Articles récents \ France \ Économie \ Politique Sophie Binet, CGT : « la droite n’avait jamais osé… la gauche l’a fait ! »

Sophie Binet est élue à la direction confédérale de la CGT depuis mars 2013. Pilote de la commission Femmes-Mixité, à seulement 33 ans, Sophie Binet a été très active sur les lois Macron et Rebsamen qui menacent l’égalité professionnelle. Elle nous a reçu-e-s dans son bureau au siège de la CGT, pour nous raconter les coulisses des débats.

L’accueil est sympathique et détendu. Sophie Binet dispose d’un grand bureau et d’une voisine bienveillante à la CGT qui nous propose des boissons chaudes pour patienter avant que la jeune syndicaliste n’en termine avec son rendez-vous précédent. Pas de temps à perdre, la discussion avec la responsable de l’égalité entre les femmes et les hommes démarre rapidement. Au programme, des tacles au gouvernement et à ses méthodes, de l’expertise en droit du travail et une sidération devant ce qu’est devenue la gauche au pouvoir, qui n’empêche pas la syndicaliste de rester combative.

Pourquoi s’opposer à la loi Macron ? Celle-ci ne semble pourtant pas concerner directement les femmes…

La loi Macron est une collection de mesures, non spécifiques aux femmes, mais qui ont un impact négatif sur les conditions de travail et de vie des femmes en premier lieu. Lavis du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (lien) sur l’impact de l’extension du travail du dimanche et la nuit le confirme. Cet avis soulignait que 56% des salarié-es qui travaillent le dimanche sont des femmes, et qu’elles seront les premières pénalisées par l’extension du travail le dimanche et de nuit prévue par la loi macron, le secteur du commerce étant majoritairement féminin. Ajoutons qu’il s’agit des femmes les plus précaires, et que le travail du dimanche concerne par exemple d’avantage les femmes résidant dans les zones urbaines sensibles.

C’est quelque chose que je vois dans mon travail de CPE (1) tous les jours. On entend de nombreuses caricatures disant que les parents de lycéen-ne-s en difficultés sont missionnaires. C’est faux, ils sont de plus en plus précaires, et flexibles, ce qui sera accentué par la loi Macron. Quand on travaille en horaires décalés, qu’on est obligé de laisser ses enfants se lever seuls le matin, ou que l’on est absent le soir ou le weekend, comment suivre leur scolarité ou avoir des temps de partage?

On est là face à un choix de société. La CGT s‘inscrit contre ce projet de loi qui précarise les salarié-es et déstructure les temps familiaux. C’est pour cette raison que nous avons organisé très tôt des journées d’action dans le secteur du commerce, ce qui a forcé le patronat et le gouvernement à intégrer quelques garde-fous, qui restent toutefois très insuffisants, comme par exemple l’obligation de la mise en place d’un accord.. , cependant, La loi Macron va entraîner une véritable dérèglementation des temps de vie, et compliquera encore lexercice de la parentalité, le nombre de dimanches pouvant être travaillés passe de 5 à 12, et peut même atteindre 52 dans certaines zones ! Par ailleurs, le projet de loi contient de nombreuses autres dispositions régressives, notamment le plafonnement des indemnités en cas condamnation par les prudhommes. Il sagit tout simplement du blanchiment des licenciements abusifs, ce qui casse les protections liées au CDI! 

Et la loi Rebsamen « sur le dialogue social et l’emploi » ?

Alors là, on a affaire à quelque chose d’assez inédit dans l’histoire de la gauche au pouvoir, puisque le législateur a repris la main sur un processus de dialogue entre les partenaires sociaux suite à un blocage des négociations par le patronat, et quil le fait en relayant les demandes du patronat ! Autrement dit, pour la première fois avec un gouvernement de gauche au pouvoir, le Medef préfère passer directement par la loi plutôt que par la négociation.

Ce qu’ils appellent simplification équivaut en fait à rayer toutes les obligations des entreprises sur l’égalité professionnelle inscrites dans la loi depuis 1983. Le Rapport de Situation Comparée (voir l’interview d’Yvette Roudy), la négociation dédiée sur l’égalité professionnelle, la commission issue du Comité d’Entreprise sur l’égalité femmes/hommes, les pénalités prévues en l’absence d’accord ou de plan d’action pour l’égalité professionnelle…tout était supprimé.

Comment avez-vous été avertie du contenu de la loi Rebsamen ?

Le gouvernement a saisi le Conseil Supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) début avril. On disposait gracieusement de trois jours pour rendre un avis commun entre tous les partenaires sociaux qui y siègent. La CGT a rendu un avis complet, qui tirait la sonnette dalarme sur la suppression de tous les dispositifs dédiés à l’égalité.

Tous les syndicats ont fait des remarques plutôt convergentes, malgré une lecture différente de l’ensemble du projet de loi. C’est ce qui a permis que l’avis du CSEP soit très clair. Du coup, très naïvement, étant donné qu’aucun gouvernement n’a jamais osé revenir en arrière sur l’égalité F/H, nous pensions que c’était trop gros et que le gouvernement corrigerait sa copie. Pas du tout, ce n’était ni un bug, ni un « oubli » mais une volonté délibérée!

