Articles récents \ Chroniques \ Culture \ Cinéma Mustang : cinq soeurs en rébellion contre le patriarcat et l’autoritarisme des hommes turcs

Ne manquez pas Mustang , ce premier long-métrage de Deniz Gamze Erguven, réalisatrice d’origine turque qui nous raconte avec finesse et subtilité l’histoire de cinq sœurs élevées par leur grand-mère dans l’est de la Turquie, un pays où la place attribuée aux femmes reste problématique car encore délimitée par une vision du monde très patriarcale.

Son éducation cosmopolite lui ayant permis de voyager, de vivre et d’étudier à l’étranger, Deniz Gamze Erguven est particulièrement sensible à la dimension oppressante du carcan de la féminité en Turquie, carcan qu’elle sent s’abattre sur elle à chaque fois qu’elle y retourne. Bir Damla Su (Une goutte d’eau, 2006), son film de fin d’études à la Fémis, avait déjà été sélectionné à la Cinéfondation du Festival de Cannes et récompensé au Festival International de Locarno. S’ouvrant sur l’image d’une femme voilée faisant une bulle de chewing-gum, ce court-métrage racontait la tentative d’émancipation d’une jeune turque en rébellion contre le patriarcat et l’autoritarisme des hommes turcs.

Dans Mustang, qui est d’abord un film d’initiation sur l’entrée dans l’âge adulte, Deniz s’est inspirée d’une certain nombre d’événements vécus qui l’ont marquée. Tout d’abord l’obsession traditionnelle pour la virginité des filles que la rumeur villageoise met en doute après ce qui semble un banal jeu d’adolescent-e-s au bord de la mer et qui va conduire leur oncle, avec la complicité d’une partie des femmes de la famille et du village, d’abord à les cloitrer puis à transformer petit à petit leur vie d’enfants plutôt libres, insouciantes et joyeuses en un enfer visant à en faire rapidement de bonnes épouses. En un instant, elles perdent toute prise sur leurs vies qui semblent mises à prix sur le marché des mariages arrangés.

La brutalité d’une sexualité subie

Tous les cas de figure sont envisagés pour le mariage de ces adolescentes filmées à l’orée de leur vie de femmes avec une grâce assez rare – dans leur intimité et leur complicité joyeuses et rayonnantes. Leur soif de vivre irradie le film et les rires fusent souvent tant qu’elles font bloc contre les adultes qui s’opposent soudain à tous leurs désirs, interrompent leurs études et les privent des objets que la plupart des adolescent-e-s pensent vitaux : téléphone, ordinateurs… Les deux premiers mariages rompent le charme et ramènent les cinq jeunes filles aux réalités et à la brutalité d’une sexualité qu’elles sont invitées à subir et non à choisir, comme toutes les femmes avant elles, leurs aînées leur promettant qu’elles vont s’habituer…

La plus jeune est aussi la plus rebelle à cette oppression des hommes qui se manifeste par la toute puissance de l’oncle qui les cloitre dans ce qui avait été la maison du bonheur. Maison qui devient celle du malheur au fur et à mesure qu’apparaissent grilles, hauts murs et barreaux qu’elles vont s’ingénier à franchir pour reconquérir leur liberté perdue. Toutes n’en sortiront pas indemnes, mais malgré des épisodes dramatiques le film est lumineux et dégage un certain optimisme sur la capacité des femmes à conquérir leur autonomie et à prendre leur avenir en main dès leur plus jeune âge pour inventer une société dans laquelle l’oppression des femmes n’aurait plus sa place, et dont personne ne voudrait plus être complice !

Mustang , en salles depuis le 17 juin 2015 – 97 minutes

Marie Lévêque, 50-50 magazine

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