarkeesian (2).

Des hashtags fleurissent régulièrement sur Twitter pour dénoncer le sexisme ambiant dans le milieu, à l’instar de #1resaonwhy, utilisé par des femmes pour expliquer, à partir de leurs expériences personnelles, pourquoi il y a aussi peu de développeuses.

En mars dernier s’est tenue une conférence sur le sujet au cours d’un festival surnommé « La Mecque de l’informatique », rassemblement incontournable des geeks de tous horizons. Paradoxe ? Alors que de plus en plus de filles jouent aux jeux-vidéos (un gameur sur deux est … une gameuse), et que le problème gagne en visibilité, il ne semble pas s’atténuer, et la prise de conscience des joueurs et des professionnels se fait attendre.

Un angle d’attaque pour comprendre le cybersexisme est de s’intéresser aux stéréotypes dans les jeux vidéos, aussi bien dans les jeux en ligne (LoL, WoW, et autres MMORPG) que sur console (Tomb Raider, Smash Bros ou Zelda), même si le raisonnement s’appréhende mieux avec les jeux qui proposent des avatars, c’est-à-dire des représentations pixellisées du joueur. L’avatar a l’avantage de n’être pas soumis à des limites physiques : grâce à l’informatique, il est possible de modéliser à peu près n’importe quel avatar, humanoïde ou pas. Le sexisme passe justement par ces avatars.

L’objectification des femmes dans les jeux-vidéos

Les jeux-vidéos sont intéressants par plusieurs aspects : ils présentent une dimension visuelle (avec la représentation de l’avatar sur l’écran) et/ou une dimension sociale (les joueurs interagissent dans le jeu, mais aussi dans toute une sphère liée, sur des blogs, des forums, des chats). Le rôle de l’avatar est dans ces deux cas considérable, car c’est par lui que vont s’exprimer tou-te-s les joueur-se-s. Pour être attirants, les avatars sont idéalisés : le jeu vidéo est par essence un monde virtuel dans lequel chacun-e est libre de donner cours à son imagination et a la possibilité de devenir un héros. D’ailleurs, il est plus facile de s’identifier à un personnage positif que négatif. Sans identification aux avatars, il n’est pas possible de jouer.

L’idéalisation est à la fois physique (ce qui pose la question, plus large des canons de beauté) et comportementale. Ce n’est pas tant l’idéalisation des avatars qui pose problème que les dérives qu’elle implique : en effet, très souvent, l’idéalisation devient objectification. Ce phénomène touche les deux sexes, 73% des femmes et 67% des hommes sont idéalisés. Les hommes sont musclés, traduction physique de la virilité, une qualité considérée comme masculine par excellence. Mais les femmes ne sont pas simplement objectifiées, elles sont aussi hyper-sexualisées, réduites à des objets sexuels.

 

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L’objectification physique : la femme est réduite à un corps. Elle est représentée avec des seins surdimensionnés et ses vêtements révèlent toutes ses courbes aboutissant à ce fait étonnant : plus le personnage gagne en expérience, plus ses vêtements rétrécissent. Ses caractéristiques physiques traduisent l’excitation sexuelle : pommettes rouges, lèvres rouges et entr’ouvertes, augmentation du rythme cardiaque, tétons qui pointent. Son rôle est celui d’un « eye-candy », qui attire l’attention par son physique. Il faut bien noter qu’on parle ici d’un idéal de beauté qui s’adresse avant tout aux hommes hétéro blancs et jeunes, c’est-à-dire le portrait-type du développeur.

L’objectification comportementale : la femme est le sexe faible, et son apport à l’intrigue est faible, voir nul, sous-entendant ainsi son rôle dans la vie réelle. Anita Sarkeesian a produit une excellente série de vidéos sur les « tropes » dans les jeux-vidéos/) Elle définit, entre autres, deux scenarii types.

Le premier est celui de la demoiselle en détresse, où le personnage féminin se fait capturer au début et le héros se lance à sa recherche et doit la délivrer pour finir le jeu (Peach dans Mario par exemple).