Trois semaines plus tard, voyant qu’il n’y avait aucune réaction, nous avons décidé en échangeant avec les associations féministes de lancer la campagne #SosEgalitéPro. Nous avons rendu public le rapport du CSEP que le gouvernement ne voulait pas publier, Osez le Féminisme ! et le CNDF ont œuvré pour rassembler et mobiliser un maximum d’associations féministes. Le travail des jeunes activistes féministes a été déterminant et nous a permis, dans des délais très courts, d’avoir une très forte mobilisation, notamment sur le web. En quelques jours, 40 000 personnes ont signé notre pétition, et nous avons réussi à rassembler large, avec un appel de 100 femmes syndicalistes, élues dans leur entreprise, une tribune de chercheuses, des expressions des associations féministes et même une tribune rassemblant 8 anciennes ministres de tous bords politiques !

Êtes-vous surprise que ce soit la gauche qui se fasse le fossoyeur de l’égalité professionnelle ?

En septembre, la CGT a été à l’initiative d’une déclaration intersyndicale au CSEP s’inquiétant de la suppression du ministère de plein exercice. Nous craignions que le gouvernement considère qu’après la loi du 4 août 2014, l’égalité F/H était réglée, et qu’il n’y ait plus d’impulsion ou de nouveaux dispositifs. Nous n’imaginions pas 8 mois après que ce qui serait à l’ordre du jour, c’est la suppression de tous les outils de négociation obtenus par 30 ans de luttes! Ce d’autant que ces outils sont loin d’être suffisants: les femmes gagnent toujours 27% de moins que les hommes, les entreprises n’ont pas d’obligation de suppression des écarts, et de nombreux sujets ne sont absolument pas traités, comme par exemple les violences sexuelles et sexistes. Et je ne parle pas des temps partiels qui continuent à augmenter!

Suite au lancement de notre pétition, , le gouvernement a répondu avec le communiqué commun de Marisol Touraine, François Rebsamen et Pascale Boistard. Ils ont fait de la désinformation en expliquant que tout était réglé et qu’ils avaient pris en compte nos critiques et celles des associations féministes. Ils ont été forcés de reconnaître qu’ il y avait un problème mais ont essayé de faire croire que la question était seulement le RSC. Je crois que le gouvernement ne s’attendait pas à une telle mobilisation sur des enjeux qu’ils considéraient comme purement techniques. Ça a dû les surprendre que l’on réussisse à mobiliser autant de gens (plus de 30000 signatures en 24h sur la pétition #SosEgalitéPro) !

Quelles ont été les actions de la CGT sur cette loi Rebsamen ?

On a fait, avec les associations féministes, un lobbying intense à l’Assemblée Nationale auprès de la délégation aux droits des femmes. On a parlé très franchement avec Catherine Coutelle qui préside la délégation et Sandrine mazetier qui est rapporteur-e du projet de loi. La CGT a écrit 18 propositions rédigées qui ont été reprises par les député-e-s sous forme d’amendement, ce qui nous a permis de limiter la casse. On a réussi à faire que les données du RSC soient reprises dans un chapitre dédié l’égalité professionnelle au sein de la base de données unique, et à supprimer la possibilité pour l’employeur de choisir quelles données il voulait inclure sur l’égalité professionnelle. On a conservé le lien entre les données du RSC et la négociation, rétabli la sanction et les thèmes obligatoires de la négociation. Nous avons réussi à faire voter par le sénat (et contre l’avis du gouvernement!) la proposition du CSEP de faire des agissements sexistes un motif officiel de discrimination.

Cependant, le projet de loi reste en recul par rapport à la situation actuelle: la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle est noyée dans une négociation fourre tout « égalité professionnelle et qualité de vie au travail », et sa périodicité est modifiée: elle peut devenir triennale. Lorsque, comme dans près de 50% des cas, la négociation n’aboutit pas et se solde par un plan d’action unilatéral de l’employeur, il faudra attendre 3 ans pour ré-ouvrir une négociation ! A ce rythme, l’égalité, c’est pas pour demain !

Nous allons continuer à nous battre contre ces régressions. Nous portons notamment 2 propositions fortes:

– un droit à l’expertise dédiée sur l’égalité professionnelle,financé par l’employeur-e. L’assemblée l’a voté, mais son utilisation est conditionnée à l’accord de l’employeur, ce qui n’arrive (presque) jamais! Nous voulons un droit systématique avant l’ouverture de chaque négociation.

– la création d’une action de groupe en matière de discrimination pour nous permettre de représenter un collectif de salarié-es en justice et ainsi les protéger contre d’éventuelles représailles de l’employeur. 

Où en est actuellement le projet de loi Rebsamen ?

Le gouvernement avait encore déclaré l’urgence sur ce projet de loi, ce qui limite à une seule lecture dans chaque chambre, ce qui, sur un sujet aussi technique, est très problématique.

La loi a été votée par le Sénat (qui a encore aggravé son contenu). Étant donné que les députés et sénateurs n’ont pas pu se mettre d’accord en commission mixte paritaire, la loi est en 2ème lecture à l’Assemblée qui aura le dernier mot. Mais les débats risquent d’aller très vite. La loi risque d’être adoptée avant le 14 juillet. (ndlr: la loi Rebsamen a été adoptée le 9 juillet)

Propos recueillis par Guillaume Hubert, 50-50 Magazine.

1 : Sophie Binet est Conseillère Principale d’Éducation dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis.

 

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