DOSSIERS \ Contraception masculine : encore un effort messieurs ! \ Contributions L’expérience d’Ardecom ou l’envers de la contraception

Cyril Desjeux est docteur en sociologie et auteur d’une thèse sur l’histoire d’ARDECOM, association d’hommes militant pour la contraception masculine.

 

L’expérience de la contraception médicalisée par les hommes d’ARDECOM dans les années 1980 a notamment permis de repenser la sexualité et le rapport avec la partenaire. En faisant l’expérience de la contraception, ces hommes d’ARDECOM (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine) proposent un autre modèle d’hétérosexualité en développant de nouveaux modes de relations avec les autres hommes, mais aussi avec eux-mêmes, avec les femmes, et également avec l’univers médical.

A titre d’exemple, on peut rappeler que le corps des femmes est médicalisé dès qu’elles sont en âge d’avoir des rapports sexuels. Les menstruations, la contraception, les consultations gynécologiques, les amènent précocement à se socialiser à leur corps et au monde médical. De leur côté les hommes n’ont pas de règles, les amenant souvent à avoir un rapport à la douleur corporelle et à la maladie différent. En outre, ils vont voir tardivement des professionnels de santé pour des questions andrologiques ou urologiques. L’expérience de la contraception masculine vient décaler les hommes dans ce vécu asymétrique avec les femmes, les amenant à faire, en partie, l’expérience de leur vécu.

La montée du féminisme et la mise en place de groupes de femmes (issus du Mouvement de libération des femmes) laissent place à l’émergence de groupes d’hommes dans le début des années 1970.

Ces hommes ont des profils bien particuliers : issus d’organisations d’extrême gauche et proches des féministes, ils expriment une volonté de changement qui passe par la culpabilité de faire partie du groupe des oppresseurs. En parallèle de ce malaise masculin, les premiers doutes, qu’ils soient justifiés ou non, quant aux effets secondaires des contraceptifs médicalisés pour les femmes font leur apparition. La réaction physique (prise de poids, hémorragie, stérilité…) de certaines femmes utilisant une contraception souligne les dangers de ces produits sur la santé.

Les féministes des années 1970 demandent alors un partage avec l’homme des risques liés aux contraceptifs médicalisés. Mais cette revendication ne visait pas tant à faire que les hommes utilisent une contraception qu’à sensibiliser les industriels et à les responsabiliser en matière de respect de la santé des femmes.

Néanmoins, on verra apparaître, dans les années 1980, une nouvelle revendication féministe qui cible directement les hommes. La contraception masculine deviendra un enjeu moral et social, et non plus seulement sanitaire. L’objectif sera d’arriver à sensibiliser les hommes face à leurs responsabilités parentales et sexuelles.

Le sentiment de culpabilité associé à un climat contraceptif tendu amènera certains hommes à vouloir changer la distribution des cartes en matière de médicalisation, de sexualité, de fertilité et de maîtrise de la fécondité. Cependant, cette réflexivité ne concernera pas tous les hommes, mais se rencontrera principalement chez des jeunes hommes, âgés entre 25 ans et 35 ans, aux capitaux culturels élevés et ayant fait l’expérience des difficultés contraceptives de leur compagne.

La contraception masculine en pleine ébullition

Ainsi, entre 1979 et 1986, se mettent en place plusieurs groupes de parole, ARDECOM, qui militent pour le développement d’une contraception médicalisée pour les hommes.

Le début des années 1980 est une période très dynamique, on voit rapidement se mettre en place des groupes d’expérimentation de contraception masculine autour des procédés suivants :

– La prise de deux pilules par jour (progestatifs) associées à une lotion de testostérone ;

– L’augmentation de la température des testicules grâce un slip très serré ;

– La vasectomie.

Une énergie entraînante et démonstrative semble ouvrir la porte à de nouvelles possibilités. Les médecins et les volontaires qui prennent part aux essais ont le sentiment d’écrire une page de l’histoire en mettant au point le premier contraceptif masculin. Entre 1979 et 1983, la contraception masculine se trouve alors en pleine ébullition. Cependant, le nombre d’hommes expérimentant la contraception restera restreint. En effet, dès 1984, cet élan pour le développement d’une contraception pour les hommes s’essoufflera, les essais s’arrêteront progressivement et finiront par basculer dans l’oubli vers la fin des années 1980. Ces militants participant à la contraception hormonale masculine prendront difficilement une position active. Finalement, ils réuniront davantage un ensemble d’actions individuelles que collectives. Ils se donneront à voir comme un groupe « passif » qui ne modifiera pas la norme, mais seulement leur propre individuation.

Outre les effets secondaires de certaines méthodes, l’une des grandes difficultés pour les hommes d’ARDECOM est qu’ils se heurtent à une absence de ressources tant sur le plan matériel (aucune méthode médicalisée n’est connue), des compétences (il n’existe pas de prescripteurs et peu de volontaires) que symboliques (la contraception est difficilement perçue comme pouvant être une demande émanant des hommes).

La contraception masculine ou la construction d’un modèle alternatif d’hétérosexualité

En définitive, les hommes d’ARDECOM qui ont pris une contraception expriment un double déplacement. D’une part, ils sont dans une logique de soutien et de partage des contraintes contraceptives : la maîtrise de la fécondité est « mutualisée » dans le sens où elle relève de la responsabilité de chacun. D’autre part, il s’agit également de se prémunir soi-même d’une paternité qui ne serait pas décidée, mais subie.

Les expériences contraceptives des hommes et leur mise en pratique les amènent à vivre des situations qu’ils assimilent à celles des femmes : aller chez l’andrologue, prendre la pilule, faire des examens médicaux (contrôle de la fertilité et analyses de sang), devoir penser tous les jours à la contraception, considérer la fertilité dans son versant féminin et masculin, etc., sont autant d’éléments qui permettent de penser une certaine symétrie. En prenant une contraception, les hommes réinterprètent la fécondité et la filiation en ne l’inscrivant pas uniquement dans le sillage de la mère, mais également dans le devenir père.

Cette expérience des hommes d’Ardecom a participé à « hétérosexualiser » la contraception en ne la réifiant pas à un sexe, mais à une sexualité. Dit autrement, il s’agit moins de penser la contraception comme « masculine » ou « féminine », mais comme propre à une sexualité entre personnes de sexes différents, et donc pouvant être à la charge aussi bien des hommes que des femmes. En opérant ce déplacement des catégories, ils se confrontent à une ligne de tension entre une volonté de partager les responsabilités contraceptives et l’asymétrie des corps. L’engagement contraceptif des hommes montre une potentialité quant à la manière de construire un autre modèle d’hétérosexualité. En d’autres termes, l’investissement contraceptif des hommes peut être interprété comme un des signes d’une première étape de redéfinition et d’hybridation.

 

Cyril Desjeux, Docteur en sociologie, auteur de «Pratiques, représentations et attentes masculines de contraception», thèse soutenue en 2009 à l’EHESS sous la direction de Christine Castelain-Meunier, réalisée avec le soutien de la CNAF.

 

 

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