Le deuxième, plus insidieux, est celui de la femme dans le frigidaire : le personnage féminin n’a qu’une seule utilité, celle de se faire tuer et de motiver le héros à entamer une quête vengeresse. Les femmes sans rôle propre sont assujetties à l’homme et n’existent que par lui. Les femmes sont rendues impuissantes afin de rehausser la puissance des hommes.

Le cas Lara Croft: un homme parfait dans le corps d’une femme parfaite

La notion d’héroïsme fait appel à un certain nombre de qualités comme le courage, l’intelligence ou la force physique. Lara Croft les incarne toutes puisqu’elle est décrite comme une femme forte, intelligente et capable de se débrouiller seule. Elle vit des aventures, n’hésite pas à tuer et n’a besoin d’aucun homme pour remplir ses missions. D’un point de vue comportemental, elle possède des qualités et mène des activités considérées comme «masculines». Mais son corps est idéalisé: ses seins sont surdimensionnés, sa taille fine et ses hanches larges au point que son corps en devient inhumain. C’est un homme parfait, qui a le corps d’une femme.

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Dans les dernières versions, son avatar a été modifié pour le rendre plus proche des proportions humaines. Cela interroge : en la rendant plus réelle, son corps ne devient-il pas l’objet d’un fantasme atteignable pour les filles, avec tous les risques qui s’en suivent en termes d’acceptation du corps et d’image de soi ? Ou au contraire, cette humanisation peut-elle la rendre attirante en présentant une héroïne valable comme modèle d’émancipation féminine ?

La fausse solution : les jeux pour filles

Dans ce débat sur le sexisme dans les jeux-vidéos, la solution proposée par les développeurs a été de créer des jeux pour filles, comme les Sims, Nintendogs ou Alexandra Lederman. Cette solution s’est avérée perverse. Ces jeux sont centrés sur le domicile, proposant aux joueuses de s’occuper de la maison, de faire à manger ou de prendre soin d’êtres virtuels, autant d’actions qui renvoient les femmes à des rôles stéréotypés. L’absence de marqueur de fin sur ces jeux (pas de missions à remplir ou d’objectifs à atteindre) les installe dans une routine sans introduire de compétition et n’incite pas les filles à relever des challenges. Ces jeux ne font que renforcer les stéréotypes de la société concernant les rôles des filles, sans tenter de transgresser le genre. Cette problématique des jeux pour filles renvoie plus largement au débat sur le marketing genré.

Au fond, la question n’est pas tant de réussir à faire des jeux pour filles que de faire des jeux auxquels les filles auraient envie de jouer. L’absence de personnages féminins, ou plutôt l’absence de personnages féminins réalistes, qui ne soient pas hyper-sexualisés est une barrière à l’entrée des filles. Mais la barrière la plus importante pour les filles reste sans doute le sexisme des joueurs masculins : en 2006, une étude de l’université du Maryland a montré que, sur un chat, un pseudo féminin reçoit 25 fois plus de messages tendancieux qu’un pseudo masculin. C’est peut-être cel, le cœur du problème.

 

Maïwenn Thoër Le Bris – Geekette féministe 

Pour aller plus loin : Sexisme chez les geeks, pourquoi notre communauté est malade et comment y remédier: blog d’une normalienne, agrégée de lettres modernes et militante féministe

1 Zoe Quinn est un programmeuse américaine qui a vu sa vie privée exposée sur Internet par un ex compagnon.

2 Anita Sarkeesian est une vidéo-blogueuse féministe américano-canadienne. Le jeu a été mis en ligne lorsqu’elle a annoncé son intention de lancer une série de vidéos s’attaquant au problème du sexisme envers les femmes dans les jeux-vidéos.

 

Photo de Une: une Viera, lapine (sexy) dans le jeu Final Fantasy XII. Avec talons aiguilles et armure protectrice

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