Articles récents \ France \ Politique La France : pays des droits de l’Homme ou pays des droits humains ?

Human rights, derechos humanos, droits de l’Homme. Anglais, espagnol, français : trois langues et une exception, bien évidemment française. Le collectif Droits humains et Zéromacho ont chacun lancé une campagne pour que l’expression «droits de l’Homme» disparaisse de tous les textes officiels et soit remplacée par l’expression «droits humains». Les critiques violentes contre les partisan-e-s des droits humains démontrent que ce combat est en réalité une lutte symbolique et politique de toute première importance.

 

Le 2 avril dernier, à l’Assemblée Nationale, les Zéromacho lançaient leur affiche, placée sous l’égide du Haut Conseil à l’Egalité f/h. Le collectif Droits Humains était également invité pour sa campagne «Droits humains pour tout-e-s». Leur objectif est commun, modifier un texte hautement symbolique : la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, pour le remplacer par la déclaration des Droits humains, de la citoyenne et du citoyen. Et «les symboles, on le sait, sont intouchables» comme l’écrivait Milan Kundera. En témoignent les réactions de celles/ceux qui s’opposent à ce changement.

DDH 300dpi

L’affiche réalisée par Zéromacho

Un épisode de plus dans la guerre culturelle pour l’égalité des sexes

Première école plutôt qu’école maternelle, disparition de mademoiselle des formulaires administratifs, féminisation des noms de métiers… le mouvement féministe en France a beaucoup travaillé sur le langage ces dernières années.

Les deux campagnes sont concomitantes : celle de Zéromacho, avec son affiche, pour le côté éducatif auprès du public, en réécrivant le texte original pour l’adapter à la mixité et celle du collectif Droits Humains, qui rassemble 54 organisations a peaufiné ses argumentaires historiques et juridiques. Les deux campagnes veulent peser sur les pouvoirs publics pour remplacer à terme « droits de l’Homme » par droits humains dans les textes officiels.

La bataille «droits humains» VS «droits de l’Homme» peut s’analyser comme un nouvel épisode de la guerre culturelle entre les défenseur-e-s de l’égalité et les tenant-e-s de la complémentarité des sexes. Pour Fabienne Reuter, déléguée générale de la fédération Wallonie-Bruxelles à Paris (1), «les mots sont les premiers vecteurs des stéréotypes.»

Juste une évidence

Pour Sara Vila, porte-parole du collectif Droits humains, le fait de remplacer l’expression droits de l’Homme par droits humains «n’est ni une priorité, ni une actualité brûlante, juste une évidence» résumée en cinq poins :

  • L’expression «droits de l’Homme» est porteuse d’une histoire de discrimination sexiste, qui idéalise la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Celle-ci a été rédigée par et pour des hommes, bourgeois et de surcroît blancs. Pour preuve, quand en 1791 des femmes dont Olympe de Gouges ont voulu compléter le texte de 1789 en proclamant une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elles ont été durement persécutées. En 1793, de Gouges fut guillotinée, les clubs et les associations de femmes décrétés illégaux, et l’accès aux séances de la Commune de Paris interdit aux femmes.

  • L’expression «droits de l’Homme» oublie les femmes, leurs intérêts et leurs luttes dans le monde. En comparaison, la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée aux Nations-Unies en 1948 s’adressait aux femmes et aux hommes, et reconnaît dès son article 2 la spécificité de la discrimination de genre. Dire droits de l’Homme plutôt que droits humains, c’est nier le rapport de force existant par rapport à l’application des droits fondamentaux entre femmes et hommes. C’est un acte de domination qui perpétue le machisme.

  • Comme le rappelle le collectif «presque plus personne ne se préoccupe aujourd’hui d’écrire «droits de l’Homme» avec un «H» majuscule. Cette majuscule est en pratique évacuée comme un détail orthographique sans importance». Pour preuve, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’homme (CNCDH) oublie cette majuscule sur son site. On n’entend pas le H majuscule à l’oral. Or rappelle le Collectif : «seule une terminologie claire à l’oral comme à l’écrit est ainsi non discriminatoire.»

  • L’expression «droits de l’Homme» est ambiguë. Le Conseil de l’Europe le soulignait déjà en 1990 : «l’utilisation du genre masculin pour désigner les personnes des deux sexes est génératrice, dans le contexte de la société actuelle, d’une incertitude quant aux personnes, hommes ou femmes, concernées.» L’expression droits humains lève cette incertitude.

