Articles récents \ France \ Sport France Les ABCD sont morts, vive l’Abécédaire ! : ces profs de sport qui font vivre l’égalité

L’éducation physique et sportive (EPS) est probablement la matière la plus importante dans l’apprentissage de l’égalité à l’École, tout simplement parce qu’elle met en jeu et en contact les corps des élèves, filles ou garçons. Quand le ministère de l’Éducation décida d’enterrer les ABCD de l’égalité pour les remplacer par un fade plan égalité filles/garçons, des enseignant-e-s d’EPS, syndicalistes au SNEP-FSU, décidèrent de mettre en ligne leur propre Abécédaire de l’égalité.

Enseignant-e-s en EPS dans toute la France, elles/ils exercent dans le secondaire ou à l’université. Leur point commun ? Avoir été déçu-e-s du recul du gouvernement sur les ABCD de l’égalité face aux opposant-e-s à l’égalité.

Claire Pontais, responsable des questions d’égalité au Syndicat National de l’Education Physique (SNEP) , se souvient : «Ils [les responsables du ministère de l’Education] ont tout supprimé sans nous prévenir pour passer à quelque chose de beaucoup plus fade». La syndicaliste était d’autant plus amère qu’elle a pu voir le revirement de l’intérieur. En effet, Claire Pontais est formatrice des futur-e-s professeur-e-s des écoles (les «PE») en Basse-Normandie en EPS à l’école primaire. Elle avait participé à la rédaction des ABCD de l’égalité pour l’EPS.

Avec quelques collègues syndicalistes, l’idée leur vient d’un «recueil de textes pour interpeller les gens». Bruno Cremonesi, professeur d’EPS à Aulnay-sous-Bois, en Seine-St-Denis «s’est improvisé chargé de communication sur ce travail collectif». Il défend une entrée «par des mots légers et des concepts. On ne voulait pas faire un truc lourd ou tout le temps décalé, mais remettre les questions d’égalité au cœur du métier de professeur d’EPS. L’idée était que cet abécédaire nous engage sur la durée.»

Qui ne se rappelle pas de ses cours de sport à l’école, que ce soit en bien ou en mal ? Les syndicalistes que nous avons interrogé-e-s sont unanimes. Pour Bruno, il est difficile d’échapper aux questions d’égalité dans les classes de sport : «on met en jeu le corps. Il y a contact visuel et bien souvent contact physique. Les activités sportives sont sexuées et véhiculent des stéréotypes. En ignorant la question, on reproduit des modèles dominants.» Claire Pontais abonde : « il était utile de continuer le travail entamé par les ABCD, de toutes les manières, par le sérieux, par des anecdotes, des chiffres… » et c’est bien ce qu’on trouve en consultant les 26 entrées de cet abécédaire qui comporte « des recyclages des ABC de l’égalité et des productions originales.»

Bâtir une culture commune de l’égalité

Cécile Ottogali, historienne du sport et de l’EPS à l’université Lyon 1 salue «une initiative remarquable pour sensibiliser les profs d’EPS». Elle rappelle «le rôle crucial de l’éducation physique dans la construction des jeunes femmes et des jeunes hommes». Les cours d’EPS étaient jusque-là plutôt un facteur de différenciation entre filles et garçons : alors que la mixité devient obligatoire à l’école en 1975, les profs d’EPS résistent jusqu’au début des années 80, comme en témoignent les cours de Mr Mégot dans le Petit Spirou, réservés aux garçons. Ce n’est qu’en 1989 que le mur de la non-mixité s’écroule au niveau du recrutement des enseignant-es d’EPS.

L’universitaire défend l’idée que le sport à l’école «devrait être un laboratoire de la mixité dans une société où le sport est dé-mixé. Mais cela dépend surtout de l’appropriation par les enseignant-e-s des outils d’une culture commune de l’égalité entre les filles et les garçons. Les comportements discriminants proviennent de processus inconscients. Il faut donc former les enseignant-e-s sur les stéréotypes pour les aider à devenir des actrices et acteurs de l’égalité. »

L’objectif d’une culture commune de l’égalité F/H est d’ailleurs inscrit dans les programmes depuis la fin des années 90. Concrètement, cela passe par des formations de tous les personnel-le-s de l’Éducation Nationale. Des formations sont bien prévues, mais pour Claire Pontais, «celles-ci sont largement insuffisantes. Il y a 15 ans, je pouvais organiser 2 modules sur 3 jours pour sensibiliser sur la durée les futur-e-s PE. Cela attirait d’ailleurs beaucoup les étudiant-e-s. On ne peut pas faire le même travail en une demi-journée.»

L’EPS bien pensée, un levier pour l’égalité

La formatrice se veut rassurante : «l’objectif n’est pas de heurter les représentations des gens. Il faut simplement leur montrer qu’il est très facile de se conformer aux normes dites naturelles comme la complémentarité des sexes, alors qu’enseigner l’égalité, ça s’apprend». Par exemple, en primaire, elle proposait dans ses fiches que les filles puissent jouer le rôle du loup et que les garçons fassent le petit chaperon rouge. Très loin des modules de masturbation imaginaire craints par les conservateurs paranoïaques. «Ce sont des petits rien qui changent tout sur de grands enjeux. »

Quid des différences physiques entre les élèves ? «On peut toujours les séparer sur les compétences. Au foot, on ne va évidemment pas mettre Zlatan contre quelqu’un qui n’a jamais joué». Cécile Ottogali complète : «il nous faut plus de variétés dans les barèmes. Il serait possible d’avoir des barèmes communs entre filles et garçons en diversifiant nos critères d’évaluation, et pas simplement en mesurant des différences de force et de vitesse». Les barèmes différenciés entre sexes, toujours en vigueur (1), «essentialisent les goûts et les capacités des élèves.»

Pour Bruno Cremonesi, il s’agit aussi d’affranchir garçons et filles de l’impact des stéréotypes et des accusations homophobes : «un garçon qui aime le step ou la danse, c’est un homo, et une fille forte au foot, c’est forcément une lesbienne. Au nom de quoi les filles n’aimeraient pas les compétitions ? Nous proposons de cultiver l’affrontement et la sensibilité chez tous les élèves.» Pour Claire Pontais, la question de l’homosexualité est «encore un impensé majeur du milieu sportif. Il y a un véritable tabou, on fait comme si les sportives et sportifs homosexuel-le-s n’existaient pas». Des problèmes qui pourraient être abordés dans le cadre d’une éducation à l’égalité en cours d’EPS.

L’objectif est d’encourager les enfants à se mélanger dès la maternelle, d’émanciper les femmes par les sports collectifs et de combat quand celles-ci disent ne pas faire de sport mais vont plutôt «dans une salle de mise en forme», que chacun-e «puisse faire l’activité qu’il/elle veut.»

En somme, il s’agit simplement de retrouver la mission de l’école, qui est «d’ouvrir des possibles et d’apprendre ensemble». Cécile Ottogali prévient : «cet abécédaire n’est qu’un début». On espère que leur initiative aura des échos rue de Grenelle.

Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

Consulter l’abécédaire sur le site de la SNEP-FSU

1 : l’auteur de ces lignes, s’il eut été une fille, aurait par exemple eu 20/20 au lieu de 14 au 3×500 mètres du baccalauréat.

 

Image à la Une : Rencontres USEP Rugby pour des élèves volontaires de cycle 3. École du Centre Manche,Saint-Lô (50). Crédits photo : Philippe Delamarre.
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