  • Il n’existe aucun principe linguistique qui justifierait de garder l’expression «droits de l’Homme.» Comme le rappelle l’historienne Éliane Viennot, en français, le privilège linguistique du masculin découle en grande partie d’un processus de masculinisation de la langue entamée au XVIIe siècle par des grammairiens mâles. Les interventions de francophones belges et québécois-e-s à l’événement du 2 avril ont montré qu’il était tout à fait possible de parler de droits humains en langue française.


Une opposition hors sujet

L’appellation «droits humains» englobe donc toute l’humanité, évite la nécessité d’une majuscule souvent oubliée, ne crée aucune ambiguïté et respecte la langue française. Les promoteurs des droits humains s’appuient sur une lecture critique historique. Examinons les arguments des partisan-e-s du statu quo, que l’on peut trouver de la gauche à l’extrême-droite.

Par exemple, un professeur de théorie politique, Laurent Bouvet, s’est exprimé sur le site du Figaro. L’universitaire, pourtant réputé proche de la gauche, dénonce «le ridicule et la naïveté presque touchante dont témoigne une telle démarche […] que l’on ne peut lutter contre les inégalités et contre les discriminations qu’en mettant en avant les identités «minorées» ou «dominées» dans l’espace public. En clair, que la lutte pour l’égalité des droits […] passe par une nécessaire reconnaissance des spécificités identitaires de tel ou tel groupe d’individus.»

On se pince pour y croire. Au-delà de la condescendance du propos, il est stupéfiant de constater qu’une démarche qui se veut justement universaliste et englobante de toute personne est critiquée au nom de «la reconnaissance des spécificités identitaires de tel ou tel groupe d’individus.» N’y-a-t-il justement rien de plus universel que l’espèce humaine ? De quelles spécificités identitaires parle-t-il ?

Faire l’amalgame entre identités «dominées» et «minorées» nous paraît étonnant de la part d’un universitaire. Les arguments des partisan-e-s des droits humains appuient leur réflexion sur un groupe social, les femmes, qui ne sont en aucun cas une minorité mais la moitié de l’humanité justement occultée par la déclaration de 1789. On pourrait même pousser l’argument : en défendant le statu quo sémantique, c’est bien Laurent Bouvet qui veut défendre la reconnaissance d’un groupe d’individus spécifiques : les hommes, en occultant les femmes.

Il critique également la lecture de l’histoire de la déclaration de 1789 sur laquelle s’appuie le collectif: «faire de l’acte fondamental qu’ils ont posé en cet été 1789 […] un texte misogyne et raciste, c’est ne rien comprendre ni à l’époque ni au sens même de leur démarche.» Personne n’a parlé de misogynie et de racisme concernant les rédacteurs de la DDHC. C’est justement parce que l’exclusion de tout ce qui n’était pas un homme bourgeois et blanc était pensée comme «naturelle» en 1789 que les défenseur-e-s des droits humains réclament une mise à jour en 2015. Le projet est d’étendre, comme M. Bouvet le dit, «les fondements philosophiques et juridiques de la possibilité même de l’émancipation de l’ensemble de l’humanité, sans aucune distinction identitaire» à chaque être humain.

Les arguments de M. Brighelli, sont du même acabit : hors sujet, en y ajoutant l’ironie et le mépris de celui qui est persuadé d’avoir raison. Patric Jean lui a bien répondu sur son blog.

Les droits humains bientôt dans la loi française ?

En attendant, les droits humains ont fait leur entrée à l’Assemblée : les organisations qui se battent sur la loi dite « Rana Plaza » (2), sur le devoir de vigilance et la responsabilité juridique des multinationales, ont réussi à faire examiner un amendement via la députée Catherine Coutelle (PS). Cet amendement visait à écrire tout le texte de la proposition de loi en remplaçant droits de l’Homme par droits humains. Celui-ci a été rejeté.

La loi doit encore être examinée au Sénat. Les droits humains seront-ils réintroduits dans la loi française par la chambre haute ? Cela semble peu probable. Pour aider à adopter l’expression droits humains à l’instar de nombreux pays francophones (le Canada, la Suisse, Haïti…), vous pouvez néanmoins commencer par signer cette pétition.

 

Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

1 La Communauté française de Belgique est l’une des trois communautés fédérées de la Belgique. Elle se désigne elle-même sous le nom de Fédération Wallonie-Bruxelles.

2 Plus d’infos sur la catastrophe du Rana Plaza et la loi susdite sur le site du collectif éthique sur l’étiquette .

Pour en savoir plus :

Le collectif droits humains pour tout-e-s (54 associations signataires à l’heure actuelle) organise une conférence le 21 mai de 17h30 à 19h30 à la mairie du 10ème arrondissement de Paris. L’inscription par e-mail est obligatoire, avant le 19 mai 2015 à droitshumainspourtou.te.s@gmail.com .

 

print